

Co-créateur du Hong Kong Design Institute, l'architecte lillois a remporté de nombreux concours internationaux depuis ce projet en 2006. Il était à Hong Kong, "sa ville de cœur en Asie", pour la Nuit des idées et a répondu à nos questions.
Les "nouvelles frontières de l’architecture à Hong Kong" était le thème choisi pour la Nuit des idées 2019. Thomas Coldefy, invité par le Consulat général de France et le Hong Kong Design Institute, a pu débattre sur le sujet après avoir présenté ses travaux dans une salle du campus qu'il a conçu 12 ans plus tôt.
Lepetitjournal.com: Plus de douze ans après, qu'éprouve-t-on en revenant dans "son" bâtiment?
Thomas Coldefy : Je reviens de temps en temps quand même, mais là ça m'a fait drôle, car cette fois j'ai dû me livrer à une rétrospective. J'ai pu parler de la conception de cet Institut, de mes projets et de cette aventure humaine.
Côté aventure, comment se lance-t-on dans un concours de cette envergure depuis son cabinet d'architecture à Lille? Et comment l'aborde-t-on à seulement 28 ans?
Quand on a démarré ce projet avec ma partenaire, Isabel Van Haute, heureusement qu'on ne savait pas tout d'avance. Le challenge nous a donné envie, et à 28 ans pour moi, nous partions sans trop nous mettre de pression.
Après des études d'architecte à Paris et une première expérience dans des cabinets parisiens, on a décidé avec ma partenaire de partir travailler à New York. Là-bas, nous avons eu la chance de participer à de grands projets d'architecture, elle chez Richard Meier, et moi chez KF Architects, sur des projets en Asie d'ailleurs.
Puis, on s'est finalement installé à Lille pour reprendre le cabinet d'architecture de mon père. Ce n'était pas évident, on ne connaissait personne, on revenait de nos expériences d'expatriés les yeux écarquillés et on se disait "est-ce que nous sommes capables maintenant qu'on est installé en nom propre de travailler à l'international?". C'était un peu un rêve. On a découvert un des premiers appels d'offre internationaux avec la construction de ce campus à Hong Kong, et on s'est tout de suite dit banco.

Vous avez été retenus parmi 162 projets! Qu'est-ce qui vous a démarqués?
Le concours s'est déroulé en deux phases et nous devions remettre trois panneaux synthétiques d'abord. Le jury a dû remplir une salle entière avec des centaines et des centaines de tableaux.
Pour notre projet, nous voulions un lieu qui soit un espace partagé. Ce campus articule plusieurs bâtiments, et les fait exister indépendamment mais aussi ensemble. Les lieux de partage connectent les différents éléments aussi bien au niveau du sol que dans un espace aérien. On voulait quelque chose qui flotte, un élément entre le rêve et l'innovation qui symbolise pour nous Hong Kong.
Pour faire comprendre notre projet, on a aussi choisi un symbole. On a appelé le projet "la feuille blanche" car tout commence à partir d'une feuille blanche. Les tours représentent les piliers de l'éducation à partir desquels se développent des idées. L'institut devait être ce lieu de création où les départements, qui sont ancrés dans le sol, portent des idées.
Chaque projet a son symbole ou un sens particulier?
Depuis Hong Kong, qui a été fondateur dans notre démarche, on a mis en place une grille de lecture avec trois aspects. Le premier, c'est l'urbanité du projet, l'urbanité au sens large : comment le projet va établir un dialogue avec son environnement? Il ne faut ni imposer une rupture, ni épouser ce qui existe depuis des centaines d'années, nous ne sommes pas architecte du patrimoine. Il faut respecter le contexte, puis "comme un ice breaker", il faut transformer ou valoriser le lieu. Cela va définir la forme architecturale.
Le deuxième point est la lisibilité du projet par les utilisateurs. On veut raconter des parcours et le volume doit permettre aux gens de se l'approprier. Enfin, il faut générer l'éveil des sens. Ça relève un peu de la "phénoménologie". Quels phénomènes vont être engendrés par ce projet, par exemple l'apport de lumières, de vent, le rapport à la nature, les phénomènes causés par les espaces de rencontre, les pavillons, les escaliers...

