Récit de voyage dans le plateau du Deccan en train de luxe inspiré des trains privés utilisés jadis par les Maharajas. Le Deccan est un plateau triangulaire de granit et de basalte qui couvre l’essentiel de l’Inde péninsulaire. Drainé par de nombreux cours d’eaux, il a tout d’un vaste jardin luxuriant qui fait vivre une population particulièrement dense même dans l’arrière-pays. Le train, encore appelé the Blue Limousine on Rollings Wheels, a été conçu pour se concentrer sur cette région à l’Est de Mumbai, loin des attractions emblématiques classiques, afin de promouvoir des destinations insolites riches en histoire et en patrimoine culturel. Aujourd’hui il propose 6 itinéraires différents dont certains n’hésitent pas à sortir des frontières de l’Etat du Maharashtra.
Mumbai, capitale du Maharashtra, est le point de départ et d’arrivée de cette croisière ferroviaire, une invitation à y consacrer au moins deux jours de visite en fin de parcours, après avoir appris à appréhender les coutumes de ce pays grâce aux nombreuses anecdotes partagées par les excellents guides qui accompagnent la croisière et vous aident à décoder leur culture.
Le circuit Deccan Odyssey part de la célèbre gare Victoria (appelée maintenant Chhatrapati Shivaji Terminus) et emmène ses passagers, en sept jours, dans les lieux historiques et culturels des états du Maharashtra et de Goa .
Voici étape par étape, nos impressions de voyage :
Jour 1 : Mumbai, gare Victoria.
Un quai uniquement destiné à accueillir les passagers du Deccan Odyssey s’est converti en salle de spectacle avec danses colorées autour des passagers qui arborent un collier de fleurs de jasmin et un point vermillon sur le front à la mode indienne, signe de bienvenue. Quand le train bleu entre enfin en gare en étirant ses 21 wagons capables d’accueillir quelque 80 passagers, c’est l’émerveillement et chacun cherche à repérer le sien. Le temps que le tapis rouge soit installé devant chaque porte, on peut enfin se glisser dans ce qui deviendra notre nouveau home pendant une semaine. Chaque wagon compte 4 cabines avec une décoration propre qui évoque différentes époques royales du Maharashtra régies jadis par diverses dynasties. Une salle d’eau privée complète l’espace qui s’avère très confortable avec une grande fenêtre ouverte sur l’extérieur. Le majordome de wagon nous invite à découvrir toutes les astuces de rangement et de climatisation et c’est avec un plaisir enfantin que l’on vide ses valises. Le départ est donné et très vite la nuit qui tombe tôt dans les tropiques masque le paysage. C’est l’heure de partir à la découverte des espaces communs : un bar, un salon, deux restaurants et un spa, tous animés par des serveurs stylés qui assurent un service impeccable sans oublier la haute qualité gastronomique de nos tables. Pas étonnant, c’est le groupe hôtelier Taj qui veille au grain !
Jour 2 : Nashik.
Au lendemain d’une nuit bercée par les mouvements du train, on se réveille à Nashik, à quelque 180 km au nord de Mumbai. Une ville inconnue pour nous et pourtant très fréquentée par les autochtones car c’est ici que Rama, un roi mythique de l’Inde antique, aurait vécu durant 14 ans. Une légende qui en fait une des 4 villes de pèlerinage dans ce pays, la seule au centre, les 3 autres étant dans le nord. Une ville connue aussi pour être une place importante du commerce indien avec les contrées étrangères. Ptolémée en parle déjà au 2ème siècle avant notre ère ! Aujourd’hui, les temples nous paraissent peu entretenus car les murs de basalte sont recouverts de mousse inévitable au lendemain de la mousson qui inonde la ville durant trois mois. Mais le soleil tropical qui sévit le reste de l’année assèche cette mousse qui noircit alors les murs. Personne n’imagine les poncer année après année et les sites si peu attrayants soient-ils de l’extérieur n’en sont pas moins bondés de l’intérieur. La même foule occupe les ghâts, à savoir les marches qui permettent de descendre dans le bassin sacré sur la rivière Godavari, la plus longue de l’Inde, là où Rama et son épouse Sîtâ se sont baignés jadis, là où une partie des cendres de Nehru et de Indira Gandhi ont été déversées. Nombreux sont les hommes qui viennent avec leurs fils se plonger dans le bassin pour fêter ici en famille la fin d’un deuil. Ils se sont rasés la tête pour l’occasion et ils font leurs ablutions en abandonnant des offrandes, souvent des coupelles garnies d’œillets d’Inde ou des pièces que plus loin des gamins tâchent de récupérer en nageant sous l’eau… Pendant ce temps les femmes qui ont trempé leurs mains dans la source sacrée attendent en bavardant sur les marches au pied des temples.
