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Père John, le prêtre des sans-abri à Hong Kong

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Père John Wotherspoon @John Wotherspoon
Écrit par Claudia Delgado
Publié le 13 janvier 2022, mis à jour le 14 janvier 2022

John déambule dans les rues de Yau Ma Tei. C’est un quartier qu’il connaît comme sa poche. Voilà 12 ans qu’il y habite. Il s’arrête plusieurs fois pour saluer les gens qu’il croise. Face au centre de désintoxication, quelqu’un crie « Father John! Father John! » comme s’il s’agissait d’une rock star. Il parle avec tout le monde et s’enquiert de leurs besoins : un repas, une chambre ? Et il distribue des coupons pour ceux qui iront chercher à manger plus tard.

Avec cette démarche à la fois lente et assurée, il repart. Sa tournée dans le quartier ne fait que commencer.

MercyHK, au secours des sans-abris de Hong Kong

Je retrouve père John au 191 Temple Street, où se trouve un magasin d’articles d’occasion qui a ouvert ses portes en 2020 et dont les revenus servent à loger des sans-abris. Il s’agit d’une initiative du père John qui explique cette démarche en chantant d’abord les louanges des McDonald’s : « Que Dieu bénisse les McDos pour leur compassion envers les pauvres », car ces restaurants permettent aux « McSleepers » d’y rester la nuit.

 

sans-abri Hong Kong
magasin de MercyHK — photo@John Wotherspoon

 

Au début de la pandémie, et tout récemment encore, le gouvernement a ordonné la fermeture des restaurants à 18 heures, obligeant des dizaines des gens dans le besoin à dormir dans la rue : « C’est le pire problème que les sans-abris aient jamais connu à Hong Kong ».

Un article local en a parlé, mentionnant le nom du prêtre, et les dons ont commencé à affluer.

Avec l’argent, il ouvre ce magasin qui embauche majoritairement des personnes qui sortent de prison et des sans-abris… un endroit qui accueille tout le monde sans exception. Nous montons à l’étage, pour nous installer dans une longue salle qui fait office de cantine et de bureau pour son ONG, MercyHK.

 

sans-abri Hong Kong
Photo@John Wotherspoon

 

Prêtre et professeur à Hong Kong et en Chine

John Wotherspoon, originaire de Brisbane, en Australie, vit à Hong Kong depuis 37 ans. En 1973, il est ordonné prêtre et travaille pendant 12 ans au sein d’églises et d’écoles en Australie.

Puis, en 1985, il se porte volontaire pour partir à Hong Kong afin de subvenir aux besoins de sa congrégation, les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée, fondée à Aix-en-Provence. Il passe 10 ans au Collège Notre-Dame à Kowloon où il partage son temps entre l’église et l’école.

Pendant ses vacances et ses week-ends, il visite les camps de réfugiés vietnamiens.

 

sans-abri Hong Kong
Photo@John Wotherspoon

 

Plus tard, il s’installe au siège de sa paroisse à Lantau. Tous les vendredis, il fait le tour des prisons de l’île. Ayant toujours rêvé de découvrir la Chine, il part à Zhaoqing, à l’ouest de Guangdong. Il y travaille pendant 7 ans comme professeur d’anglais et utilise son salaire pour aider à mettre en place une école pour les enfants de travailleurs migrants.

Pendant les Jeux olympiques de 2008, il est expulsé de Chine et revient sur Hong Kong.

Aumônier de prison à Hong Kong

De retour à Hong Kong, il s’installe aux alentours de Temple Street, où il remarque une surabondance de drogués, de prostituées, de gens sortant de prison et de réfugiés. Il rejoint alors l’aumônerie de la prison de Lai Chi Kok et visite les détenus sans faire de distinctions, qu’ils soient croyants ou pas : « Je ne pousse pas à pratiquer une religion », m’assure-t-il.  

Il apprend des langues, dans le but de communiquer avec un plus large public : « Je me débrouille en cantonais et en mandarin et j’essaie d’apprendre l’espagnol en ce moment ! J’utilise Duolingo ».

 

sans-abri Hong Kong
Photo@John Wotherspoon

 

Crise des passeurs de drogue africains

En 2013, de nombreux Africains (essentiellement de Tanzanie) sont arrêtés à Lai Chi Kok pour trafic de drogue. Father John demande alors à l’un d’eux d’écrire une lettre dans le but d’alerter ses concitoyens. L’homme s’exécute et Father John la publie sur son blog. Cette lettre, où il nomme huit barons de la drogue, y compris un politicien, sera retransmise dans les médias en Tanzanie.  

