

L'édition du petitjournal.com d'Istanbul s'associe avec la librairie EFY, pour vous proposer chaque mois une chronique littéraire d'un roman, d'un essai, d'une biographie ayant un rapport direct ou indirect avec la Turquie, les Turcs ou la langue turque. Les ouvrages que la rédaction choisit sont disponibles à la librairie EFY. Ces livres que nous allons vous présenter au fil de l'année peuvent être des nouveautés, mais peuvent aussi être des classiques que nous souhaitons faire (re)découvrir à nos lecteurs. Ce mois-ci à l'honneur, Histoire de l'empire ottoman, une oeuvre dirigée par Robert Mantran qui retrace de façon détaillée l'Histoire avec un grand H de l'empire ottoman. A coup sûr un livre à se procurer pour comprendre le pays qui nous accueille. Les Turcs francophones devraient également être intéressés par ce livre qui retrace leur propre histoire avec un angle de vue différent...
Des débuts mystérieux de l'Empire Ottoman à la fondation de la République par Mustafa Kemal en passant par les réformes des Tanzimat et la révolution des Jeunes-Turcs, cet ouvrage retrace de façon détaillée les tournants de l'Histoire de l'Empire Ottoman mais également son organisation, son administration et sa culture, puisque c'est justement grâce à cette organisation qu'à son apogée l'Empire a réussi à se hisser au rang de première puissance de l'Ancien Monde. Sous la direction de Robert Mantran, neuf spécialistes éclairent l'Histoire de l'Empire avec une neutralité et une précision exemplaires, se démarquant de la tendance occidentalo-centrée en ayant recours à des sources orientales - de l'administration de l'Empire lui-même - plutôt qu'à des sources occidentales. Cet ouvrage très instructif fait le point sur l'Empire, ses forces et ses faiblesses, ce qu'on en a dit, et la façon dont il était réellement administré. On observe par exemple la façon dont les différentes populations de religions et de cultures diverses étaient prises en compte - et non pas simplement assimilées - à travers leur droit coutumier local qui fût presque systématiquement conservé par l'Empire aux côtés de la Charia. Cela illustre bien la perméabilité des différentes cultures au sein de l'Empire, car la richesse de l'Empire reposait justement sur la diversité des conditions naturelles, des ethnies, des religions et des héritages historiques, culturels et de l'artisanat.
Couverture du livre paru chez Fayard (photo AS)
Or c'est un Empire dynamique tant qu'il fait des conquêtes grâce au butin que cela représente mais lorsque celles-ci ralentissent, la crise est non seulement militaire mais également économique et financière avec des conséquences sur l'ordre institutionnel et social et si l'on ajoute à cela l'expansion démographique et la corruption des agents de l'Etat on se retrouve face à une administration sclérosée incapable de répondre à ces situations nouvelles. On respecte alors encore l'Empire et il existe même une certaine appartenance à cet Empire dans les différentes provinces. Pourtant comme ailleurs en Europe, l'Empire sera rattrapé par le "principe des nationalités". Et les menaces quant à l'intégrité de l'Empire ne viennent pas seulement du dedans mais également du dehors, dans un "concert des nations" qui n'inspire guère confiance et se présente plutôt comme des puissances rivales avides de se partager les morceaux de l' "Homme malade de l'Europe". Né alors le "sentiment que l'Empire est une forteresse assiégée de toute part et minée de l'intérieur". Suite à une forte immigration en particuliers des musulmans de Russie, des idées nouvelles émergent dans l'Empire, deux tendances en particulier : l'islam et la tentation de l'Occident. Débute alors la "course à la modernisation", l'occidentalisation du Sultan et bientôt la 1ère Constitution et l'émergence de la Presse. Or comme bien souvent les réformes s'accompagnent de l'éclosion des revendications.
La lecture de cette Histoire éclaire des pans entiers de l'actualité nationale et internationale puisqu'on voit se dessiner l'Istanbul d'aujourd'hui avec ses palais, ses mosquées, et sa culture mais on trouve également déjà les bases du conflit Israélo-Palestinien aujourd'hui encore d'une actualité brûlante, avec la question des lieux saints. Et enfin l'ouvrage pose la question de l'anéantissement des communautés arméniennes de l'Anatolie Orientale et discute les deux thèses en présence.
Finalement c'est bien de notre Histoire dont il s'agit, puisque garder un ?il sur le passé permet de comprendre les évolutions et les situations actuelles, de la même façon que la révolution kémaliste s'explique au regard de la révolution des Jeunes-Turcs et encore avant de la période des Tanzimat.
Sans hésitation, un livre à offrir et à s'offrir.
Audrey Scarbel (www.lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 10 février 2012









































