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Hainan, remplaçant de Hong Kong et Singapour?

Hainan port francHainan port franc
L'image d'Epinal en vert et bleu de Hainan (Crédit: Needpix)
Écrit par Lepetitjournal Hong Kong
Publié le 8 juillet 2020, mis à jour le 8 juillet 2020

Le nouveau projet de port franc à Hainan dévoilé début juin par la Chine pourrait remettre en cause les rôles joués par Hong Kong et Singapour dans la région.

Source: Bulletin d’analyse économique du Service économique régional de l'Ambassade de France en Chine (extraits)

Une alternative à Hong Kong et Singapour

Le 1er juin 2020, le comité central du Parti communiste chinois (PCC) et le Conseil des affaires d’Etat ont publié conjointement un document portant sur le projet de "premier port franc aux caractéristiques chinoises" à Hainan, concept introduit en octobre 2017 par le Président Xi Jinping, avant qu’un premier plan ne soit promulgué en avril 2018. Les secteurs du tourisme, des "services modernes" (juridiques, financiers et logistiques) et de l’industrie hi-tech sont appelés à être développés "étape par étape". Le nouveau document propose 60 mesures (concernant la facilitation du commerce et des investissements, la libre circulation transfrontalière des capitaux et des talents, le transport, la logistique, le flux "sûr et ordonné" des données, la réforme des systèmes fiscal et juridique et la gestion des risques.

La création à Hainan d’un port franc, qui concurrencerait à terme Hong Kong et Singapour, paraît ambitieux au regard des mauvaises performances économiques de l’île et de l’absence de certaines des caractéristiques essentielles qui ont fait le succès des ports francs asiatiques (indépendance judiciaire, flux transfrontalier libre des données, compte capital ouvert et libre). Le projet doit cependant faire l’objet d’une attention particulière du fait de son portage politique à très haut niveau et de la position géographique stratégique de l’île dans un contexte de réorganisation des chaînes de valeur.

Le projet de transformation de Hainan en port franc frappe tout d’abord par son échelle. Avec une superficie de près de 35 000 km², comparable à celle de Taiwan, l’île de Hainan est de loin la plus grande ZLE de Chine. La création du port franc de Hainan englobant la totalité de l’île-province constitue ainsi une première au niveau mondial. (...) La publication du plan intervient dans un contexte particulier, marqué à la fois par l’instabilité régnant à Hong Kong, les tensions commerciales sino-américaines et l’influence grandissante de Pékin en mer de Chine méridionale. 

 

Hainan port franc
De port de plaisance à port franc (Crédit: Pixabay)

 

Libéralisation et ouverture progressive

Très ambitieux sur le volet économique, le plan doit permettre à Hainan de se diversifier afin de réduire sa dépendance aux industries traditionnelles et de devenir un acteur stratégique du commerce et de l’investissement en Chine. Son principal ressort repose sur la libéralisation progressive des flux de marchandises, de capitaux, de personnes et de données. En matière de facilitation du commerce, l’une des innovations majeures du plan consiste en l’établissement de contrôles douaniers de "première ligne" et de "seconde ligne".

La première frontière douanière s’applique aux marchandises importées de l’étranger: celles-ci bénéficieront d’exemption de droits de douane et d’impôt selon une liste négative élaborée par les autorités de Hainan (matières premières, matériel de fabrication et biens de consommation dont les voitures et les yachts); une seconde frontière douanière sera établie entre Hainan et la Chine continentale, qui permettra l’importation sans droits de douane de biens fabriqués intégrant au moins 30 % de valeur ajoutée réalisée à Hainan, ou ne contenant pas de matière importée.

L’objectif est de favoriser l’implantation à Hainan de sociétés ayant une activité de production internationale dans le cadre du redéploiement de leur chaîne d’approvisionnement. Le ministère du Commerce a par ailleurs annoncé qu’une liste négative pour le commerce transfrontalier de services (une première en Chine) sera publiée cette année. En matière de dispositif fiscal de facilitation des investissements, le port franc de Hainan bénéficiera du dispositif fiscal le plus favorable de Chine continentale pour l’impôt sur les sociétés (IS) et le revenu des personnes physiques (IR). Le taux d’imposition sur les sociétés sera réduit à 15% (pour les entreprises implantées à Hainan et relevant de secteurs encouragés d’ici 2025, avant d’être étendu par la suite à toutes les entreprises immatriculées menant des activités réelles sur l’île d’ici 2035) contre 25% à l’heure actuelle.

Les nouveaux investissements étrangers dans les secteurs du tourisme, des "services modernes", et des industries hi-tech, seront exemptés d’impôts sur les sociétés jusqu’à 2025. L’IR sera plafonné à 15 % (en comparaison, l’impôt sur le revenu est plafonné à 45% en Chine, et à 17% à Hong Kong). Afin de renforcer la protection de la propriété intellectuelle, une institution pour l’échange de droits de PI sera établie. En matière d’accès au marché, le plan introduit plusieurs mesures destinées à ouvrir plus largement le marché de Hainan aux entreprises étrangères.