Dans les appels d'offre internationaux, dans quelle mesure prenez-vous en compte la culture locale?
On peut intervenir sur des sites très variés comme un habitat très dense, au milieu d'un parc, au bord de l'eau ou dans un tissu historique. Il faut donc comprendre les enjeux locaux et les intégrer, mais ces contraintes ne doivent pas devenir écrasantes.
On se donne la liberté d'explorer. Je n'ai pas la prétention d'être un expert du tissu local. Je me permets d'interpréter et je pense que c'est la seule condition pour qu'on puisse proposer des bâtiments originaux et contemporains.
Après, il y a des rencontres avec des partenaires locaux. Pour certains projets, la création se fait à plusieurs. Pour Hong Kong, on s'y est installé en janvier 2007 pendant plusieurs mois, c'était pour la phase du "schématique design" après avoir remporté le concours, celle qui consiste à transformer le projet en plan d'architecture.
L'Asie domine vos projets hors de France, comment l'expliquez-vous?
J'ai mis un pied en Asie d'abord par rencontres professionnelles, avec le cabinet KF puis avec le concours du Design Institute. J'ai appris à devenir amoureux de la culture même si elle reste encore très mystérieuse pour moi, mais je m'y sens bien. Il y a à la fois une dynamique très puissante, ce qui est très nourrissant, et une culture humaine très particulière. Ces premières expériences nous ont plu et on avait envie d'approfondir. Hong Kong est devenue ma ville de cœur. Nous avons un bureau ici. Et à travers ces voyages, on a rencontré d'autres personnes et travaillé sur de nouveaux projets. On a installé un bureau à Shanghai et nous avons gagné l'appel d'offre pour le Centre d'art et de culture de Bao'an à Shenzhen.
Le Bao’an Culture and Art Center à Shenzhen, repose-t-il aussi sur un symbole?
Il s'agit de 85.000 m2 consacrés à l'art avec des galeries, un musée, un centre culturel, un théâtre… On a adopté une stratégie d'organisation sur plusieurs strates, avec des jardins et le tout dans l'équivalent d'un bloc de marbre. Mais on voulait faire un clin d'œil au côté High Tech de Shenzhen et donner l'apparence d'un bloc moins lourd. On a donc utilisé une technologie de verre qui laisse apparaître le veinage du marbre et a trois degrés de transparence pour créer des effets visuels (transparent, semi-opaque et complètement opaque).

Un autre projet avec la Chine vous a ramené à Paris récemment, et cette fois vous vous inspirez d'un habitat chinois traditionnel, le Tulou?
Pour la Fondation de Chine, les gouvernements français et chinois ont souhaité que le bâtiment soit cosigné par des architectes des deux pays. On a eu la chance de collaborer avec Yung Ho Chang, un architecte renommé de Pékin. Nous sommes partis de la forme urbaine des Tulous (ndlr: maisons collectives que l'on trouve dans la province du Fujian) et l'avons confrontée avec les formes de l'îlot haussmannien. Il y avait beaucoup de similarités et en conservant la place centrale du forum, on l'a fait évoluer vers un système moins fermé. Plutôt qu'une enceinte protectrice, on a créé un espace ouvert sur le parc de la cité universitaire internationale.

Le jardin était l'autre vecteur commun à nos yeux entre la Chine et la France. On a fait entrer ce jardin à l'intérieur, il y en a entre les étages, ils mènent au toit, on y trouve des lieux de relaxation, de contemplation, consacrés au sport ou à l'art.

Avec Tropicalia, vous sortez complètement de cet environnement urbain?
C'est un projet d'écotourisme dans le Pas-de-Calais. Il vient de l'idée géniale d'un ancien vétérinaire passionné par les pays tropicaux, la faune et la flore. Le projet a plusieurs aspects écologiques. D'abord, il s'agit de créer un écrin pour la nature et des espèces animales, ensuite le but est de sensibiliser les visiteurs et leur donner l'envie de voyage. Au niveau des plans, on a presque voulu faire une non-architecture, pour en faire un élément du paysage. On a voulu s'inscrire dans la terre, l'ancrer dans le sol, et faire qu'il n'y ait qu'une simple bulle de chaleur. Il y a eu des partenariats avec des entreprises comme Dacia, car le complexe est chauffé naturellement avec un système de double membrane gonflable et l'excédent alimente un réseau à chaleur partagé avec un hôpital à proximité.

Propos recueillis par Marc Schildt le 1er février 2019
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