En Inde, on ne parle pas souvent ni facilement de l’amour et de la sexualité. Émilie Anand, une Française vivant et travaillant en Inde depuis 2006, a décidé de creuser le sujet. S’aimer en Inde, publié par les Éditions Complicités, est le résultat de ses recherches, de ses entretiens et de ses réflexions. Vu de l’intérieur tout en étant le plus objectif possible, S’aimer en Inde est à lire par tous ceux qui s’intéressent à ce pays et à sa société.
En Inde depuis 2006, Émilie Anand vit aujourd’hui à Goa avec son mari et son fils et travaille pour une grande société française. Dès son arrivée il y a 18 ans, Émilie a choisi de retranscrire ses impressions sur son pays d’accueil et sa vie dans un blog qu’elle alimente encore aujourd’hui. C’est ce dernier qui a été le point de départ de ses deux ouvrages. Le premier, Bandati, petit métis - la famille mixte expliquée aux enfants, est un album pour les enfants issus de couples mixtes, elle nous en avait parlé lors de sa sortie en 2021. Le dernier, bien documenté, traite d’un sujet dont on ne parle pas souvent en Inde, l’amour et la sexualité.
S’aimer en Inde – La révolution du sexe et de l’amour, un beau livre illustré de photos, est paru le 1er décembre 2023 aux Éditions Complicités. Il est disponible en version papier (en France et en Inde) et en version électronique sur le site d’Émilie Anand.
La rédaction a rencontré Émilie à Mumbai lors d’une de ses visites professionnelles. Elle nous a partagé la genèse de son dernier livre.
lepetitjournal.com : Bonjour Émilie, avant de commencer cet entretien sur votre livre S’aimer en Inde, pourriez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?
Émilie Anand : Bonjour ! Je m’appelle Émilie, je suis une Française expatriée en Inde depuis 2006. Je travaille, m’occupe de mon mari (indien) et de notre fils. Je partage le fruit de mes expériences sur mon blog indiansamourai et m’en inspire pour les livres que j’écris et que vous pouvez retrouver sur mon site.
Comment vous est venue l’idée d’écrire sur l’amour et la sexualité en Inde ?
J’ai un jour écrit un blog et j’y disais que les Indiens expriment peu leur amour verbalement. Une lectrice m’a laissé un commentaire, m’expliquant que j’avais tort, que l’amour était chanté et mis en exergue dans les films de Bollywood. Cela a excité ma curiosité et j’ai décidé de creuser le sujet…
Vous nous avez confié avoir travaillé plus de quatre ans à la réalisation de ce livre. Comment avez-vous procédé pour aborder ce sujet qui reste encore souvent tabou en Inde ? Comment vous êtes-vous documentée ? En avez-vous parlé autour de vous ?
J’ai recueilli de nombreux témoignages dans mon entourage. J’ai interviewé des sexologues indiens, échangé avec d’autres experts et j’ai lu tout ce que j’ai pu trouver sur le sujet. J’ai pris le temps de m’approprier le sujet et de l’étudier suffisamment pour ne pas avoir de parti pris.
Tout au long de votre livre, vous avez pris soin de rester neutre et de ne pas donner d’opinion personnelle. Le fait d’être une étrangère ayant été élevée dans une culture différente vous a-t-il permis de poser sur ce sujet un regard différent et peut-être plus “objectif” que celui des Indiens ou au contraire cela vous a-t-il compliqué la tâche ?
J’ai d’abord écrit sur la sexualité et l’amour en Inde. Mais je me trouvais trop partiale. Alors j’ai écrit sur le même sujet en Occident et je me suis même intéressée à la fonction biologique de la sexualité et de l’amour. Ces deux dernières parties n’ont pas été publiées mais j’en ai intégré les messages principaux et cela m’a permis d’être plus objective.
Quelle a été la réaction de vos proches lorsque vous avez évoqué votre idée d’écrire sur l’amour et la sexualité en Inde ?
Mon mari a été amusé puis agacé – avec mes questions, je l’obligeais à réfléchir à des sujets sur lesquels il ne s’était jamais penché. Et puis je l’ai obligé à aller voir un médecin de rue, à faire verser du lait sur un lingam...
