

Samedi 17 décembre au Palais de France, une très belle cérémonie a sacré le célèbre journaliste et romancier Ya?ar Kemal, Grand Officier de la Légion d'Honneur; les insignes lui ont été remises par le Général d'Armée Jean-Louis Georgelin, en présence de l'Ambassadeur de France Laurent Bili, devant une assemblée très nombreuse venue le féliciter. Sa femme, ses proches ainsi que de grands noms du monde du cinéma, du journalisme, de la culture étaient présents lors de la remise des médailles. Après le traditionnel mais non moins remarquable discours du Général Georgelin retraçant le parcours professionnel et la vie épique du romancier turc, c'est ce dernier qui a pris la parole, en turc, pendant une dizaine de minutes. Nous retranscrivons ici son allocution
Aujourd'hui est une grande journée d'honneur et de joie pour moi. Je remercie beaucoup la France qui m'a tant honoré. Je remercie également tous mes amis qui sont venus ici aujourd'hui pour partager ses moments avec moi.
Je dis toujours que mon maître est Stendhal. Le roman français du 19ème siècle est une base importante pour tous les romanciers. La France a été pendant de très longues années la fenêtre de la littérature des autres pays : le grand roman russe a été connu à travers le monde grâce à la langue française. Paris fut la ville de l'âge d'or de la littérature américaine.
Ya?ar Kemal, après avoir reçu la médaille de la Légion d'Honneur (photo MD)
"Liberté, égalité, fraternité" est bien l'aspiration commune de toute l'humanité. L'Union européenne avait fait ses premiers pas comme une union pour la paix qui entrevoyait que la diversité des cultures et des acquis constituaient la richesse des pays et qui la préservait jalousement. Et l'Union européenne insistait scrupuleusement sur cette vision. La France est présente dans l'idée même d'une Europe unie.
La France est en même temps le pays de plusieurs personnalités dont j'ai l'honneur et la joie d'être un ami.
Roger Caillois était un de ces amis. Nous avions presque le même tempérament. Il aimait les pierres, moi aussi. Il était un grand amateur de cerfs-volants, et moi j'étais passé maître en la matière. Nous parlions de la même façon à propos des insectes et des oiseaux. Nous avions les mêmes positions sur pas mal de sujets mais malgré tout? Nous n'étions pas tellement sur la même longueur d'onde au sujet du rôle de la littérature.
Nous discutions du roman du 19ème siècle. Il me disait : "Tu mises beaucoup sur la littérature". Je sais, je mise encore aujourd'hui beaucoup sur la littérature, j'en attends toujours beaucoup. Le roman, en particulier, est le plus grand art qui peut impacter les gens. Chaque lecteur recrée le roman à sa guise en le lisant. C'est pourquoi d'ailleurs, l'effet produit est inéluctablement plus fort, plus profond.
Comme beaucoup d'artistes, je crois aussi que c'est la beauté qui sauvera le monde. Mais quand je regarde autour de moi, je ne vois que l'enfer. Et là, je me rappelle les conversations que j'ai eues avec Roger Caillois. Alors je me demande : à quoi sert cette chose qu'on appelle l'art, surtout de nos jours ? Je me demande si tous mes efforts n'étaient pas vains.
Le monde, de nos jours, est un capharnaüm sans précédent avec tant de nouvelles possibilités inédites, mais il est en même temps plein d'impossibilités.
Dans certains pays, le sang coule à flot et les guerres, la plus grande honte de l'humanité, continuent.
La famine, une honte plus grande encore, perdure. L'avilissement et l'exploitation de l'homme par l'homme continuent.
Aujourd'hui notre planète se tarit. La société de consommation transforme les hommes en des monstres avides et refoulés.
L'érosion culturelle, l'érosion tout court, la pollution de la nature, l'agonie de la terre, l'épuisement des valeurs humaines?se poursuivent à une vitesse incroyable.
L'art, l'art véritable se dresse contre l'oppression, contre la violence, contre la voracité de la consommation, contre tout comportement inhumain. Parce que pour moi, qu'elle qu'en soit la forme, la mission première de l'art, c'est la révolte. L'art met l'humanité en garde contre le mensonge, l'oppression, les guerres absurdes sans fin et contre tous les maux.
L'espoir cependant, est une des plus grandes valeurs que possède l'être humain. Moi, j'ai toujours essayé de chanter les refrains de l'espoir.
Et encore aujourd'hui je me raccroche fortement à mon espoir. Personne ne peut déposséder l'homme de la culture dont il est créateur et qui fait de lui un être humain.
Le vingt-et-unième siècle sera le siècle de la recréation de la nature, le siècle du perfectionnement des valeurs humaines et celui de l'établissement complet des droits de l'homme.
Et je crois sincèrement que les intellectuels et les artistes français marqueront de leur sceau ce siècle et exalteront une fois de plus les valeurs humaines créées par les hommes et qui font de nous des êtres humains.
Je vous remercie.
Fin du discours de Ya?ar Kemal.
Meriem Draman (www.lepetitjournal.com/istanbul) lundi 19 décembre 2011
Ci-dessous, les meilleurs moments de la cérémonie :
Ya?ar Kemal'e Fransa'n?n en seçkin ni?an? verildi ile aydinses
Pour information, Mustafa Kemal Atatürk, Prof. Dr. Ethem Tolga, ?nan K?raç, Murat Karayalç?n, Ya?ar Kemal, ?hsan Do?ramac?, Hicri Fi?ek ,et Güler Sabanc? ont été décorés de la Légion d'honneur.











