De retour au train, magie de se laisser emporter en rêvassant devant un paysage agricole qui défile lentement tel un patchwork de petits lopins de terre aux cultures plus variées les unes que les autres : céréales, légumes, vergers, œillets d’Inde orangés dont les couleurs accrochent la lumière et même des vignes qui produisent du Sula, un chenin blanc bien agréable à l’heure de l’apéritif.
Jours 3 et 4 : deux sites Unesco : Ellora et Ajanta
Le dieu Ganesh soutenu par de jeunes et beaux danseurs nous accueillent en gare d’Aurangabad, une ville importante de garnison militaire qui fait vivre la population. Le quai de la gare se prolonge pourtant par un bidonville de tôles et de cartons où à cette heure matinale, les hommes se brossent paisiblement les dents pendant que les femmes s’activent autour des braseros en observant notre train quelque peu incongru dans leur décor. Des cochons dodus se vautrent dans les déchets de papier et plastiques qu’ils ne parviennent pas à éliminer. Les grottes d’Ellora à une demi-heure à peine de la ville nous permettent de découvrir une vaste plaine hérissée par une ancienne forteresse et plus loin un ensemble d’une centaine de grottes excavées dont 34 sont ouvertes au public, la plupart bouddhistes et d’autres hindoues. Elles s’étirent sur ce qui fut du 7ème au 10ème siècle la route des caravanes où elles servaient de chapelles, de temples et de viharas, à savoir des monastères. La grotte n°10, la seule à abriter un stupa, est particulièrement raffinée avec son magnifique plafond d’arches qui en font une nef haute avec une forme absidiale qui renvoie l’écho de la voix. A l’intérieur trône une statue de Bouddha assis sous un dais surmonté d’une ombrelle, le tout sculpté dans la pierre, tandis que la galerie supérieure et son balcon servent à recevoir les dignitaires de marque mais aussi à ouvrir la grotte vers l’extérieur afin d’amener la lumière sur Bouddha. Le plus beau monument est sans aucun doute le temple de Kailash (n°16), la plus grande grotte au monde qui soit excavée pour construire un site d’un seul tenant qui a l’allure d’un chariot avec son timon et son joug. Une merveille d’ingénierie qu‘il faut découvrir du haut de la falaise. Il fallut évacuer quelque 200.000 tonnes de roche creusée au marteau et au burin avant de donner sa forme au temple et d’ajouter sa décoration sculpturale qui tient de la dentelle de pierre.
Le lendemain, nous descendons à Pochora, la gare la plus proche du site d’Ajanta à 1h30 de bus. Les grottes sont ici plus anciennes encore, creusées dans la paroi abrupte d’une gorge en forme de fer à cheval, bordant une rivière en contrebas qui au fil des siècles et des crues a inondé les lieux abandonnant des tonnes d’argile qui en ont peu à peu occulté les entrées. C’est en avril 1819 au cours d’une partie de chasse qu’un officier britannique a découvert une étrange cavité qui s’est avérée être la porte d’entrée de la plus ancienne grotte, 2ème siècle avant notre ère. Il s’agit d’une chaitya, un sanctuaire renfermant un stupa, avec un plan en croix comme une église. Aux voûtes des déambulatoires, on découvre de nombreuses alvéoles avec des figures de Bouddha. Le plafond en pierre est nervuré tout comme à Ellora et soutenu par une quarantaine de colonnes peintes. Ce sont ces fresques à la détrempe qui donnent à ces grottes une valeur patrimoniale inestimable. Leur plus grand intérêt est dans les scènes de la vie courante qui y sont dépeintes, les musiciens qui jouent d’un instrument d’époque, une princesse se maquillant ou encore un couple amoureux consommant du vin.
