En Inde, malgré ce qu’on entend souvent dire, de nombreux mariages sont heureux et durables. Ils témoignent de la résilience des Indiens et de leur engagement pour faire un succès d’une union qui commence comme un contrat entre deux familles, plutôt que comme une idylle entre deux âmes soeurs. Le mariage, institution fondamentale de la société indienne, est un concept profondément différent de la conception contemporaine européenne.
En Inde, le mariage est une alliance pragmatique entre familles et est dument négocié. Le « Veux-tu m’épouser ? » occidental se traduit ici en : « Veux tu m’épouser, ainsi que mes parents, mes oncles et tantes, mes cousins, cousines et tout le reste de ma famille ? ». Et la réponse ne revient généralement pas au premier concerné, mais à ses parents.
Pour une famille indienne, le mariage d’une fille représente l’accomplissement d’une responsabilité majeure. En revanche, un jeune homme doit d’abord s’assurer d’un emploi stable, sans quoi ses perspectives matrimoniales s’amenuisent drastiquement. Plus son statut professionnel est reconnu, plus il a de chances de trouver une partenaire appropriée et approuvée par sa famille.
Malgré quelques évolutions dans les grandes villes, le mariage reste aujourd’hui un moyen d'établir des liens entre deux familles. Il s'agit essentiellement d'un arrangement commercial et social. La notion d’amour romantique reste en marge de la société et cantonnée aux milieux urbains les plus aisés.
Se marier en Inde : trouver un époux ou une épouse
L’âge du mariage
Entre 18 et 34 ans, à peine 4 % des Indiens vivent de manière indépendante, seuls, en colocation avec des amis ou, plus communément, dans des « hostels », avec leur part de limitations. Tous les autres sont soit mariés, soit vivent avec leurs parents.
Concernant l’âge au mariage, peu de changements notables sont à signaler ces dernières années pour les femmes. Mais les choses évoluent malgré tout. Si la moitié des Indiennes d’une quarantaine d’années aujourd'hui ont été mariées à 18 ans, ce chiffre n'est plus que d’environ 25 % pour la génération entrant dans la trentaine.
Mais les jeunes filles ont encore rarement voix au chapitre dans le choix de leur futur époux. En 2011, seules 18 % des femmes connaissaient leur mari avant les noces et 41 % n’ont pas eu leur mot à dire sur le choix fait par leurs parents, des chiffres qui ne se sont améliorés que marginalement ces dernières années.
La dot : une pratique interdite mais très répandue
Sur le chemin du mariage, et parmi les conditions et exigences des uns et des autres, une tradition tenace persiste malgré les efforts pour l’éradiquer : le versement de la dot, qui rend la situation des candidates au mariage très inégale.
Bien que la loi interdise formellement la dot, criminalisant ceux qui acceptent ou offrent de telles contreparties (les contrevenants risquent des peines de prison et/ou des amendes), la pratique reste très courante.
Les pressions du paiement de la dot sur les familles.
Le 6 décembre 2023, l'Association médicale indienne (IMA) a suspendu le Dr Ruwise EA, originaire du Kerala. Ce jeune médecin de 28 ans, membre de la Kerala Medical Postgraduate Association, n'a pas été accusé de faute professionnelle mais du crime très grave d'incitation au suicide. Il a été mis en examen en vertu de l'article 306 du Code pénal indien, qui prévoit une peine de prison pouvant aller jusqu'à dix ans, une amende, ou les deux, pour ceux reconnus coupables de ce délit. Le médecin a également été inculpé en vertu des dispositions de la loi sur l'interdiction de la dot.
La victime, Shahana, décédée par suicide, était son ancienne petite amie, qu’il devait épouser. Âgée de 26 ans, elle était elle-même médecin, et était aussi pour lui une amie et collègue. Elle a pris la décision de mettre fin à ses jours après que son fiancé ait annulé leur mariage, sa famille ne satisfaisant pas à ses exigences en matière de dot.
La famille de la jeune fille avait pourtant accepté de verser une dot, sans même débattre du principe : ce paiement était un fait acquis. Mais elle n’avait pas répondu à toutes les demandes du côté de la famille du marié. Elle avait consenti à payer 50 souverains en or, 50 000 euros en espèces et une voiture, mais la famille du marié exigeait davantage, notamment plus d'or, plus de terrains et une voiture BMW. Face à ces exigences non satisfaites, le futur marié avait annulé le mariage.
Le fait qu'être une jeune femme accomplie, étudiant pour devenir médecin spécialiste, ne soit pas suffisant pour qu'un homme accepte de l'épouser témoigne de la perception sociétale du mariage et de la valeur accordée aux femmes dans une large part de la société.
La dot : un problème social persistant en Inde
Le cas du docteur Shahana, aussi triste soit-il, n'est pas un incident isolé. Chaque jour, au moins 20 femmes en Inde perdent la vie à cause du harcèlement lié à la pratique de la dot.
D’après les données du Bureau national des archives criminelles du ministère de l'Intérieur, plus de 35 000 décès liés à la dot ont été recensés entre 2017 et 2021. Les autorités se félicitent du fait que de plus en plus de familles signalent ces cas, leur donnant accès à la justice. Pourtant, 60 ans après l'approbation de la Loi interdisant la dot, l’éradication de cette pratique demeure un défi urgent et primordial pour l'égalité entre les femmes et les hommes en Inde.
Et si on ne se marie pas dans la vingtaine ?
Si le chemin vers un premier mariage dans la vingtaine est tortueux, la route vers une union tardive ou une seconde union peut être encore plus intimidante pour les femmes.
Une femme célibataire reste une anomalie. Si une femme veut avoir des enfants, le mariage est en effet la seule option. De plus, il est financièrement très difficile pour une femme d'être indépendante, principalement parce que le taux d'activité des femmes est d'environ 25 % : l’instruction ne garanti pas l’emploi et de nombreuses femmes diplomées ne trouvent pas de travail. Enfin, le concept même d'être une mère célibataire, à la suite du décès de l’époux par exemple, n’est pas socialement acceptable.
Les arnaques au mariage
Entre 2018 et 2022, un maître escroc, Ramesh Kumar, a réussi à tirer parti de cette pression sociale en parvenant à épouser 27 femmes, dans 10 États différents du pays. Parmi ses victimes se trouvaient notamment des médecins, un avocat à la Cour suprême, un haut cadre d'une compagnie d'assurance et un officier des forces paramilitaires.
Ramesh Kumar avait fait ses proies des femmes de plus de 40 ans, considérées comme déjà vieilles sur le marché matrimonial. Et il avait trouvé le moyen de les escroquer en demandant le paiement de la sempiternelle dot.
Il n'avait été scolarisé que jusqu’en seconde et sa connaissance de l'anglais était plutôt limitée, mais il a réussi à convaincre toutes ces femmes de l’épouser et leurs familles de lui verser chacune des milliers d’euros.
Bien que l'institution du mariage soit profondément enracinée et respectée en Inde, constituant le fondement de la société, elle n'est pas exempte de failles. Parmi celles-ci, la persistance du paiement de la dot représente un obstacle majeur à l'égalité entre les femmes et les hommes, tant dans le cadre du mariage que dans d'autres sphères de la vie.