Depuis 1984, l’Inde et le Pakistan se disputent le glacier de Siachen, le plus long de la chaine de Karakoram dans l’Himalaya. Les deux pays maintiennent une présence militaire permanente sur le glacier à plus de 6000 mètres d’altitude. Chaque armée a perdu plus de soldats à cause des conditions météorologiques extrêmes que des suites des altercations.
Lorsque les Nations Unies ont rédigé l’accord de Karachi en 1949 puis l’accord de Shimla en 1972, délimitant la ligne de cessez le feu entre les deux pays dans l’Himalaya (la fameuse Ligne de Contrôle, la LOC), les officiels de l’ONU n’ont pas jugé nécessaire de stipuler quel pays allait contrôler le glacier, estimant que cette zone était trop élevée et inhospitalière. Ils s’étaient complètement trompés ! Les hostilités ont démarré en 1984 lorsque l’Inde prit position sur le glacier après avoir eu vent d’intentions similaires de la part du Pakistan. Un cessez le feu a été signé en 2003 et depuis, les deux armées campent sur leurs positions mais les soldats continuent de mourir de froid ou ensevelis par des avalanches comme ce fut le cas en 2012 pour un bataillon de Pakistanais.
Il y aurait environ 150 postes de contrôle sur le glacier et chaque pays y maintiendrait 3000 soldats, l’Inde occupant les positions les plus hautes tout le long de la chaine Saltoro et le Pakistan étant en contrebas. Les coûts engendrés par cette opération ont été évalués à 300 millions de dollars pour l’Inde et 200 millions de dollars pour le Pakistan. Ce conflit accumule les records : les seuls habitants sont les soldats, c’est le champ de bataille le plus élevé au monde, la température peut descendre jusqu’à moins 40 degrés Celsius, et même plus en cas de blizzard, l’Inde y a construit la piste d’atterrissage pour hélicoptère la plus élevée au monde à 6400 m d’altitude ainsi que la cabine de téléphone la plus élevée. L’accès par la route est impossible, du côté indien, les soldats doivent marcher pendant 28 jours sur une distance de 128 km pour atteindre le poste le plus éloigné.
Evidemment, vivre à une altitude aussi élevée comporte de nombreuses contraintes dues au froid et à la raréfaction de l’oxygène. Un des problèmes rencontrés par les soldats indiens qui séjournent pendant 3 mois d’affilée sur le glacier est l’impossibilité de se laver, l’eau à l’état de liquide étant une ressource rare ! Et comme le dit un officier y ayant séjourné : “ Faire fondre l’eau du glacier pour se laver est impensable car cela nécessiterait trop de carburant.”
Mais, l’homme n’étant jamais à court d’idées, le Army Design Bureau (ADB) aurait mis au point, en collaboration avec l’Institut de Technologie de New Delhi, un gel de lavage sans eau. D’après le Hindustan Times, le produit a été testé avec succès par le commandement militaire de l’Est en charge de surveiller la frontière disputée entre l’Inde et la Chine. Apparemment, les soldats postés sur le glacier de Siachen devraient bientôt recevoir ce gel miracle. Un membre de l’armée s’en réjouit : “Chaque soldat en poste sur le glacier ne peut pas se laver pendant 90 jours. Ce ne sera plus le cas avec le gel lavant sans eau qui leur permettra d’être propres 2 fois par semaine. Seulement 20 ml de gel sont nécessaires pour une seule personne.”
Le ADB a été fondé en 2016 pour promouvoir la recherche et le développement et le partenariat avec le secteur privé afin de répondre aux besoins de l’armée. Toujours selon le Hindustan times, il aurait identifié 130 problèmes auxquels sont confrontés les bataillons postés en haute altitude et travaillerait à leur résolution. Les principaux sujets concernent une baisse de performance des moteurs des tanks et des véhicules de combat, la difficulté de construire des ponts pour faciliter le mouvement des troupes dans la montagne, des gilets intelligents incluant un code d’identification pour les soldats et des robots permettant de transporter les équipements. Environ 25 solutions auraient déjà été trouvées.
Pour l’Inde, le glacier de Siachen et la chaine de Saltoro joue un rôle important dans la défense du pays en formant un barrage contre une possible incursion sino-pakistanaise au Laddakh. Il sert de tampon entre le Baltistan, zone du Cachemire occupée par le Pakistan et la vallée du Shaksgam cédée à la Chine par le Pakistan en 1962 (illégalement pour les Indiens car cette zone fait aussi partie de l’état du Jammu and Kashmir selon l’Inde).
Le coût élevé du maintien de l’armée au Siachen, que ce soit humain ou financier, a généré à plusieurs reprises des appels à la démilitarisation de la zone. Mais, jusqu’à présent, ni l’Inde ni le Pakistan ne les ont entendus. Avant d’entamer toute discussion sur le sujet, l’armée indienne exige que ses positions actuelles le long de la chaine de Saltoro soient répertoriées et acceptées par les deux parties, ce que le Pakistan refuse évidemment puisque cela allouerait automatiquement ce territoire à l’Inde.
Happymon Jacob, professeur associé à l’université Jawaharlal Nehru à New Delhi et auteur de l’ouvrage Kashmir and Indo-Pak Relations : Politics of Reconciliation, a déclaré au site The Diplomat : “Aucune concentration de forces armées sur le glacier ne peut aider l’Inde à arrêter ce que l’on appelle les objectifs chinois dans la région du Karakoram ou ne peut être utilisée par l’Inde pour lancer des offensives militaires contre le Pakistan ou la Chine. En conséquence, le contrôle du glacier par l’Inde est plus symbolique et politique que stratégique ou militaire.”