Jour 4, Kolhapur.
Près de 750 km nous séparent de la prochaine étape, de quoi profiter du confort du train, s’installer au salon ou au bar, les yeux rivés sur le paysage qui défile d’une gare à l’autre. Nous filons vers le Sud cette fois et comme les hasards de la circulation ferroviaire nocturne ont permis d’arriver à 9h au lieu de 11h, plusieurs en profitent pour s’offrir une petite escapade autonome dans le quartier proche de la gare. Pour fuir l’avenue bruyante avec son lot de motos et de voitures que rien ne semble arrêter, on prend une rue perpendiculaire et quelle surprise, on se retrouve dans un arrière-pays de maisonnettes qui n’ont sans doute pas toutes accès à l’eau puisqu’un robinet installé à un embranchement permet aux femmes d’y remplir un seau ou d’y faire la lessive. La route devient très vite un chemin de terre qui s’égare et débouche sur une cour recouverte de paille séchée où ruminent paisiblement une demi-douzaine de vaches arborant d’imposantes cornes peintes en rouge. Un veau, des pique-bœufs immaculés, des poules et aux alentours, un quartier de maisons basses derrière lesquelles se hérissent des échafaudages en bambou qui racontent la construction de hauts édifices modernes. En poursuivant notre flânerie, on découvre des ateliers de recyclage de papiers, des petits garages de réparations de pneus, une banque, une école et des resto-trottoirs aux odeurs épicées. Des adolescentes réclament un selfie auquel on se prête bien volontiers et l’on comprend en les voyant se découvrir le visage qu’elles se protègent du soleil pour conserver une peau claire.
L’après-midi nous découvrons la ville, capitale d’une principauté marathe fondée au 17ème siècle par Shivaji Maharaj, un bâtisseur national au Maharashtra, un des plus grands états de l’Inde. Nous plongeons dans le monde fascinant des maharajas en visitant le New Palace reconstruit au lendemain d’un incendie dans un style qui mélange les architectures hindoues, musulmanes et victoriennes. Il sert encore de résidence aux descendants des maharajas et recèle dans un musée quelque peu poussiéreux une impressionnante collection d'objets aussi divers que des photos de chasse, des selles d'éléphants, des bijoux, des armes historiques ou des trophées de chasse empaillés. La ville abrite également un temple du 8ème siècle dédié à Mahalakshmi, une déesse à 4 bras en pierre noire et vêtue d’un sari, surmontée par un cobra et ornée de pierres précieuses. Cette idole est encore vénérée au point que la visite y est réglementée en imposant une file de pèlerins qui n’ont que quelques secondes pour se recueillir devant la statue. Le temple est au cœur d’une enceinte à 4 entrées où de petites échoppes vendent des offrandes diverses. Un vaste espace est réservé au Mardani Khel, une lutte traditionnelle dont les mouvements sont stylisés même si les participants manipulent encore des armes comme des épées à longue lame, des poignards ou des bâtons de bambou. Un spectacle qui s’exerce devant nos yeux ébahis de découvrir des enfants déjà initiés à ce sport qui fait la gloire de Kolhapur.
Jour 5, Goa.
