Édition internationale

Entre deux mondes : l’esprit entrepreneurial de la mobilité globale

Du cercle d’expats à la communauté mondiale : comment Sabiya a transformé la mobilité en moteur créatif.

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Écrit par Marie-Helene Lapina
Publié le 2 novembre 2025, mis à jour le 5 novembre 2025

 

Une vie entre les mondes

Rien ne disposait vraiment Sabiya à adopter un mode de vie nomade. Née et élevée en Inde, elle imaginait un parcours stable, ancré dans une ville, une carrière, un bureau. Mais la vie en a décidé autrement. Son histoire s’est écrite au fil des déplacements, de Mumbai à Stockholm, de Pune à Anvers, puis de la Belgique à la Caroline du Nord, jusqu’à faire d’elle une voix singulière dans l’univers de la mobilité internationale.

Au départ, rien d’un plan de carrière international. Simplement une rencontre, celle de celui qui deviendra son mari, un expatrié alors basé en Inde. À travers lui, Sabiya découvre un univers à part : celui des étrangers venus s’installer dans son propre pays, avec leurs codes, leurs habitudes, leurs cafés sans service et leurs silences polis. Curieuse, elle observe, compare, questionne. Elle remarque ces détails minuscules qui traduisent un choc culturel plus vaste : la manière de dire bonjour, de gérer le travail, d’occuper l’espace.

 

 

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Ces premières affinités avec le monde expatrié la conduisent rapidement à travailler dans des environnements internationaux. D’abord chez Credit Suisse, puis au sein d’Allianz. Elle y apprend à naviguer entre cultures, à jongler entre la rigueur helvétique, la diplomatie anglo-saxonne et la spontanéité indienne. Ce n’est pas encore de l’expatriation, mais déjà une immersion.

Et puis un jour, tout bascule : elle quitte l’Inde pour la Suède. Stockholm devient le premier chapitre d’une série de vies parallèles. Là-bas, Sabiya découvre la solitude des débuts, la neige qui tombe sans crier gare, le poids du silence nordique.

Mais elle découvre aussi la liberté. « Je ne savais pas encore le nommer, mais ce que je vivais, c’était la mobilité, avec tout ce qu’elle a d’inconfortable et de stimulant ». 

De retour à Pune, puis repartie à Anvers, elle comprend que la mobilité n’est pas une parenthèse, mais une condition. En Belgique, elle fait face à une réalité plus intime : son mari est local, elle est étrangère. L’expatriation change de sens : elle n’est plus celle qui accueille, mais celle qui apprend à s’intégrer. Apprendre la langue, comprendre les codes, décoder les non-dits. Elle observe, encore. Elle prend des notes, sans savoir que ces fragments d’expérience deviendront, quelques années plus tard, la matière d’un projet plus vaste : un podcast dédié à la vie en mouvement.

Aujourd’hui, Sabiya se situe à l’intersection entre deux mondes : celui des Indiens enracinés et celui des expatriés de passage. Elle parle les deux langues, au sens propre comme au figuré. Elle comprend la nostalgie du retour, l’enthousiasme du départ, les conversations bancales entre cultures qui se cherchent sans toujours se comprendre. Et c’est dans cet entre-deux qu’elle a trouvé sa place, mais aussi sa mission : créer du lien là où il n’y en avait pas encore.

 

 

De l’isolement à l’infrastructure

Les premières années de vie à l’étranger sont rarement romantiques. Entre l’émerveillement et la désorientation, il y a un long espace où tout semble suspendu : les amitiés, la carrière, parfois même l’identité. Sabiya, elle, a choisi d’habiter cet espace au lieu de le subir.

En Inde, elle réalise que les expatriés partagent les mêmes questions, les mêmes frustrations, les mêmes hésitations : où trouver un pédiatre de confiance ? Un coiffeur qui comprend vos cheveux ? Un endroit où célébrer Noël loin de chez soi ? Autant de microdétails qui composent la réalité du quotidien, et dont personne ne parle vraiment.

Avec une amie, elle décide de créer une petite plateforme d’entraide : un site recensant les bonnes adresses, les activités pour enfants, les services essentiels. Au départ, rien d’ambitieux, juste un besoin sincère de faire gagner du temps à ceux qui arrivent et d’offrir un repère dans la désorganisation du départ. Mais très vite, le duo comprend que la liste ne suffit pas. Ce qui manque, ce ne sont pas les informations : ce sont les histoires, celles de la vraie vie.

