Chronique d'un temps où Hong Kong était la terre promise des marchands Parsi venus d'Inde. Aujourd'hui, leur héritage est bien plus important qu'on ne le pense.
Si vous savez vu le biopic sur Freddy Mercury, Bohemian Rhapsody vous aurez peut-être noté que celui-ci est d’origine Parsi, une communauté dominant l’ancienne Perse (d’où le nom) dont la religion est celle des zoroastres, autrement dit les adorateurs du feu. Lors d’une visite en Iran, j’ai été frappé en effet par la présence de sites zoroastres notamment à Ispahan, qui a accueilli des religions très diverses. On trouve par exemple des tours qui abritaient autrefois le feu sacré, symbole de pureté pour les Parsi. Le prophète Zoroaster ou Zarathoustra (le même que celui de Nietzsche dont l'amie était Parsi), aurait vécu en Perse orientale entre 1500 et 600 avant JC.
Selon sa doctrine, le monde est divisé entre le bien et le mal à parts égales et il est important de se rapprocher des forces de la lumière, symbolisées par le feu sacré. Pour cela, les hommes doivent faire de bonnes actions (souvenez-vous des paroles de Freddy Mercury à son père parlant du concert Live Aids en faveur de l’Afrique) pour mériter le paradis au moment de l’ultime bataille entre le bien et le mal, lorsque les âmes traversent une rivière de feu. Cette religion s'est répandue dans le monde lorsque l’Islam s’est imposé en Iran entre le 8ème et le 10ème siècle. A cette époque, les Parsi, tout comme les Juifs de Bagdad cinq siècles plus tard, furent chassés du pays et s'installèrent en Inde, surtout à Mumbai, pour la plus grande part. C’est d’ailleurs de cette région qu’est originaire la famille du leader de Queen! A partir de l'Inde, cette communauté très dynamique ne tardera pas à tisser des réseaux à travers toute l'Asie.
L’arrivée à Hong Kong
A Hong Kong, l’héritage historique et économique des Parsi est important puisque ce sont les tout premiers intermédiaires de commerce pour les Anglais, investissant surtout dans les infrastructures logistiques, entrepôts et moyens de transport. Ainsi, les entreprises constituées en Inde dans les domaines du textile et de l’opium essaiment-elles sur l’empire britannique oriental via la East Indian Company. On relève qu’à l’époque de la première Guerre de l’Opium (1841), des Parsi étaient installés sur le territoire chinois depuis un siècle déjà, alors que les Britanniques en étaient exclus. Leurs réseaux étaient donc immédiatement mobilisables lorsque les Anglais ont ouvert la Chine par la force. Dans ces années, en effet, la concurrence est rude, vis-à-vis des réseaux juifs bagdadis, également installés à Mumbai, dont le leader est le patriarche David Sassoon. C’est à Hong Kong que les Parsi vont le mieux se développer, Shanghai tombant rapidement sous le contrôle des hommes d'affaires Juifs Sépharades favorisés par l’élite britannique.
Les pionniers
Le premier entrepreneur Parsi à prospérer à Hong Kong est sans nul doute Sir Hormusjee Mody (1838-1911). Il arrive à Hong Kong en 1850, travaille tout d’abord comme employé dans une banque, avant de créer la sienne en association avec l’homme d’affaires d’origine arménienne Paul Chater. Ce dernier devient un roi de l’immobilier, profitant de l’expansion des traités anglais sur Kowloon en 1860. Mody réalisera donc avec Paul Chater de belles opérations immobilières sur cette partie de la ville (une rue ainsi qu'une place portant son nom se trouvent d'ailleurs au sud de la péninsule). Ami du gouverneur Lugard, il offrira à celui-ci de participer au financement de son projet d’université en 1910, devenant dès lors le principal donateur de la toute nouvelle Hong Kong University. Son buste trône encore aujourd'hui dans le hall du bâtiment historique de Bonham Road. Mody créera également le Kowloon Cricket Club, où l'on joue encore aujourd'hui.
Parmi les autres entrepreneurs Parsi passés à la postérité figurent Jehangir Hormusjee Ruttonjee (1880-1960). Originaire de Mumbai et venu à l'âge de douze ans travailler dans l’entreprise familiale de Hong Kong, il créera deux brasseries en 1931 et 1948. Pendant l’occupation japonaise, sa soeur meurt de tuberculose dans les camps de prisonniers et Ruttonjee décidera alors de fonder l’association anti-tuberculose de Hong Kong et de financer plusieurs sanatoriums. Mais s’il est un contributeur qui impacte aujourd’hui le plus la vie de tous les Hongkongais, c’est Dorabjee Naorojee Mithaiwala, le fondateur du Star Ferry. Ce cuisinier Parsi arrive à Hong Kong en 1852 et se lance rapidement dans le commerce de l’opium, à l’époque le produit le plus lucratif en Chine. Puis, il réinvestit ses profits dans des hôtels, possédant jusqu'à cinq établissements de part et d’autre de Victoria Harbour. C’est précisément pour livrer le pain entre ses établissements et ne pas dépendre des tarifs aléatoires des sampans, qu’il met en place un service de navettes en 1874. Ce sont ces bateaux qui ne tarderont pas à transporter les ouvriers de Paul Chater qui finira par racheter la compagnie. Rebaptisée Star Ferry en 1998 (l'étoile est un symbole de vertu dans la religion zoroastre), ce service fonctionne encore aujourd’hui.
Une communauté en déclin
Aujourd'hui, si vous visitez le cimetière Parsi où se trouve la tombe de Hormusjee Mody, il ne vous échappera cependant pas que celui-ci est le plus petit de Happy Valley, signe de la taille réduite de la communauté. Longtemps ostracisé par les Indiens musulmans et polythéistes, ce groupe s'est progressivement refermé sur lui-même à force d'exigence de pureté, les conversions n'étant pas admises. Il ne compte plus aujourd'hui que 232 membres à Hong Kong. Selon Homyar Nasirabadwala, le dernier prêtre zoroastre de Hong Kong, "la recherche de la perfection religieuse conduit à des mariages de plus en plus tardifs et donc moins d'enfants". Les difficultés de cette communauté pour composer avec le monde moderne sont d'ailleurs abordés dans Bohemian Rhapsody, quand le chanteur est désavoué par son père lorsqu’il rejette le mode de vie traditionnel pour se lancer dans le spectacle. Ainsi, le nouveau centre Parsi de Causeway Bay (Zoroastrian Building) est-il devenu le dernier bastion culturel de la communauté à Hong Kong.
Quand vous vous rendrez en Star Ferry à Kowloon pour aller faire faire un costume par les tailleurs de Mody Road ou si vous assistez à une conférence à Hong Kong University, ayez une petite pensée pour ces cœurs purs qui ont contribué au Hong Kong que nous connaissons aujourd'hui.