Au cours des deux années précédentes, il y a eu quelque 70 passeurs de drogue de Tanzanie. Après cette lettre, il y en a eu deux durant les huit mois suivants : « Ça s’est arrêté comme par magie, mais ça ne dure jamais longtemps. C’est comme un feu qu’on doit continuer d’éteindre ».

 

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Photo@John Wotherspoon

 

« No more mules » : campagne contre le trafic de drogues à Hong Kong

En 2013, il crée sa campagne « No more mules » et commence à publier des lettres de prisonniers partageant leurs expériences et avertissant des risques du trafic de drogue à Hong Kong.

Bien qu’il ait l’habitude de rentrer en Australie pendant ses vacances, en 2015, il part en Tanzanie, ne sachant pas si on le laisserait entrer après avoir critiqué le gouvernement.

Il fait la une de beaucoup de journaux et donne plusieurs interviews à la radio. Il enchaîne les tournées afin de combattre la crise des passeurs de drogue. Il part alors au Kenya, en Ouganda, au Ghana, en Afrique du Sud et en Zambie.

Après l’Afrique, il se rend en Malaisie, où il travaille avec les médias et la police, ce qui a abouti à quelques arrestations. Il finit par se rendre compte que ceux qui envoient des mules sont issus d’un seul réseau qui s’étend à travers les continents.

 

 

Tournée en Amérique latine

En 2017, il part en Amérique latine : Mexique, Colombie, Venezuela, Suriname, Pérou, Bolivie, Paraguay, Argentine et Brésil. Il va à la rencontre des familles des prisonniers de Hong Kong et fait des reportages dans les médias. « Parfois je me pointais à la porte du bureau des médias, j’avais un bout de papier magique qui me faisait entrer ».

Il déplie une feuille de journal : « C’est le plus grand journal chinois de Hong Kong où j’ai fait la une. Quand je le montre, les gens doivent se dire que je ne suis peut-être pas complètement fou ».

Toutes ses anecdotes sont teintées d’humour, lorsqu’il me raconte ses péripéties en Amérique du Sud : « Heureusement, la plupart des journalistes parlaient anglais, pas comme un stupide Australien qui ne parle pas l’espagnol… ».   

 

sans-abri Hong Kong
Père John au Mexique 

 

Face aux barons de la drogue

Il passe deux semaines à São Paulo, car c’est là que se trouve le QG du réseau : principalement des Nigérians qui recrutent des femmes partout en Amérique du Sud. En se rendant au QG, il enregistre tout : « Je n’ai trouvé personne pour m’accompagner, ni les journalistes, ni la police. Ils ont certainement pensé que j’étais cinglé. J’y suis donc allé seul ».

Sa hardiesse, mêlée à la confiance qu’il a envers autrui, lui permet de faire ce qui nul autre ne ferait : lorsqu’il se retrouve en face des criminels en puissance, il se présente, muni d’une fiche contenant la description des tourments de l’enfer tirée d’un roman de James Joyce, un avertissement que seul lui serait capable de faire.

Il leur montre des photos des barons de la drogue et on lui demande s’il tient à sa vie. Avant de partir, il leur laisse quand même des copies de son sermon infernal. « Quand j’étais au fin fond de São Paulo, je me demandais si j’allais pouvoir revenir à Hong Kong ».

Depuis la pandémie du COVID, les passeurs internationaux ont vu leur nombre diminuer, mais cela a eu une incidence sur la situation à Hong Kong, le trafic étant désormais plus local qu'international.

 

sans-abri Hong Kong
photo@John Wotherspoon

 

Yau Ma Tei

À Yau Ma Tei, père John est connu de tous. Il salue les restaurateurs, les gens qui somnolent sur un matelas dans la rue, ceux qui font la queue devant la clinique de désintoxication.

Nous passons devant l’immeuble Alhambra où il loue, avec l’aide de son ONG MercyHK, environ 40 chambres pour une soixantaine de personnes. Il me parle des initiatives qu’il organise : des repas, des groupes de prières, des groupes de soutien pour ceux qui souffrent d’une addiction, des aides au logement…     

Avant de le quitter, nous nous arrêtons devant deux policiers qui fouillent quelqu’un qu’il connaît et qui semble ne pas comprendre grand-chose et se laisse faire, effaré. Père John regarde de loin, l’air renfrogné. Il attend pour voir s’ils le laissent partir, mais finit par s’approcher.

Il salue tout le monde en cantonais et calme la situation. Il serre la main des policiers et sort un coupon de sa poche pour le placer délicatement dans la sacoche de celui qui reste immobile. Puis, il lui serre la main et repart.  

 

Vous pouvez trouver plus d’information pour faire des dons ici.

 

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