Au final, l’écriture de ce livre a certainement beaucoup aidé notre couple.
Pouvez-vous nous partager ce que l’écriture de ce livre vous a apporté et plus particulièrement dans votre vie en Inde ?
Je dirais que cela m’a permis de discuter avec mes amis de “vrais” sujets et de bien mieux les connaître. C’est passionnant quand on touche ainsi à l’intime !
Au regard des entretiens que vous avez eus et de votre propre expérience, que pensez-vous de la compatibilité des couples mixtes, au vu des très grandes différences de culture décrites ? Pensez-vous que les problèmes sont différents en fonction du genre (une Indienne avec un Européen ou un Indien avec une Européenne). Vous y faites allusion à un moment où une personne dit à son épouse qu’il aurait dû épouser une Indienne.
Je n’ai pas approfondi ce cas de figure particulier dans mon livre mais j’ai beaucoup à dire dessus ! Je pense qu’être en couple avec un ou une Indienne, c’est compliqué. En tant que Française de 23 ans, je n’imaginais pas que la culture puisse autant s’immiscer dans un couple. Et puis ça ne va pas en s’arrangeant. Quand les enfants arrivent, ça passe ou ça casse ! Je connais beaucoup de couples qui divorcent mais ça peut aussi marcher.
À un moment de la vie d’un couple dans lequel chacun est de culture différente, n’a-t-on pas envie que l’autre ait été bercé dans la même culture ?
Il y a des moments où on est fatigué, oui. En plus, c’est toujours difficile de savoir si la différence vient de la culture ou de la personne. À tel point qu’on dit qu’un couple de même culture sait au bout d’un an s’il fonctionnera ; et que ça prend trois ans pour un couple mixte ! Après six ans avec un Indien et une rupture, j’étais bien décidée à me rapprocher amoureusement de l’Occident. La vie en a décidé autrement…
Finalement l’amour comme nous l’entendons dans notre société judéo-chrétienne, existe-t-il en Inde?
Oui, il existe. Entre parents et enfants il est peu exprimé. Entre membres d’un couple marié arrangé, des sentiments peuvent se développer mais beaucoup moins passionnés que dans l’amour conjugal tel qu’on l’entend à l’étranger. Des Indiens peuvent “tomber amoureux” et vivre leur passion (à l’occidentale) mais très rarement tout casser au nom de ces sentiments. Une amie française pensait que son amoureux indien quitterait sa femme pour elle, alors que ça ne lui a jamais traversé l’esprit…
Alors que pour votre précédent ouvrage, Bandati, petit métis, vous vous étiez auto-éditée, vous avez choisi de trouver un éditeur pour publier S’aimer en Inde. Comment avez-vous effectué vos recherches, comment avez-vous convaincu les Éditions Complicité de publier votre livre ?
Le sujet étant particulièrement sensible, je ressentais le besoin d’avoir un éditeur qui croit en mon projet et puisse me guider. J’ai eu de la chance, un éditeur a accepté de me publier dans les quatre mois après mon début de recherches de maison. Il a plus tard changé d’avis mais ma “machine” était lancée ! J’ai laissé le projet mûrir et j’ai contacté des éditeurs deux ans plus tard. J’ai alors eu encore plus de chance, en trouver une qui me proposait d’être accompagnée par une sexologue indophile (Joëlle Mignot). Elle m’a beaucoup fait bosser mais avoir son aval n’a pas de prix pour moi.
Et pour terminer sur un clin d’œil, que répondez-vous à la question suivante, Est-ce un livre réservé aux femmes ?
Pas du tout ! Il s’adresse à n’importe qui s’intéressant à l’Inde et au fonctionnement de sa société. L’accès à l’amour et à une sexualité plus libre pourrait bien faire vaciller la société indienne, qui repose sur la famille.
Pour en savoir plus sur Émilie Anand et son parcours en Inde, écoutez l’interview réalisé par les forums France-Inde :
Pour se procurer le livre en Inde, un petit mail à anandemilie@gmail.com ou whatsapp à 9819935039 suffit ! On vous le conseille vivement !