En Inde, pendant les pandémies, les hommes ont fréquemment fait appel à des déesses, que l'on pourrait nommer les divinités des maladies. Elles invoquent la crainte et la peur tout en offrant un secours dans les moments de profonde détresse. En cette période de propagation rapide du coronavirus dans tout le pays, l’apparition d’une déesse Corona, appelée Corona Devi ou Corona Mata, suivant les régions, n’est donc pas surprenante.
Les déesses des maladies sont nombreuses et varient suivant les régions.
Shitala Mata, la déesse de la variole
Shitala Mata, la déesse de la variole, est une divinité régnante qui est vénérée à la fois pour la préservation et pour l'octroi d'enfants de sexe masculin. Adorer cette déesse épargnera les enfants de la variole. En Inde du nord, Shitala est la réincarnation de la déesse Durga qui guérit la varicelle, les plaies, les pustules et les maladies.
Oladevi, la déesse du choléra
En Inde, les épidémies de choléra ont été pendant longtemps endémiques et virulentes. Croyant qu'une aide surnaturelle les protégerait du choléra, les habitants des zones rurales adoraient Oladevi, connue aussi sous le nom d’Ola Bibi ou Olaichandi.
Oladevi était vénérée par toutes les communautés, indépendamment de la religion ou de la caste. Dans les régions à majorité hindoue, elle ressemblait à Laksmi et Saraswati, avait une peau jaune foncé et était vêtue d'un sari bleu. Elle était représentée les mains tendues, debout ou assise avec un enfant sur ses genoux. Alors que la plupart des divinités hindoues ont un vahana ou une monture, Oladevi n'en a pas. Dans les régions à majorité musulmane, elle s'appelait Olabibi et ressemblait à une belle adolescente issue d'une famille aristocratique musulmane. Au lieu d'un sari, elle portait un vêtement ample, un pantalon, une casquette, une odna ou une écharpe et des ornements. Dans une main, elle tenait un bâton pour éliminer les difficultés de ceux qui priaient pour son aide.
Une déesse plus récente, AIDS Ama, la déesse du Sida
Au milieu des années 90, le sida se propageait en Inde et il y avait peu d’informations sur la maladie. Lors de la journée mondiale du sida, le 1er décembre 1997, un instituteur d’un village dans le district de Mysore, dans le Karnataka, peignit la silhouette d'un garçon et d'une fille dos-à-dos pour prévenir les habitants des risques engendrés par les relations sexuelles non protégées. Son initiative conduisit finalement à la construction d’un temple au nom de Aids Amma, la déesse du Sida. Celui-ci est devenu un lieu de culte pour les personnes atteintes de la maladie qui y prient pour un rétablissement rapide et une délivrance de la mort.
La nouvelle déesse Corona mai ou Corona mata
La peur engendrée par le coronavirus et la désinformation sont à l'origine de l’apparition de la toute nouvelle déesse, Corona devi ou Corona mai. En Inde, les communautés tribales vivent souvent dans des zones isolées et éloignées où les établissements de santé modernes ne sont pas accessibles. Les problèmes de santé y sont souvent attribués à la colère des divinités, à l'intrusion d'esprit, aux pratiques magiques telles que les sorcières, les malédictions et le fait de jeter un mauvais œil...
Les lieux de culte étant restés fermés pendant plusieurs mois pour empêcher la contagion, des habitants du Bihar, du Jharkhand, de l'Assam et du Bengale, mais aussi du Maharashtra ou du Kerala ont commencé à invoquer la déesse Corona pour qu’elle les épargne et les libère du coronavirus.
“Je vénère le coronavirus en tant que déesse et je fais des prières quotidiennes pour la sécurité et le bien-être des professionnels de la santé, du personnel policier et des scientifiques, qui peinent à découvrir un vaccin,” affirme Anilan, un prêtre du Kerala.
A l’autre bout du pays, au nord de l’Assam, un groupe de femmes s’est récemment rassemblé sur les rives d’une rivière pour exécuter une prière à “Corona mai”, qui, selon elles, détruira le virus qui a tué des milliers de personnes dans le monde. Des images similaires de femmes offrant des prières à la déesse “Corona mai” dans le Jharkhand ont également circulé.
“Armés de bonbons, d'encens, de fleurs et de clous de girofle chargés de ghee (beurre clarifié), les femmes et les prêtres de ces régions se sont donné pour mission d'apaiser Corona Mata et d'étancher sa soif de sang. En enterrant les objets, on croit que la divinité épargnera à leurs familles d'être affligées par cette maladie”, peut-on lire dans la presse locale.
Et à quoi ressemble Corona mai ? Pour le prêtre du Kerala qui lui a dédié un coin de son temple, elle a la forme du virus tel qu'il a été montré dans tous les journaux, mais pour les femmes de l'Assam, elle est sans forme. Elle est le vent qui secoue leurs maisons au toit de tuiles la nuit, le soleil, l'eau de l'étang à proximité...
Parallèlement, dans le milieux urbains, les réseaux sociaux servent d’amplificateur de la popularité de la divinité souvent sous la forme de mèmes. Les hashtags #Coronamai et #superstition apparaissent fréquemment.
#CoronaMai - In many villages of Bihar, women have resorted to worshipping what they call #CoronaMai, a perceived angry goddess who shall turn benevolent if prayers are offered.
— Dr Navneet Anand (@navneetanand) June 5, 2020
This is a manifestation of how fear & despair fuel superstition, and complete submission to almighty. pic.twitter.com/7pc0if5l27