

A la croisée des continents européen et asiatique, se trouve Istanbul, une métropole de plus de 14 millions d’habitant qui s’étend sur plus de 5.400 kilomètres carrés. Majoritairement continentale, cette cité millénaire cosmopolite est bordée d’îles et d’îlots (ada) plus ou moins connus, avec chacun leur histoire et leurs particularités.

Sur la mer Marmara, à vingt kilomètres au sud-est d’Istanbul, impossible de manquer l’archipel des Princes, un chapelet de neuf îles, dont cinq sont habitées. District d’Istanbul à part entière, ces îles sont formées par Büyükada (Grande île), Heybeliada (île de la sacoche), Burgazada (île forteresse), Kınılıada (île du henné), Sedef Adası (île de la nacre), Yassıada (île plate), Sivriada (île pointue), Kaşık Adası (île de la cuillère) ainsi que Tavşan Adası (île aux lapins).
Durant la période byzantine, moines et ermites peuplent ces îles, accompagnés dans leurs monastères de princes et d’aristocrates tombés en disgrâce, condamnés à l’exil. L’archipel leur doit son nom, et cette vocation de "Bastille insulaire" perdurera sous les Ottomans. Dès le XIXème siècle et la création d’une ligne de bateaux à vapeur entre Istanbul et les îles, les villages de pêcheurs se transforment en lieu de villégiature pour la bourgeoisie stambouliote venue profiter du charme de l’archipel. De nombreux “minoritaires” (juifs, grecs, arméniens…) y élisent aussi domicile.
Pendant la période estivale, les îles des Princes accueillent de nombreux visiteurs. Touristes comme nationaux s’y rejoignent pour jouir, non loin de la mégapole turque, d’un havre de calme empreint d’histoire. Les déplacements sur l’île s’effectuent à pied, en bicyclette ou en calèche, la voiture étant interdite. Quatre des îles de cet archipel, Büyükada, Heybeliada, Burgazada et Kınılıada, sont accessibles par ferry depuis Bostancı, Kabataş et Kadıköy. Sedef Adası, également habitée, n’est pas accessible par les lignes de transport régulier.

Située au large du quartier d’Üsküdar, proche des côtes de la rive asiatique, cette petite île sur le détroit du Bosphore ne compte qu’un seul édifice, la tour de Léandre. La première tour a été érigée en 408 avant notre ère par un général athénien, afin de contrôler le trafic maritime. Avec l’Empire romain d’Orient, elle se mue en une véritable forteresse. Conquise par les Ottomans, elle devient une tour de guet avant d’être détruite par un tremblement de terre en 1509, puis par un incendie en 1721. La tour sera ensuite utilisée comme phare, pour abriter aujourd’hui un café-restaurant, accessible en bateau depuis Salacak et Kabataş.
Plusieurs légendes circulent autour de la tour de Léandre. La plus célèbre raconte qu’un sultan aurait fait ériger la tour pour protéger sa fille de la prédiction d’un oracle : à son 18ème anniversaire, la princesse serait mortellement mordue par un serpent. Le jour de ses 18 ans, un serpent caché dans un panier de fruits mord effectivement la jeune femme, accomplissant la funeste prophétie.
Une autre légende, grecque, relate l’histoire d’amour tragique entre Léandre et Héro, une prêtresse d’Aphrodite. Il nageait chaque soir pour rejoindre sa bien aimée de l’autre côté du détroit, guidé par la lumière qu’elle allumait du haut de sa tour. Un soir de tempête, la lampe de la prêtresse s’éteignit et Léandre, déjà malmené par les eaux, se perdit et se noya. Submergée par le chagrin, Héro se jeta de la tour et mourut.

L’île de Suada, ou île de Galatasaray, se trouve dans le district de Kuruçeşme, sur la rive européenne, à quelques 165 mètres de la côte.
En 1872, le sultan Abdülaziz offrit cette île à son architecte, Serkis Kalfa, dans laquelle il s’installa après s’y être fait construire un pavillon de trois étages. Le célèbre peintre romantique russe Ivan Ayazovski y a séjourné et peint les toiles du palais de Dolmabahçe commandées par le sultan. Après la Seconde Guerre mondiale, l’"îlot de Monsieur Serkis" a été loué par ses héritiers à la compagnie de ferry "Şirket-i Hayriye", et fut utilisé comme dépôt de charbon. Puis, en 1957, l’île est rachetée par le club de sport de Galatasaray, qui y construit des installations sportives, puis des restaurants et un club.
L’îlot est accessible depuis le parc de Kuruçeşme par un service de ferry gratuit.

Combien de Stambouliotes ont découvert l’existence de ces deux îlots de la Corne d’Or à l’occasion d’une ascension de la colline Pierre Loti ? Située entre Eyüp et Silahtarağa, elles portent le nom d’un des plus anciens quartiers d’Istanbul : Bahariye (à ne pas confondre avec le quartier éponyme de la rive asiatique). Mais les pêcheurs et les habitants du coin les connaissent plutôt comme les “îles de la Corne d’Or” (Haliç Adaları).
Les îles de Bahariye (Kozmidion sous l’ère byzantine) étaient à l’époque ottomane un lieu de détente prisé. On s’y rendait en barque, comme l’attestent d’anciennes gravures. Les membres de la famille impériale y voguaient depuis leurs demeures des rives de la Corne d’Or, dont aucune trace n’a survécu. Pire : avec l’industrialisation des berges au 20ème siècle, les îlots paisibles sont devenus, à l’image de tout l’estuaire, un lieu sale et nauséabond. Certaines usines s’en sont même servies comme décharges…
Dans les années 1990, la mairie d’Istanbul a assaini la Corne d’Or et aménagé ses rives. Les oiseaux et des lapins, amenés là par des pêcheurs, ont fait leur apparition sur les îles de Bahariye. Mais ces dernières n’ont jamais retrouvé leur prestige d’antan et rares sont les Stambouliotes qui connaissent leur existence. La municipalité a bien songé à y ouvrir un café-restaurant, mais a dû y renoncer face aux critiques…

Cette petite île – qu’on pensait disparue – a fait parler d’elle mi-octobre, lorsque les médias turcs ont annoncé son grand retour au large de Maltepe (rive asiatique), à 700 mètres des côtes. La municipalité locale s’est donné pour mission d’aider cet îlot à sortir des flots et de l’oubli…
Vordonisi (c’est son nom) avait disparu de la surface en 1010, après un séisme dévastateur, rapporte le quotidien Hürriyet. La mairie de Maltepe souhaite développer une activité touristique autour de l’îlot retrouvé, et a envoyé des plongeurs pour l’étudier et la photographier. Vordonisi abritait autrefois un monastère construit sous l’Empire romain d’Orient par le patriarche Photios Ier de Constantinople. Monastère dont les plongeurs ne sont pas parvenus à apercevoir les vestiges…
Vordonisi était apparemment connue comme la “petite île” à l’époque byzantine. Elle était la dixième des îles des Princes. Son étude devrait livrer de précieuses informations sur l’histoire humaine et sismique d’Istanbul.

Nolwenn Brossier et Anne Andlauer (www.lepetitjournal.com/istanbul) mardi 27 octobre 2015











