Son amie quittant l’Inde et souhaitant explorer d’autres horizons, Sabiya décide de continuer solo et de changer de format. Elle commence à interviewer des expatriés autour d’elle. Au début, ce sont des conversations simples : un café partagé, un micro allumé, une envie d’écouter. Une femme turque lui parle de sa grossesse à Pune et des soins médicaux qu’elle a dû improviser. Une Vénézuélienne raconte son premier Noël en Inde, les ingrédients introuvables, le bricolage affectueux des traditions. Une Autrichienne évoque les randonnées familiales et le bonheur de redécouvrir la nature sous un autre climat.

Ces échanges, d’abord modestes, deviennent un fil conducteur. Sabiya découvre que chaque récit révèle un fragment d’humanité : la peur, la curiosité, la solitude, la joie. Et surtout, elle réalise que ces moments de partage ont un effet inattendu. Les invités sortent souvent bouleversés, apaisés, reconnaissants d’avoir pu mettre des mots sur ce qu’ils vivaient sans jamais l’exprimer.

 

« Deux des femmes que j’ai interviewées ont fini en larmes, se souvient-elle. Pas de tristesse, mais parce qu’elles se sont senties entendues. C’est là que j’ai compris : ce que je faisais n’était pas juste de la documentation, c’était de la connexion. »

À partir de ce moment, l’idée du podcast s’impose naturellement. Sabiya veut donner une voix (littéralement !) à ces trajectoires en mouvement constant. C’est ainsi qu’est né le Rooted and Routed Podcast, un espace d’échanges où les identités nomades se racontent sans filtre, entre rires, doutes et réinventions.

Elle n’a pas de formation en journalisme ni en production audio, mais elle apprend tout : la lumière, le son, les angles, la diffusion. Elle lit, regarde, écoute. Elle expérimente. Et elle comprend très vite que la clé n’est pas technique, mais humaine : créer un espace où chacun peut raconter son parcours sans filtre, ni performance.

Ce qui avait commencé comme un petit site d’expat devient alors un laboratoire d’histoires internationales, sans frontières ni attachements, un projet à mi-chemin entre création et entrepreneuriat. Sabiya a trouvé son sujet, mais surtout sa voix.

 

 

Le déclic entrepreneurial en Inde

Créer un podcast quand on n’a jamais touché une caméra ni ouvert un logiciel de montage n’a rien d’évident. Mais Sabiya n’a jamais vraiment fonctionné selon les règles du confort. Elle a toujours appris en marchant, en observant, en recommençant. Cette fois encore, elle s’improvise technicienne, productrice, communicante, marketeuse.

Le déclic n’est pas venu d’une stratégie, mais d’une émotion : celle que provoquaient ses premières interviews. Ces moments suspendus, pleins de sincérité, avaient un potentiel bien plus fort qu’elle ne l’avait imaginé. Elle décide alors de donner à ces histoires un véritable écrin : un podcast à son image: sincère, multiculturel et sans artifices.

Mais la route est longue avant d’allumer le micro. Elle passe des heures à comprendre la lumière, à choisir le bon micro, à explorer les plateformes de diffusion, à apprendre les codes du storytelling audio. Chaque détail devient un apprentissage : comment cadrer une conversation, comment gérer la nervosité des invités, comment transformer un échange intime en narration publique.

Peu à peu, Sabiya comprend qu’elle n’est pas seulement en train de créer du contenu : elle est en train de bâtir une micro-entreprise fondée sur la confiance, la curiosité et la mobilité.


L’expatriation, qu’elle avait longtemps vécue comme un entre-deux, devient un atout professionnel. Chaque déménagement lui apprend à s’adapter, à observer avant d’agir, à traduire les codes d’un monde à l’autre. Aujourd’hui, ces mêmes compétences lui permettent de naviguer entre les sphères du digital, de la communication et de la création de marque.

 

« La mobilité, c’est une école d’entrepreneuriat déguisée », dit-elle en riant.

 

Et elle a raison : quand on change de pays tous les deux ou trois ans, on apprend à recommencer, à improviser, à se réinventer. On devient stratégique sans même s’en apercevoir. 

Sabiya applique cette logique à son projet. Chaque épisode devient une petite entreprise : trouver le bon invité, comprendre sa culture, ajuster le ton, anticiper les réactions du public. La rigueur qu’elle avait développée en entreprise se marie à la sensibilité qu’elle a acquise sur le terrain.

Très vite, le podcast prend forme. Les premiers épisodes sont intimes, presque artisanaux. On entend parfois le souffle, les hésitations, les rires. Mais le fond est là : une honnêteté rare, une écoute vraie, et parfois même crue.

 

 

 

 

Et ça fonctionne plutôt bien ! L’audience grandit, les retours se multiplient, les invitations aussi. Ce n’est plus un passe-temps : c’est une aventure professionnelle.

