Rencontre avec Bloum Cardenas et Jean-Gabriel Mitterand autour de l'exposition Niki de Saint Phalle, une artiste tout feu tout flamme.
J’avais préparé une liste de questions pour l’interview de Bloum Cardenas et de Jean-Gabriel Mitterrand, respectivement petite fille et héritière du droit moral, et galeriste et ami intime de Niki de Saint Phalle. Je n’en poserai qu’une, pour que la magie opère et que les deux complices évoquent leurs souvenirs avec simplicité, talent et affection. Propos choisis.
Niki la féministe, Niki la combattante
Quel souvenir avez-vous de Niki de Saint Phalle?
Bloum Cardenas: Au quotidien, ma grand-mère était toujours en effervescence: ce n’était pas toujours facile et reposant de la suivre tous les jours! Elle ne vivait que pour son art, et c’est son art qui lui a sauvé la vie, au sens propre. Elle a passé son enfance aux Etats-Unis, dans une famille qui l’étouffait, à une époque où la femme n’avait qu’une place secondaire, et elle a lutté toute sa vie contre les exclusions grâce à son art. Elle a combattu sur tous les fronts de l’injustice et de la discrimination: pour l’émancipation de la femme, pour l’avortement, contre le poids de la religion, contre les animaux blessés, contre la diabolisation des malades du sida… A la fin de sa vie elle défilait encore contre le port d’armes.
Jean-Gabriel Mitterrand: C’est d’ailleurs ce que j’aimerais que le public comprenne avec cette exposition. Niki n’était pas seulement une artiste de talent qui sculptait de grosses bonnes femmes joyeuses, c’était une femme engagée qui croyait au pouvoir de changer la société grâce à son art. Ses fameuses nanas sont l’incarnation de sa lutte pour les femmes libres et fières de leurs corps. A son époque, et bien avant Louise Bourgeois, elle s’est imposée en tant qu’artiste dans un milieu uniquement masculin, et elle a inventé un langage féminin, qui parle au grand public avec humour des grands problèmes des années 60 aux année 2000.
Le rêve de l’architecture ou le jardin des Tarots
BC: Le jardin des tarots, c’est le rêve de sa vie. 15 ans de travail, une équipe à plein temps, que Niki considérait comme sa famille et qui continue à vivre et à gérer le parc aujourd’hui. Elle-même habitait dans le Sphinx, seule, au milieu de nulle part. Moi aussi j’y ai vécu, et quand la nuit tombait et que les ombres des sculptures se projetaient différemment elles créaient des formes fantasmagoriques pas vraiment rassurantes!
JGM: C’est aussi un chemin spirituel et métaphysique. Niki a réinterprété les cartes du tarot, et on marche au milieu de cette"forêt de symboles".
Travailleuse acharnée, décidée… et drôle!
BC: Elle travaillait tout le temps. Elle était extrêmement rigoureuse et précise. Dans le Jardin des Tarots, par exemple, chaque petite mosaïque qui recouvre les habitations a été cuite dans le four qu’elle a fait construire!
JGM: Nos rapports étaient professionnels bien sûr mais aussi d’amitié très forte. Il aurait été impossible que ce soit autrement au vu de sa personnalité! Toujours de l’amusement et un peu de provocation. Avant de travailler avec elle et de devenir son galeriste, elle me disait:" Jean-Gabriel, on se voit, mais je ne veux pas d’exposition, vous m’entendez?" Ce n’est que lorsqu’elle a eu besoin d’argent pour financer le jardin des Tarots, qu’elle a accepté que l’on organise une exposition!
BC: Mais elle était drôle, elle aimait rigoler
JGM : Quand on vendait une de ses œuvres, elle mettait son chapeau à plumes, et elle me disait :"Jean-Gabriel, allons manger du caviar chez Dominique!" Lors de ma première exposition de ses œuvres, en 1988, elle a décidé qu’il y aurait un concours de chapeaux pour rendre la soirée plus amusante. Alors tout le monde est venu avec un chapeau, et on a voté pour le plus beau chapeau. Et le gagnant est reparti avec un dessin de… Jean Tinguely. Pas d’elle, il ne fallait pas exagérer tout de même… A son époque, Niki, c’était une rock star!
Courageuse, libre, attachante Niki de Saint Phalle! Allez profiter de la première rétrospective de son œuvre par la Galerie Mitterrand à Sha Tin, pour découvrir l’œuvre entière d’une artiste qui n’a jamais triché et qui nous laisse aujourd’hui encore – et peut être aujourd’hui plus que jamais- une immense matière à réflexion.
Informations pratiques:
- Légende du 20ème siècle: Niki de Saint Phalle, du 5 mai au 2 juin 2019
- Heures d’ouverture: 10h-20h (Shatin Town Hall G/F, foyer & 1/F, Exhibition Gallery)
- 24/24 (Shatin Town Hall, Podium level and Plaza), 1 Yuen Wo Road, Shatin, N.T. Hong Kong.
- Entrée libre