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HOMMAGE À JULIEN WEISS – “En Syrie, la tradition musicale a été mise entre parenthèses et c’est une catastrophe”

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 18 septembre 2016, mis à jour le 19 septembre 2016

L'ensemble musical allemand Neophon, dirigé par Konstantin Heuer, donnera une série de concerts en hommage au grand musicien Julien Jalâl Ed-Dine Weiss, du 26 septembre au 1er octobre, à Istanbul et Ankara. Passionné de musique arabe, le musicien et compositeur français Julien Weiss a parcouru le Moyen-Orient et y a perfectionné sa maîtrise du qânun. Il est décédé d'un cancer le 2 janvier 2015. Entretien avec Stefan Pohlit, l'un des compositeurs de l'ensemble Neophon.

Lepetitjournal.com d'Istanbul : Comment est née l'idée de cette série de concerts en la mémoire de Julien Jalâl Ed-Dine Weiss ?

Stefan Pohlit : J'ai eu la chance de collaborer avec Julien  Weiss lors de ma dissertation doctorale à I?université technique d'Istanbul. A sa mort, j'ai réfléchi à l'avenir de son travail, auquel lui-même n'avait peut-être pas assez pensé. J'ai d'abord eu l'idée de fonder un institut de recherches musicales en sa mémoire mais cela n'a pas été possible. L'année dernière, Konstantin Heuer, jeune compositeur de Berlin, m'a proposé de collaborer avec l'ensemble Neophon sur le travail de Julien Weiss. Ce groupe de musiciens se consacre à la musique microtonale en intonations justes, soit le même système qu'utilisait Julien, basé sur l'acoustique et sur un phénomène mathématique. Julien Weiss n'était pas aussi religieux que sa façade pouvait peut-être le faire penser [le musicien s'est converti à l'islam en 1986]. Sa vraie religion, c'était la précision mathématique qu'il trouvait dans la musique.

Julien Jalal Ed-Dine Weiss en concert le 7 octobre 2009 à l'Institut Culturel Français d'Istanbul (photo Nathalie Ritzmann)

 

L'ensemble musical Neophon est composé de jeunes musiciens de Berlin mais aussi d'un jeune qanuniste, Tolga Volkan K?l?ç. Pourquoi était-ce si important ?

J'ai consacré ma dissertation à l'étude du qânun [instrument à cordes pincées de la famille des cithares sur table, très répandu dans les pays du Moyen-Orient] et le compositeur Konstantin Heuer était fasciné par le système original que Julien Weiss avait créé. A travers le projet, nous voulons montrer que le qânun, surtout celui de Julien, peut être regardé comme l'instrument d'intonations justes le plus complexe du monde. C'est comme un instrument d'expérimentation, qui montre les relations tonales et harmoniques d'une manière mathématique et qui prouve d'anciennes théories comme celles de Platon et Pythagore grâce au lien entre le nombre et l'émotion, à la base de leur philosophie. Pour ce projet, il fallait se procurer un instrument de Julien. Mais après sa mort, ils ont tous été détruits par la guerre en Syrie, où il a habité pendant longtemps, ou bien volés dans son appartement près de la tour Galata, à Istanbul. Après des recherches, nous en avons trouvé un à vendre, que nous avons finalement acheté. Je pense même qu'il s'agit du tout premier qânun que Julien a fait construire sur mesure, avec une octave supplémentaire. Cela demande à Tolga Volkan K?l?ç de s'adapter au système de Julien et de subir les contraintes techniques, en se rendant régulièrement chez le luthier car il est difficile à accorder ! Dans l'ensemble musical, nous comptons aussi la présence d'un percussionniste du groupe Al-Kindî, que Julien Weiss avait lui-même fondé en 1983.

Pourquoi avez-vous choisi de nommer ce travail "Aleppo Dialogues" ?

Il fallait trouver un titre qui puisse être compris facilement à l'échelle internationale. Or le nom de Julien Weiss ne parle pas à tout le monde ? notamment en Allemagne-  et le "qânun", instrument étranger, non plus. Il fallait aussi montrer l'importance de la ville d'Alep, où Julien Weiss a vécu très longtemps et où un qânuniste a notamment inspiré son travail. Pour Julien, Alep était autrefois la ville musicale la plus importante du monde arabe. Elle avait une position de carrefour entre deux sources d'influence : les intonations de Turquie et celles du monde arabe. C'est comme ça que l'idée de ce nom est venue et il revêt aussi bien sûr une connotation politique, dans le contexte de guerre en Syrie qui a tout détruit. La tradition musicale comme elle a existé pendant des siècles a aussi été mise entre parenthèses et c'est une catastrophe. Il est nécessaire d'ouvrir le dialogue sur ce sujet.

Quels soutiens avez-vous reçus ?

Nous avons reçu les soutiens financiers de Hauptstadt-Kulturfonds et du Sénat de Berlin, ainsi que d'autres collaborateurs et d'instituts à Istanbul. Nous avons aussi le soutien moral et philosophique très important de l'épouse divorcée de Julien Weiss.

L'ensemble musical Neophon (photo Neophon)

Vous serez d'abord présents à Ankara pour des ateliers universitaires du 26 au 28 septembre puis vous jouerez à Istanbul le 30 septembre à 18h à Zorlu Performans Sanatlar? Merkezi et le 1er octobre à 18h à l'église San Pacifico à Büyükada. Est-ce particulier de jouer à Istanbul, où Julien Jalâl Ed-Dine Weiss avait élu domicile en 2005 ?

Sur le plan émotionnel, Istanbul n'était pas aussi sentimentale que la ville d'Alep aux yeux de Julien. Mais ce qu'il y a de particulier, c'est que Julien était assez régulièrement rejeté par les professeurs et académiciens de Turquie. Tous n'acceptaient pas son approche européenne de la musique traditionnelle arabe et ottomane. Julien considérait que les sons ont une autre dimension, une autre connotation, explicables par un système rationnel et des relations mathématiques. Si la musique reste seulement dans ces académies qui rejettent les approches différentes, c'est catastrophique. La manière de comprendre est différente mais on veut montrer que les bases de la musique sont universelles. C'est donc aussi un message de paix.

Quels sont les projets de Neophon pour la suite ? Et les vôtres ?

Le directeur de l'ensemble musical Neophon, Konstantin Heuer, élabore un projet chaque année. L'année prochaine, il s'agira d'une approche à la musique ancienne, de la Renaissance, toujours avec un travail sur la micro tonalité. Je ne collaborerai pas avec eux l'année prochaine mais probablement l'année suivante, avec un nouveau projet sur la musique orientale. De mon côté, à l'avenir, j'aimerais réaliser un catalogue des compositions et archives de Julien pour les sauver, surtout que j'ai réalisé un travail énorme avec lui en l'aidant à achever ses partitions. Il était un personnage très important pour la musique du Moyen-Orient et j'aimerais le prouver.

 

Propos recueillis par Solène Permanne (http://lepetitjournal.com/istanbul) lundi 19 septembre 2016

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Publié le 18 septembre 2016, mis à jour le 19 septembre 2016

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