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Le commerce illégal d'animaux sauvages en Inde

Dans le monde, les revenus annuels générés par le commerce illégal d’espèces sauvages s’élèvent à environ 20 milliards d’euros. Tous les pays sont touchés par ce fléau et malgré les mesures prises par les autorités, l'Inde est loin d'y échapper. Au cœur de cette contrebande : l'aéroport de Chennai.

cage singe Pexelscage singe Pexels
Écrit par Liliam Boti Llanes
Publié le 26 août 2024, mis à jour le 29 août 2024


Chennai au coeur du commerce illégal d'animaux en Inde

L'aéroport international de Chennai a l'honneur douteux d'être le lieu où le plus grand nombre d'incidents de saisie d'animaux sauvages est signalé en Inde. Il enregistre plus du double des saisies effectuées dans les aéroports de Mumbai ou de Delhi, ce qui souligne l'ampleur croissante du commerce illégal d'espèces sauvages.

On pourrait esperer que Chennai est le leader en matière de saisies en raison de l'efficacité et de la vigilance accrues du Bureau de contrôle de la criminalité liée aux espèces sauvages du Tamil Nadu face au commerce illicite. Mais la réalité est que la ville est l’un des principaux centres de ce commerce illégal dans le pays.

En effet, Chennai compte plus de 20 fermes d'élevage d'animaux exotiques. La contrebande a donné naissance à une nouvelle industrie : l'élevage d'espèces exotiques, certains éleveurs procédant à des croisements et créant de nouvelles espèces, une pratique qui comporte de nombreux risques pour l’environnement. Les prix de certaines espèces sont astronomiques : un couple d’ara bleu peut atteindre 20 000 €, et un ouistiti 12 000 €. Le marché des animaux de compagnie exotiques est donc en plein essor, malgré le fait que de nombreux animaux achetés périssent avant la fin de la première année, incapables de survivre au climat local.
 

Ara bleu. Image : Pexels
Ara bleu. Image : Pexels

Même si des saisies sont effectuées périodiquement, la réalité est que la majeure partie du commerce reste incontrôlée, rendant difficile la quantification de l'ampleur du commerce illégal dans ce pays, comme dans la plupart des autres pays du monde.
 

La législation indienne

Jusqu'à récemment, le commerce des espèces sauvages indigènes indiennes était protégé par la Loi de 1972 sur la protection de la faune. Cependant, les animaux importés d'autres pays étaient peu surveillés une fois entrés sur le territoire indien. Avec les modifications apportées à la loi en 2022, la réglementation a changé, rendant obligatoire la déclaration des animaux exotiques - bien que la définition de ce qui constitue un animal exotique reste floue.

Désormais, pour l'importation légale d'animaux vivants, les passagers doivent posséder une licence d'importation délivrée par la Direction générale du commerce extérieur. De plus, ils doivent obtenir un certificat CITES (Convention sur le commerce international des espèces menacées) du pays exportateur et du pays importateur, ainsi qu'un certificat de fin de quarantaine.
 

Règles de déclaration et d'enregistrement des espèces animales vivantes 2024

Depuis l'approbation des Règles de déclaration et d'enregistrement des espèces animales vivantes 2024, promulguées par le Ministère de l'Environnement, des Forêts et du Changement climatique de l'Union, les propriétaires doivent obligatoirement enregistrer les détails des animaux exotiques sur le portail Parivesh 2.0 dans les 30 jours suivant leur acquisition. Cette initiative vise à obtenir une divulgation volontaire des espèces exotiques déjà présentes dans le pays et celles entrant comme animaux de compagnie.

 

Mulot en cage. Image : Pexels
Image : Pexels

Les propriétaires doivent également déclarer le décès de l'animal, accompagné d'un rapport d'autopsie, et signaler tout transfert. Le croisement d'espèces exotiques avec des espèces indiennes est totalement proscrit. En cas de fuite de l'animal, celle-ci doit être signalée au bureau forestier le plus proche dans les 24 heures.

