

En réponse aux flux migratoires que ces pays attirent, Turquie, Bulgarie et Grèce font pousser des murs à leurs frontières. La Turquie, réputée pour son rôle de carrefour entre l’Asie et l’Europe, vit désormais entre trois murs, ceux-là mêmes que certains désignent comme “les murs de la honte”. Pour mieux comprendre ce phénomène, que l’on pensait révolu en Europe depuis la chute du mur de Berlin, lepetitjournal.com d’Istanbul revient sur les différents motifs de leur édification.
Aux frontières que la Turquie partage avec la Grèce et la Bulgarie, deux clôtures trouvent leur motivation première dans la volonté de contrôler l’immigration clandestine vers l’Union européenne, en constante augmentation. Le troisième mur, sur le territoire turc, aux abords de sa frontière sud-est avec la Syrie, est sujet à controverse.
A la frontière syrienne : pour les uns “le mur de la honte”, pour les autres “un mur de sécurité”
Depuis peu, la Turquie a entamé la construction d’un mur de 7 km à sa frontière avec la Syrie. Pour Ankara, il s’agirait d'abord de protéger les populations des mines anti-personnelles, rapporte le quotidien français Le Figaro. Mais pour les Kurdes de Turquie et de Syrie, c’est avant tout un moyen de séparer les Kurdes de part et d’autre de la frontière. Demir Çelik, député du BDP (Parti pour la paix et la démocratie), soutient ainsi que “le vrai objectif du gouvernement turc est de séparer les Kurdes”.
C’est entre Nusaybin au sud-est de la Turquie et Qamishli en Syrie que la construction a débuté, provoquant le mécontentement des habitants. Le 7 novembre, une manifestation a rapidement été dispersée par les forces de police turques à grand renfort de gaz lacrymogène, en réponse aux jets de bouteilles et de cocktails Molotov des opposants. La mairesse BDP de Nusaybin, Ayse Gökkan, avait en guise de protestation débuté une grève de la faim, neuf jours plus tôt, considérant qu’il est “inacceptable de construire un mur de la honte entre les peuples kurdes” avant d’ajouter que “comme le mur de Berlin, ce mur restera comme une tâche dans l’histoire de l’humanité”, rapportait alors l’AFP.
De l’autre côté de la frontière, de violents combats opposent des groupes djihadistes en guerre contre le gouvernement syrien à des militants kurdes syriens du PYD (Parti de l'Union démocratique). L'objectif serait donc aussi de “maximiser la sécurité dans cette zone”, a déclaré Hayati Yazıcı, ministre des Douanes et du Commerce, à la chaîne NTV en mai.
Murer les frontières turques : pourquoi celles-là ?
La Turquie, qui se veut ouverte aux réfugiés syriens, fait office de pays de transit pour l’immigration syrienne, et au-delà, vers l’Union européenne. Face à cette porte “mal verrouillée”, la Grèce a été le premier pays frontalier de la Turquie – et premier membre de l’Union européenne – à tenter d’endiguer l’afflux d’immigrés pénétrant son territoire. Pour ce faire, elle a entamé début 2012 la construction d’un mur de 12.5 km de long et de trois mètres de haut, terminé en décembre 2012 près du village d’Orestiada entre Nea Vyssa et Kastanies.
C’est non loin de ces villages que le fleuve Evros fait un crochet par le territoire turc, offrant aux clandestins un chemin moins dangereux que ceux qui mènent aux îles grecques de la mer Egée. C’est également le passage le plus abordable financièrement puisque le montant exigé par les passeurs serait bien inférieur aux montants demandés pour passer par les îles. Et le plus accessible, enfin, depuis que les agents de police européenne, Frontex, arpentent les frontières des îles grecques diminuant ainsi de 70 à 75% l’arrivée de clandestins. En 2011, selon les autorités grecques, 55.000 migrants avaient été arrêtés aux abords du fleuve Evros, soit près de 17% de plus qu’en 2010. Dans le but de réfréner cet élan par le nord-est de la Turquie, Athènes a donc penché vers cette solution : un mur de barbelés avec caméras thermiques et capteurs de présence.
A son tour, c’est un mur de 30 km le long de la frontière turque que le gouvernement bulgare a commencé à construire à la mi-octobre. Cette clôture a là encore pour but d’empêcher l’immigration clandestine qui pénètre sur son sol via la Turquie. La Bulgarie, le plus pauvre des pays membres de l’UE, éprouve des difficultés à gérer l’afflux massif de migrants tel que le rapporte l’agence de presse Belga. Les camps de réfugiés se remplissent dans la ville bulgare d’Harmanlı, comme d’autres à la frontière avec la Turquie.
L’Union européenne : “les remparts ne résolvent pas les problèmes”
L’Europe, qui n’a pas soutenu la décision de la Grèce, n’a donc pas participé au financement du mur, un coût estimé à 3,2 millions d’euros selon le quotidien russe francophone Ria Novosti. En octobre, la Bulgarie sollicitait à son tour l’exécutif européen dans le but de décrocher des fonds pour son projet estimé à six millions d’euros. Mais l’Union européenne est unanime. Elle a demandé aux deux pays membres d’arrêter de refouler les réfugiés syriens et d’agir dans le respect du droit européen et international, ajoutant que clôturer les frontières n’était en rien une solution. La porte-parole de la Commissaire aux Affaires Intérieures, Cécilia Malmström, affirmait ainsi récemment au quotidien Euractiv : “[Les Etats membres] décident bien entendu. Mais nous avons toujours dit que les remparts ne résolvent pas les problèmes. Une gestion structurelle cohérente des flux de migrants et de demandeurs d’asile, voilà la solution.”
Laura Lavenne (http://lepetitjournal.com/istanbul) mardi 26 novembre 2013
