Afin d'appréhender les impacts du confinement en Inde sur les Français y résidant, mais aussi en vue de partager avec la communauté, et de recréer du lien social, la rédaction vous propose chaque jour un ou deux témoignages de personnes aux profils divers.
Aujourd’hui, nous donnons la parole à Luca Pueyo, attaché de presse et communication au Consulat général de France à Mumbai et à Lorena Paredes, une Espagnole, mariée à un Français et installée à Ahmedabad dans le Gujarat avec ses trois enfants depuis l'été 2017.
Luca Pueyo : j’ai "fraternisé" avec les gardiens de la résidence et les voisins, mes "compagnons d'enfermement" !
Ma situation est particulière : trois semaines après le début du confinement, le syndic de mon immeuble a décidé d'instaurer des règles sanitaires très strictes. Pour faire simple, plus personne n'est autorisé à sortir au-delà des murs de la résidence !
Je suis donc passé soudainement du statut de "chanceux" autorisé à sortir quotidiennement pour aller travailler à celui de "reclus", contraint d'évoluer sur le territoire restreint que constituent mon building et son parking…
Depuis un mois donc, ma résidence est devenue un îlot un peu coupé du monde, où il a fallu s'organiser : création d'un groupe WhatsApp pour commander à manger, passage de vendeurs ambulants à la grille… Et à titre personnel, j'ai la chance d'avoir un couple d'amis ultra-serviables qui viennent me ravitailler plusieurs fois par semaine !
Un peu frustrant à la longue, mais pas de quoi devenir fou non plus. Déjà, le fait de télé-travailler permet de garder un certain rythme et comme je travaille pour le Consulat de France, pas de risque que je m'ennuie : en période de crise comme en ce moment, il y a de quoi faire ! Répondre aux appels téléphoniques, enregistrer les touristes bloqués en Inde et qui veulent rentrer en France, donner des informations aux ressortissants inquiets... Nous sommes sollicités comme jamais, mais on se sent utiles !
Personnellement, après quelques jours de flottement au début, mon organisation s'est mise en place : sport, travail, suivi de l'actualité, musique...finalement une routine s'établit assez vite. Comme je suis tout seul chez moi, je suis assez libre de mon emploi du temps, du moment que je reste joignable et connecté.
Il faut prendre cette drôle de période avec philosophie, nous ne sommes pas les plus à plaindre, et puis elle offre aussi du temps, quel luxe ! J'ai sans doute lu plus de livres et vu plus de films en un mois que sur les six précédents. Enfin, ça m'a permis de "fraterniser" avec les gardiens de la résidence et les voisins, mes "compagnons d'enfermement". Se retrouver à marcher tous ensemble autour du building pour faire notre exercice quotidien, ça crée des liens !
******
Lorena Paredes : Partir ou non ? Si oui comment et à quel moment ?
Depuis le 8 mars, lorsque j’ai commencé à écouter et lire sur la situation en Espagne et que j’ai commencé à tousser, j’ai décidé de rester à la maison. Jamais je n’aurais imaginé qu’aujourd’hui, presque deux mois plus tard, je serais encore à la maison. Mes trois filles sont allées à l’école jusqu’au 13 mars. Les examens étaient prévus la semaine d’après, mais, au regard de la situation et des craintes de quelques parents (moi la première), l’école avait pris des mesures avant le communiqué officiel du Gouvernement le 15 mars.
Au début, c’était l’incertitude : Devons-nous partir en Europe ou devons-nous rester à Ahmedabad ? Personne n’avait la réponse correcte. Il faut dire qu’autant le Consulat espagnol que le Consulat français ne disposait des éléments pour nous rassurer, mais ils étaient à l’écoute.
A cette période-là, il y avait des histoires vraiment surprenantes, entre les touristes bloqués en Inde, aucun hôtel ne les acceptant, et les résidents étrangers jetés de leur maison par leurs voisins, simplement parce qu’ils n’étaient pas Indiens. Une jeune fille espagnole nous a, à ce moment-là, contacté car elle était bloquée dans une petite ville à 7 heures d’Ahmedabad et n’avait aucun moyen de quitter cette ville alors que les voisins n’acceptaient plus qu’elle reste dans la famille d’accueil où elle résidait… Il était alors clair que les touristes avaient la priorité pour partir. Nous, les résidents, devions attendre.
Une fois la plupart des touristes rentrés en Europe, nous nous sommes de nouveau posés la question de partir ou non. A ce moment-là, nous avions cependant trouvé un équilibre et une organisation : nous savions comment nous procurer de la nourriture malgré le confinement. Mission pas simple en Inde en ces jours si spéciaux en particulier dans un état comme le Gujarat plutôt conservateur.
Toute la nourriture non végétarienne y est considérée comme un produit non essentiel : le poulet et les œufs sont donc difficiles à trouver. Les supermarchés restent fermés. Quelques petits vendeurs viennent parfois jusqu’à notre rue afin de vendre du lait, des légumes et des fruits.
Mais grâce au réseau des étrangers d’Ahmedabad, on s’entraide et on se passe des tuyaux afin de trouver le nécessaire.
A ce moment-là, nous aurions eu la possibilité de rentrer. Mais, mon mari devant rester à Ahmedabad pour son travail, et partir signifiant que nous ne savions pas quand nous pourrions de nouveau être ensemble, nous sommes restés et sommes toujours à Ahmedabad…
De plus, au regard des règles actuelles des autorités indiennes, si nous quittons le pays, notre visa est annulé. Un tel départ présente aussi quelques risques : un voyage de 10 heures en voiture de la maison à l’aéroport avec de possibles problèmes sur la route car la circulation est restreinte et les frontières des états sont fermées, le risque de ne pas trouver de moyen de transport pour aller d’Amsterdam vers le sud de la France où la famille de mon mari réside et l’incertitude de pas pouvoir ou non entrer sur le territoire français car je ne suis ni française ni résidente en France. Au regard de tous ces soucis ajoutés aux risques de contracter le virus pendant le voyage, il nous a semblé plus approprié de rester à Ahmedabad… tous ensemble.
Notre objectif maintenant est de partir mi-juin car ce sera la fin de notre mission. Les incertitudes sont encore aujourd’hui nombreuses quant au nombre de cas positifs et des décès qui continuent d’augmenter malgré le confinement.
NDLR: Peu de temps après que Lorena nous a envoyé son témoignage, elle nous a recontacté pour nous annoncer que tous les commerces allaient fermer ce jour (le 6/05) pour 7 jours, y compris les commerces de nourriture. Aucune livraison ne sera possible. Seul le lait sera disponible. L'objectif derrière cette mesure est de tester toutes les personnes travaillant dans ces commerces, considérées comme “super-spreader”, alors que l’Etat enregistre une augmentation des cas positifs de Covid-19. Une situation angoissante pour la famille. Nous leur souhaitons bon courage.
Les habitants d’Ahmedabad se sont précipités dans la rue pour se ravitailler avant la fermeture de tous les commerces le 6 mai à minuit
La rédaction vous donne rendez-vous demain pour les prochains témoignages. N'hésitez pas à nous envoyer le vôtre si vous souhaitez le partager (bombay@lepetitjournal.com).
Pour être sûr de recevoir GRATUITEMENT tous les jours notre newsletter (du lundi au vendredi) (attention Bombay est tout en bas de la liste), Ou nous suivre sur Facebook.