Sabiya se forme en parallèle aux stratégies de visibilité, apprend à décrypter les algorithmes, s’intéresse au SEO, au rythme de publication, à la fidélisation de l’audience. Ce n’est plus seulement une créatrice : c’est une entrepreneuse de contenu, une femme qui a transformé la mobilité en modèle économique et créatif.

 

 

Une micro-entreprise mondiale

Ce qui avait commencé sur un balcon à Pune, avec un micro d’appoint et trois invitées bienveillantes, s’est peu à peu transformé en un podcast suivi sur plusieurs continents.
En quelques mois, Sabiya a enregistré une cinquantaine d’épisodes, rassemblant un public fidèle composé d’expatriés, de “repats” expatriés en retour, de diplomates, mais aussi d’entrepreneurs en quête de sens et de stabilité émotionnelle dans un monde mouvant.

Chaque épisode devient une fenêtre sur un fragment d’humanité.


On y parle de parentalité à l’étranger, d’identité, de reconversion, de solitude, de succès inattendus, de culture du travail et de transformation personnelle. Le ton est libre, souvent spontané, loin des formats calibrés des talk-shows traditionnels.
Sabiya écoute sans interrompre, pose une question au bon moment, fait émerger ce qu’il y a de plus universel dans des histoires très singulières.

Rapidement, le podcast devient un lieu de passage.
Des femmes d’affaires, des artistes, des conjoints expatriés, des professionnels du développement international, des fondateurs de start-ups s’y croisent et se reconnaissent. Pour certains, cette visibilité débouche sur des opportunités : collaborations, conférences, partenariats. Pour d’autres, c’est une forme de thérapie, une reconnaissance symbolique de parcours invisibles.

« Ce qui me touche le plus, confie-t-elle, c’est quand une invitée me dit qu’elle s’est sentie enfin comprise. On parle beaucoup de carrière et de performance, mais très peu de ce que cela coûte humainement d’être toujours en mouvement. »

En arrière-plan, Sabiya professionnalise son approche : calendrier de publication, stratégie de diffusion, animation de communauté, veille thématique. Elle apprend à travailler avec des monteurs, des graphistes, des partenaires. Le podcast devient une micro-entreprise à part entière, structurée, cohérente, avec sa ligne éditoriale, son identité visuelle, sa stratégie d’audience.

Mais au-delà des chiffres, c’est le sens qui la guide.
Le projet reste ancré dans une philosophie : montrer que la mobilité n’est pas une fuite, mais une forme d’entrepreneuriat intérieur. Vivre entre deux pays, deux cultures, deux temporalités, c’est apprendre à gérer l’incertitude, à cultiver la résilience et à créer de la valeur à partir de soi.

Aujourd’hui, Sabiya ambitionne de franchir une nouvelle étape : devenir partenaire officielle de YouTube, non seulement pour monétiser son travail, mais pour institutionnaliser la voix de cette communauté nomade qu’elle représente.
À travers son micro, elle fait exister un espace où les frontières s’estompent, où la mobilité devient langage commun, et où l’expérience personnelle se transforme en savoir collectif.

 

 

Réimaginer la définition de la réussite 

Le succès, pour Sabiya, n’a jamais eu la forme d’une promotion ou d’un contrat signé. Il ressemble plutôt à une conversation qui résonne, à une rencontre qui dépasse les frontières, à un message reçu d’une auditrice à l’autre bout du monde.
Son parcours, fait de détours et de recommencements, lui a appris que la réussite n’est pas un sommet, mais une trajectoire mouvante, imparfaite, mais profondément humaine.

« Chaque déménagement m’a forcée à tout réapprendre : les gestes, les codes, les amitiés, les ambitions. Et avec le recul, je crois que c’est cette instabilité qui m’a donné ma liberté »

Son podcast, désormais écouté dans plusieurs pays, est devenu un miroir des mutations du monde du travail : il montre comment la mobilité forge une génération d’entrepreneurs invisibles, capables de créer leur propre système, leur propre réseau, leur propre métier. Ces créateurs sans frontières ne construisent pas des empires, mais des écosystèmes vivants, faits de récits, de liens et d’opportunités partagées.

Sabiya, elle, continue de tracer sa route. Son micro est devenu un espace d’accueil, de dialogue et de sens. Elle s’y installe à chaque nouvel enregistrement, comme d’autres posent une valise.
Et à travers chaque voix qu’elle amplifie, elle ancre un peu plus sa propre histoire : celle d’une femme qui a transformé la mobilité en moteur créatif, et l’entre-deux en un lieu d’appartenance.

 

 

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Retrouvez le podcast Rooted and Routed sur youtube en cliquant ici.

 

 

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