Changement d’ambiance au fil du voyage. En descendant vers la côte, les paysages se nappent de brume aux premières lueurs du jour, des petites maisons se nichent sous les cocotiers ou les palmiers et la proximité des embouchures de deux importantes rivières se devinent aux mangroves que longe le rail. Panaji, une des plus petites capitales du pays est plaisante et atypique. Il faut savoir que Goa est restée sous domination portugaise de 1510 à 1961, une tutelle dont les traces sont encore bien visibles dans les façades colorées des maisons coloniales comme dans le quartier Fontainhas avec ses venelles pavées bordées de maisons aux couleurs pastel. Old Goa, l’ancienne capitale abandonnée au 18ème siècle suite à une épidémie de choléra reste un quartier historique reconnu par le patrimoine mondial de l’Unesco, notamment pour la basilique baroque de Bom Jesus construite par les jésuites en latérite rouge et l’imposante cathédrale blanche Sainte-Catherine, la plus grande de toute l’Asie.
Une excursion à l’intérieur des terres permet de découvrir un pays verdoyant de rizières et de plantations de manguiers et d’anacardiers qui donnent les noix de cajou. D’anciens manoirs se laissent visiter comme le palacio do Deão au cœur du village de Quepen. Cette demeure historique d’un ancien ecclésiastique du 18ème est restaurée à l’identique avec ses fenêtres garnies de carreaux d’huîtres, ses pièces aux belles charpentes ornées de meubles anciens, d’objets insolites et de collections de timbres. Un léger courant d’air soulève les rideaux en lin blanc qui semblent vouloir s’évader vers un agréable jardin animé par une fontaine. Tout raconte une histoire paisible révolue qui paraît si peu indienne.
Jour 6, Sawantwadi.
Dernière étape avant le retour à Mumbai. La petite ville de Sawantwadi s’étire au bord d’un lac qui porte le joli nom de lac de perles. Après une découverte des ruelles entre les échoppes d’objets en bois, une spécialité de la région et les étals colorés du marché couvert, on se plonge une fois encore dans le monde des maharajas, ces rois qui se partageaient le pays. Partout en Inde, les autorités britanniques les ont obligés à renoncer à frapper leur monnaie, à prélever des taxes et à promulguer des lois. En échange de la paix que leur offrait l’autorité coloniale et de la perte de leur pouvoir, ils ont reçu une liste civile abandonnée ensuite par Indira Gandhi qui les a incités à exploiter leurs biens que ce soit en vendant leurs terres, en transformant leurs palais en musée ou en hôtel, en investissant dans les studios de Bollywood, etc… Le palais Sawantwadi abrite encore les descendants d’une famille royale qui ont choisi d’ouvrir leur demeure aux visiteurs afin de partager avec eux leurs coutumes ancestrales. Entre pièces décorées de meubles et d’objets anciens, murs recouverts de photographies en noir et blanc qui illustrent des pans entiers de l’histoire familiale, ateliers où des artisans remettent à l’honneur les techniques du travail de la laque, on est plongé dans la mise en valeur d’une richesse culturelle qui se poursuit ensuite autour d’un buffet servi dans la salle du trône sur deux longues tables ornées de feuilles de bananiers que des serveurs garnissent de cuisine indienne.
Retour au train où les souvenirs éblouis de notre voyage se multiplient encore quand chaque passager découvre sur son lit qui un sari aux couleurs chatoyantes qui un kurta, à savoir une longue chemise fendue sur le côté portée sur un pantalon large maintenu par un lacet noué à la taille. Pour ces dernières heures autour de tables festives, chacun revêtira sa nouvelle peau, trop heureux de se rêver prince d’un soir dans ce train de luxe.
Souvenirs de notre voyage (diaporama à consulter sur un ordinateur, ne fonctionne pas sur mobile)
Infos pratiques.
Le plus grand intérêt de cette formule de voyage est la rapidité avec laquelle le train circule d’une étape à l’autre et même s’il doit parfois laisser passer des trains de ligne, il respecte toujours son programme. Loin des klaxons et des bruits de moteur qui pétaradent sur les routes, le train détend, permet les échanges entre passagers et n’oblige pas à boucler les valises pour changer d’hôtels. Un must.
www.deccanodyssey.com Ce train a gagné le titre de meilleur train de luxe en Asie aux World Travel Awards 2017.
Quand y aller : de septembre à avril, en dehors de la mousson
Vendu en Inde par l’agence www.coxandkings.com.
Texte : Christiane Goor Photos : Charles Mahaux