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Demain la Chine: démocratie ou dictature? Entretien avec l'auteur

Jean Pierre Cabestan professeur CNRS HKBU Demain la Chine: démocratie ou dictature? Jean Pierre Cabestan professeur CNRS HKBU Demain la Chine: démocratie ou dictature?
Jean-Pierre Cabestan nous parle de son nouvel ouvrage "Demain la Chine: démocratie ou dictature?"
Écrit par Marc Schildt
Publié le 11 juin 2018, mis à jour le 11 juin 2018

A l'occasion de la publication de "Demain la Chine: démocratie ou dictature?", nous avons posé quelques questions au professeur Jean-Pierre Cabestan sur l'avenir du régime politique chinois et la probabilité qu'il évolue ou non vers un modèle plus démocratique.

Contrairement à de nombreux experts qui prédisent la disparition du régime autoritaire à plus ou moins brève échéance, ce directeur de recherche au CNRS et directeur du département de science politique et d'études internationales de l'Université baptiste de Hong Kong, est moins optimiste et parle des "trente prochaines années" avec un régime autoritaire, nationaliste et développementaliste.

Jean-Pierre Cabestan présentera son ouvrage à la librairie Parenthèses jeudi 14 juin à 18h30 avant d'échanger avec le public.


Lepetitjournal.com (Marc Schildt): Vous ne souscrivez pas vraiment aux thèses qui annoncent l'effondrement prochain du régime communiste chinois, pouvez-vous nous rappeler sur quelles analyses elles reposent?

Jean-Pierre Cabestan: Il y a trois courants de pensée sur cette question de la chute du régime. La première thèse communément admise voudrait que le développement économique de la Chine, l'expansion d'une classe moyenne et l'amélioration du niveau d'éducation entraînent tôt ou tard une libéralisation du régime politique poussée par des habitants plus exigeants envers leurs dirigeants.

Un second courant estime que l'autoritarisme du régime et l'absence de libertés seront un frein au développement économique et particulièrement un frein à l'innovation. La Chine devra donc relaxer son régime de parti unique et passer à une forme de semi-démocratie.

Une dernier courant considère que la corruption est telle que le régime est voué à sa perte et qu'elle freine tout développement économique.


Vous vous démarquez de ces approches en rappelant combien le régime a su évoluer depuis 1949. Le parti communiste est-il vraiment solide aujourd'hui?

Pour faire simple, le parti communiste a traversé de très grandes crises depuis 1949. Il dirige toujours l'Etat d'abord, mais il dirige aussi la société dans ces plus petites venelles, à tous les échelons, dans les villages, dans les entreprises… Et ses capacités d'adaptation restent beaucoup plus importantes que ses signes de faiblesse. 

Le pouvoir est autoritaire, mais il n'est pas complétement sourd. Quand l'opinion publique se mobilise sur une question particulière, le parti réagit assez vite. On l'a vu sur la sécurité alimentaire mais aussi sur des scandales sociaux ou des évènements écologiques. Le gouvernement reste vigilant et a développé des outils pour préserver la stabilité sociale (le "weiwen").

Le pouvoir prend régulièrement le pouls de la société et c'est encore plus vrai avec Internet qui lui permet d'engranger beaucoup d'informations sur les citoyens avant de censurer quand les internautes deviennent trop contestataires. Le "crédit social" dont on parle beaucoup aujourd'hui renforcera encore plus cette surveillance.


La société ne réagit-elle jamais face à cet autoritarisme?

Il y a en Chine un déficit de culture démocratique qui joue en faveur du parti communiste. La mentalité chinoise reste très légitimiste. Les gens ne cherchent pas à entrevoir un autre régime. La propagande qui dit "sans un parti communiste fort, le pays irait vers le chaos et l'insécurité" est très répandue et bien accueillie. 

Les Chinois sont plus inquiets de leur sécurité (la sécurité des personnes mais aussi des biens) que d'autres questions comme la liberté. Par tradition, la société reste aussi très distante du politique : avoir des opinions sur la nature du régime est dangereux. Les Chinois laissent donc ce privilège aux cadres du parti…. Plus qu'une tradition, se tenir à l'écart est aussi le résultat du caractère répressif du régime.


Y-a-t-il des raisons de penser que les choses évolueront vers plus de démocratie?

Bien sûr, il y a ce qu'on appelle les forces d'érosion. D'abord, la Chine connaît une urbanisation spectaculaire avec un potentiel de contestation beaucoup plus important en zone urbaine que si la société était restée fragmentée dans les campagnes. La deuxième force, ce sont les entrepreneurs, ils sont des sources de pouvoirs économiques et financiers autonomes même si aujourd'hui ils sont plutôt silencieux car dépendants du pouvoir. La troisième force, c'est la jeunesse. La jeunesse aujourd'hui est extrêmement dépolitisée, elle est conquise par l'opium de la consommation, mais il faut se méfier car la jeunesse peut se réveiller soudainement. En plus, elle ne s'identifie pas au parti, il y a un fossé de génération pour les gens nés après 1989 : ils vivent sur une autre planète ! Et enfin, il y a un courant pro-démocratique qui est aujourd'hui marginal, mais qui ne cesse d’agir et de revendiquer la mise en place d'un régime constitutionnel et d'une démocratie pluraliste malgré les condamnations régulières du gouvernement.
 

Et les crises? Si la Chine subissait une grave crise économique, cela affecterait-il la solidité du régime? 

J'évoque aussi dans mon livre ces divers scénarios : les possibles conséquences d'une crise économique, d'une crise politique, d'une crise sociale ou d'une crise internationale. Je suis assez réservé. Je pense que le bien-être économique est un des facteurs de la légitimité actuelle du régime. Mais en cas de ralentissement ou de crise économique, je pense que les gens resteront très attachés à leur sécurité et auront plus peur du chaos. Le besoin de sécurité et de stabilité est très grand. Ensuite il y a le nationalisme qui est très fort en Chine, or le parti reste perçu comme le principal garant du nationalisme.

Le développement économique, la stabilité, et le nationalisme sont donc les trois forces qui alimentent la légitimité du régime ; s'il y en a une qui s'effrite, les deux autres restent puissantes et en quelque sorte peuvent la compenser.

Demain la chine: democratie ou dictature? Livre Edition Gallimard


Demain la Chine: démocratie ou dictature? Jean-Pierre Cabestan 
Date de parution: 19-04-2018. Collection Le Débat, Gallimard. 304 p.

Jean-Pierre Cabestan est également l'auteur, aux Presses de Sciences Po, du Système politique chinois: un nouvel équilibre autoritaire (2014) et de La politique internationale de la Chine: entre intégration et volonté de puissance (2015).

 

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