 

Hainan port franc
La Boddhisattva veille sur Yalong Bay (Crédit: Denny Ryanto, Unsplash)

 

Il assouplit les exigences de licence et d'approbation préalable pour certains investissements, et prévoit d’approfondir l’ouverture de plusieurs secteurs à la concurrence étrangère :

  • Finance et assurance: l’établissement sur l’île d’institutions financières, de sociétés de gestion de titres, des fonds, des futures, ainsi que des sociétés d’assurance étrangères sera encouragé, tout comme la création de compagnies d’assurance de biens, de personnes, de réassurance, de mutuelles et d’auto-assurance. La coopération entre les compagnies d’assurance chinoises et étrangères dans l’exploitation de produits d’assurance – y compris médicale – transfrontaliers sera également encouragée.
  • Télécommunications: les limites de taux de participation des entreprises étrangères dans les services de télécommunication à haute valeur ajoutée seront supprimées; les autres services de télécommunication seront progressivement ouverts; des projets d'échange international de données seront mis sur pied.
  • Education: les universités et les lycées professionnels étrangers spécialisés dans les sciences, l’ingénierie, l’agriculture et la médecine, pourront ouvrir des antennes à Hainan; la coopération entre les universités chinoises et étrangères sera encouragée, ainsi que la création d’établissements en cogestion.
  • Tourisme: le plan prévoit la construction d'une zone pilote pour l'industrie du tourisme de croisière et l'industrie du yacht. Il porte la limite d’achat en duty free de 30.000 CNY (4.215 USD) à 100.000 CNY (14.050 USD) par an et par visiteur (contre 5.000 CNY seulement par trajet pour Hong Kong); dans le domaine aérien, la 7e liberté du droit de voler (droit de voler entre deux pays étrangers sans offrir un vol vers son propre pays) sera explorée. China Eastern a par ailleurs annoncé son intention de créer une nouvelle compagnie aérienne basée à Sanya.

D’autres mesures visent à accompagner la construction du port franc de Hainan. Des mécanismes de gestion des risques divers (santé publique par exemple), des lois et des règlementations spécialisées seront formulés; le port franc de Hainan sera en outre habilité à émettre dans le monde entier des obligations du gouvernement local auprès d’investisseurs étrangers qualifiés. Les activités liées aux dérivés OTC en relation avec le développement du port de libre-échange de Hainan seront encouragées.

 

Hainan port franc
Haikou, capitale de Hainan, aujourd'hui (Crédit: Denny Ryanto, Unsplash)

 

Obstacles structurels et institutionnels

Elevée au rang de province par Deng Xiaoping en 1988 avant de devenir la plus grande zone économique spéciale de Chine, l’île de Hainan devait s’inspirer du miracle de Shenzhen pour devenir à son tour un modèle de développement économique. Force est de constater que le miracle n’a pas encore eu lieu.

Sur les trois dernières décennies, Hainan affiche des performances économiques médiocres: malgré son statut de "zone économique spéciale" depuis 1988, Hainan ne représente que 0,5% du PIB de la Chine, moins de 0,3% de ses exportations et moins de 2% des investissements étrangers entrants (1,7% en 2017; 0,5% en 2018). Le revenu moyen par habitant est de 10% inférieur à la moyenne nationale, et la province génère des recettes fiscales équivalentes au septième de celle de Shenzhen.

Alors qu’elle les devance en termes de superficie et de population, l’île de Hainan demeure loin derrière Hong Kong et Singapour, ses deux parangons, en termes de PIB. Les ressources financières endogènes de l’île restent très dépendantes des activités touristiques et des ventes de terrains immobiliers. L’endettement local, quoique limité (1% de l’endettement total consolidé des gouvernements locaux) représente toutefois un tiers du PIB de la province.

En outre, plusieurs obstacles structurels et institutionnels pourraient entraver le bon fonctionnement du port franc. Hainan souhaite en effet profiter de la réorganisation à l’œuvre des chaînes de production mondiales et de la proximité des marchés de l’ASEAN – en particulier du Vietnam – pour renforcer son attractivité auprès des investisseurs, chinois et étrangers.

Cela étant, la financiarisation de l’île est tributaire de la rapidité de l’internationalisation du RMB et pourrait n’intervenir qu’à plus long terme. Dans le cadre actuel de contrôle des capitaux, le développement à court terme des activités financières et de change paraît donc peu probable. Si le projet visant à faciliter le redéploiement des chaînes de valeur en faveur de Hainan paraît plausible, celui d’un port franc où les capitaux circuleraient plus librement qu’en Chine continentale demande à être étayé.

Le projet de port franc de Hainan souffre d’un déficit de crédibilité par rapport au système hongkongais, dont certaines des caractéristiques essentielles à sa réussite sont sans surprise absentes du projet, en particulier: le système de common law, l’indépendance judiciaire, la libre circulation des données et un compte de capital ouvert et libre. L’environnement international hostile (tensions sino-américaines, ambitions chinoises en mer de Chine du Sud perçues comme une agression par la communauté internationale) pourrait également constituer un frein à une vague massive des investissements étrangers sur l’île.

 

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