Ces règles s'appliquent uniquement aux animaux figurant à l'annexe IV de la loi sur la protection de la faune de 1972. Les animaux des annexes I à III, interdits de commerce, ne sont pas concernés.

L'Inde est également signataire de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), en vigueur depuis 1975. Toutes les réglementations liées à son application sont donc également applicables en Inde.
 

La loi existe. Et la situation sur le terrain ?

Pour les grands mammifères, le commerce international ne constitue pas une question urgente en Inde. Il est en effet très difficile d’exporter illégalement un éléphant, un caracal, un ours brun de l’Himalaya ou un tigre. Les problèmes associés aux grands mammifères sont plus terre-à-terre en Inde, les rencontres quotidiennes entre la faune sauvage et les êtres humains, ainsi que la réduction des habitats naturels, étant des enjeux plus pressants.
 

Les conflits entre humains et animaux sauvages dans l'Inde rurale

En revanche, la protection des espèces moins charismatiques est plus difficile. C'est probablement une des raisons pour lesquelles les reptiles constituent le groupe d'animaux le plus souvent rencontrés par les autorités, représentant près de la moitié de toutes les saisies aux postes frontaliers.
 

Les animaux saisis

Toutes les catégories d’animaux sont aujourd’hui en danger à cause du commerce illégal. Des passagers de Chennai ou ceux arrivant dans la ville depuis la Thaïlande, la Malaisie et d'autres pays d'Asie du Sud ont été arrêtés au cours des deux dernières années en transportant toutes sortes d'animaux, avec une liste d'espèces saisies pouvant remplir une encyclopédie animale.

L'animal d’espèce indigène le plus fréquemment saisi aux contrôles frontaliers est la tortue étoilée indienne. Concernant les espèces non indigènes, il s'agit de la tortue à oreilles rouges.

La liste générale comprend quelques grands mammifères comme un bébé kangourou ; des reptiles comme les iguanes verts, les tortues d'Aldabra, les tortues épineuses africaines et les tortues spenglériennes vietnamiennes ; des oiseaux comme les cacatoès ; des petits primates comme les tamarins aux mains jaunes, le cercopithèque Ascagne et les ouistitis ; des rongeurs comme le graphiure, la petite gerboise égyptienne, et le sciurus flammifer, un écureuil endémique du Venezuela. Cette année, un passager a été capturé avec 75 tortues-feuilles asiatiques dans ses bagages enregistrés, et un autre avec 484 tortues à oreilles rouges, les tortues les plus passées en contrebande dans le pays.
 

Python royal. Image : Pexels
Python royal. Image : Pexels

Malgré le très grand nombre de serpents présents en Inde, les serpents exotiques sont également très demandés. Le serpent royal blanc de Californie (Lampropeltis californiae) et le serpent-roi de San Luis ont été trouvés aux côtés des très populaires pythons, devenus parmi les plus demandés dans le commerce illégal d'animaux de compagnie.

Le python birman, l'un des plus grands serpents du monde, est très demandé de nos jours et est continuellement introduit clandestinement en Inde. Cependant, le plus recherché est sans doute le python royal, originaire d'Afrique. Plus de pythons royaux ont été saisis par les autorités que toutes les autres espèces de serpents réunies. Si elles sont capturées au port d'entrée, les espèces non indigènes sont systématiquement renvoyées vers le pays d'où elles proviennent.
 

Le commerce illégal de parties et de substances liées aux animaux sauvages en Inde

L'ambre gris

La contrebande la plus prisée rencontrée par les autorités du Tamil Nadu ces dernières années est une denrée très rare : l'ambre gris. Un kilo vaut 1 Crore, soit environ 120 000 €, sur le marché illégal. Cependant, l’ambre gris commence sa longue chaîne de revendeurs au prix d'un ou deux lakhs, environ 1 200 €, dans les hameaux de pêcheurs du Tamil Nadu.
 

queue de cachalot à la surface de l'océan. Image : Pexels
Image : Pexels


Qu'est-ce que l'ambre gris et pourquoi est-il si recherché ?

