Dimanche dernier, le président Erdoğan mettait à nouveau son mandat en jeu. Face à lui, une alliance composée de six partis, avec à sa tête Kemal Kılıçdaroğlu. Les résultats annoncés lundi ont été sans appel, le parcours électoral se poursuit jusqu’au 28 mai, date du second tour. Retour sur une journée passée à sillonner différents bureaux de vote d’Istanbul. Entre ambiance calme, tensions, disputes, contestations et recomptages sans fin… Pas de doute, le vote est un sport national en Turquie.
Calme ambiant, mains tremblantes et bulletins démesurés
Dimanche matin, 8h, les urnes sont à présent ouvertes. Dans ce bureau de vote de Kadıköy les premiers électeurs ne se font pas attendre. Les tenues sont variées : du pyjama du dimanche matin, à la tenue des grandes occasions… L’ambiance parait détendue sous le soleil matinal. Quelques tensions se font sentir cependant, un homme sort du bureau en criant, il est rapidement mis à l’écart par des policiers, rapide retour au calme.
Dans plusieurs bureaux de vote, on entend parler d’électeurs qui arrivent les mains tremblantes de stress. Il faut dire que ce n’est pas facilité par le bulletin de vote des législatives qui mesure… un mètre de long ! Il faut redoubler d’efforts et mettre à profit ses talents d’origami pour plier cet énorme bulletin dans la petite enveloppe proposée. Et tout cela, en faisant bien attention à ne pas faire glisser le tampon sur la partie destinée à un autre candidat, invalidant de ce fait le vote.
Le second bureau de vote, beaucoup plus grand, se situe lui aussi à Kadıköy. A 10h le bureau est déjà en ébullition, ici de nombreuses salles de classe sont mises à disposition, sur plusieurs étages. Cette école primaire, comme la plupart des écoles, a été transformée en antichambre de vote. Ici aussi le calme ambiant a été perturbé pendant quelques minutes, une observatrice nous raconte : "Un des assesseurs s’absente quelques instants, un inconnu entre et s’assoit à sa place. On le regarde et on lui demande ce qu’il fait là, il reste silencieux. Les membres du bureau le sortent, et un autre homme qui a tous les traits du mafieux entre et commence à agresser verbalement les assesseurs et autres représentants du bureau. Tout se calme très vite. Mais quand même !"
La troisième anecdote de cette épopée électorale nous conduit à Maltepe, ici, les électeurs ne viennent pas seulement pour voter, mais restent longuement dehors pour discuter. Sur place, il est possible d’acheter du thé, du café et des biscuits. Un homme s’occupe de fournir des sandwichs à tout le monde gratuitement. Nous engageons la discussion avec un policier sur place qui est là pour surveiller. Eux, les policiers, ne votent pas là. Les forces de l’ordre votent dans un lieu qui leur est dédié. La directrice de l’école nous confie, très excitée, qu’en dix ans elle n’a jamais vu un tel engouement pour une élection (près de 89% des Turcs ont voté le 14 mai).
Du côté de Kasımpaşa, le quartier de Recep Tayyip Erdoğan, la journée se déroule plutôt bien, jusqu’à ce qu’un des deux tampons se brise, divisant ainsi par deux, le temps dédié au vote. Il est 15 heures, et les bureaux ferment dans deux petites heures, les électeurs s’échauffent.
Dépouillement, contestations et discours politiques
À 17 heures, ça y est. Les bureaux ferment, c’est le moment tant attendu du dépouillement. À 17h30, une alarme incendie retentit dans le quartier de Beşiktaş. Tout le monde s’agite, on court vers la sortie. Une personne venue là pour assister au comptage des voix panique, puis se ressaisit : elle se rappelle la spécificité turque : on brûle les enveloppes non valides !
Mais dans certaines provinces et villes du pays, comme à Şanlıurfa, l’ambiance est plus à la contestation du bourrage d’urnes. Ailleurs, des tensions ont éclaté pendant la journée : des membres de l’AKP se sont rendus dans les bureaux de vote pour mettre la pression sur les électeurs. En début de soirée, dans certaines urnes, on compte et recompte les bulletins : l’AKP conteste des centaines d’urnes où le CHP arrive en tête. À Çankaya (Ankara), fief du CHP, les bulletins sont recomptés jusqu’à onze fois.
À minuit, de nombreuses urnes ne sont pas encore officiellement comptabilisées. Le chef de la coalition, Kemal Kılıçdaroğlu dénonce un blocage des urnes par les partisans de son adversaire, l’AKP. Erdoğan, lui, fait son discours "du balcon" au quartier général de l’AKP, annonçant qu’il se dirige vers une victoire assurée, mais que la patience est tout de même de mise. En effet, tous les votes ne sont pas encore comptés.
Pendant des heures, les résultats restent figés. La nuit a été très longue, et les résultats finaux sont annoncés lundi 15 mai vers 16h, concluant à un second tour le dimanche 28 mai.
Néanmoins, le mardi 16 mai, des centaines de résultats sont contestés. L’opposition accuse le pouvoir de fraudes massives...