L'ambre gris est une substance très recherchée formée à partir des excréments des cachalots. Les cachalots, les plus grosses baleines à dents, vivent environ 60 ans dans la nature, peuvent peser entre 15 et 40 tonnes et habitent tous les océans du monde. Contrairement aux idées reçues, ils ne préfèrent pas les eaux froides. En Inde, on les trouve principalement proches des côtes du Gujarat et d’Odisha, même si les saisies les plus importantes ont toutes été concentrées au Tamil Nadu.

L'ambre gris se forme dans l'estomac d'un cachalot lorsque les parties dures non digérées de sa nourriture créent une obstruction. Cette substance est ensuite expulsée par l'animal. Une fois expulsé, l'ambre gris peut avoir différentes couleurs, mais il devient jaune pâle en séchant et dégage une forte odeur. Il est très rare de le voir à la surface de l’eau ; il doit être collecté au fond de la mer, mais dans des eaux très peu profondes.
 

Le commerce de l’ambre gris

Le commerce de l’ambre gris est interdit dans toute l'Inde puisque les cachalots figurent sur la liste de l'Annexe I de la loi sur la protection de la faune. La manipulation à des fins commerciales de tout produit en rapport avec le cachalot est totalement interdite.

Ce produit cireux sécrété par les cachalots est largement demandé par les parfumeurs du Moyen-Orient et par les praticiens de la médecine unani en Chine comme aphrodisiaque. L'ambre gris est uniquement récolté en mer sans contact avec l'animal, mais il existe un commerce bien plus cruel : le commerce des ailerons de requins.
 

Le commerce lié aux requins

Les eaux entourant l'Inde abritent environ 160 espèces de requins, mais seulement 26 d'entre elles bénéficient de la protection accordée aux espèces inscrites aux annexes I et II de la Wildlife Protection Act de 1972. L'exportation des ailerons de requins de toutes sortes est totalement interdite, conformément à la loi sur le commerce extérieur. Les espèces spécifiques de requins figurant aux annexes I et II sont également interdites à la pêche dans le pays.

Mais comme toute loi, la partie la plus difficile est la mise en place. Un problème majeur est que de nombreux pêcheurs déclarent à tort les espèces non protégées, tandis que l'incapacité à identifier les types de requins dont proviennent les ailerons complique le contrôle.

 

Requin au fond de l'eau. Image : Pexels
Image : Pexels


Une étude publiée par l'ONG TRAFFIC, intitulée Nettled in Illegal Wildlife Trade - Sharks of India, a suivi le commerce des requins en Inde pendant près de 15 ans. Ce rapport récemment publié dresse un tableau sombre de la situation du commerce des requins dans les eaux territoriales indiennes.

Le Tamil Nadu a également la distinction ingrate d'être le premier État indien en matière de commerce illégal des ailerons de requins. Le rapport indique que 65 % des saisies d'ailerons de requins en Inde proviennent de cet État.
 

Pourquoi l'aileron de requin est-il si recherché ?

L'aileron de requin est un mets délicat prisé depuis plusieurs siècles et populaire dans la médecine traditionnelle chinoise. Il est également très demandé à Singapour et en Malaisie, où vivent d’importantes minorités d’origine chinoise. Les nageoires sont recherchées pour préparer de la soupe. Dans une moindre mesure, la viande de requin est également consommée comme aliment, et d'autres parties du requin sont utilisées : la peau comme cuir, les cartilages dans la préparation de médicaments, et l'huile de foie comme lubrifiant dans les cosmétiques.

 

Lémurien. Image : Pexels
Lémurien. Image : Pexels

Tant que le commerce des animaux de compagnie perdurera, ou que certaines des parties des animaux sauvages seront utilisées à des fins thérapeutiques douteuses ou pour d'autres objectifs, le marché illégal ne s'arrêtera jamais.

Rappelons aussi que les animaux extraits de leur environnement peuvent être porteurs de maladies, décimer les populations locales et participer à la destruction des écosystèmes. Nous devrions tous faire de notre mieux pour mettre fin au commerce illégal des animaux sauvages.


 

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