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En 30 ans, les portraits de toreros sont devenus la signature du peintre français Christian Gaillard. Pourtant ses matadors aux visages dissimulés sont bien plus qu'un hommage aux héros d'une arène 'indéfendable' et à leurs habits de lumière. Ces motifs brodés aux formes troublantes sont en effet autant de citations aux maîtres du ténébrisme et du baroque espagnol. A l'occasion de l'exposition "De Luz" qui se tenait ces derniers jours à la galerie Connoisseur de Hong Kong, le Petit Journal a rencontré le peintre qui ne cherche à dissimuler ni la dimension érotique de son travail ni un goût immodéré pour "une certaine peinture".
Avant d'être peintre, vous avez eu une brillante carrière d'illustrateur. Comment s'est fait le passage à la peinture ?
Carrière brillante, je ne sais pas mais j'aimais bien mon métier d'illustrateur. Je travaillais pour la publicité assez souvent, je faisais des affiches de films parfois, des couvertures de magazines pour le Point. J'ai beaucoup travaillé pour le Point à cette époque mais j'ai toujours travaillé à l'huile et sur toile car je pense qu'en réalité je n'osais pas me lancer dans la peinture. J'ai donc développé une espèce de travail parallèle pour moi, fait de peintures construites à partir de voyages. Un jour, j'en ai eu suffisamment pour aller voir une galerie à Paris. La réponse a été "Voyons voir" mais ils ont accepté de m'exposer et ça a plutôt bien marché.
Cette première exposition avait déjà pour sujet la corrida ?
Non, à l'époque ma peinture était plutôt surréaliste et je mélangeais des éléments hétéroclites. Quand la galerie m'a proposé de refaire une exposition l'année suivante, j'ai accepté mais je ne savais pas du tout ce que j'allais faire. La peinture n'a pas besoin d'avais un sujet mais moi j'avais besoin d'en avoir un (rires) parce que le champ est immense et que j'avais besoin de le limiter. Et comme j'ai toujours eu le goût pour la tauromachie, je me suis dit que j'allais faire se rencontrer deux passions.
Comment vous est venue l'idée de peindre ces portraits de toreros vus de dos?
A cette époque (fin des années 1980), il y avait en France pour la première fois un matador de qualité dont on parlait dans le milieu de la tauromachie. J'ai donc rencontré ce torero Nimeño (le Nîmois en espagnol) avec son frère qui était son agent. Ce sont eux qui m'ont permis ? j'allais dire - de descendre dans l'arène (rires). Ce n'est pas tout à fait ça, mais grâce à eux, on m'a autorisé à suivre la corrida au plus près, juste derrière la barrière, là où il n'y a d'habitude que les toreros.
La première fois que je me suis retrouvé à cet endroit, j'ai été pris d'un grand tremblement, composé de peur et d'émotion. Pour la première fois, j'entendais le souffle rauque du taureau, j'avais les projections de sable et de sang et puis je sentais la peur des hommes. Là, j'ai compris qu'il y avait un sujet qui n'était jamais vraiment représenté car tout ce qui tourne autour de la tauromachie s'articule généralement autour de grands clichés. Là, je me suis dit qu'il serait intéressant de faire le portrait de Nimeño et que le représenter de dos tel que je le voyais là était sans doute plus fort que de montrer la beauté d'une passe.
Vous disiez que vos premières peintures étaient surréalistes. Le basculement vers l'hyperréalisme s'est joué à ce moment-là ?
Oui, j'ai eu envie à ce moment-là de représenter ce que je voyais. On peut dire beaucoup de choses d'un matador en montrant son dos, d'autant que son costume est particulièrement beau sous cet angle. Et puis ne pas représenter le visage du torero me permettait aussi, à une époque où je n'avais pas accès à toutes ces célébrités, de dire tous les matadors à travers un matador générique. Ce qui était une contrainte est donc devenu un style.
Maria Vargas VII
Cet hyperréalisme s'accompagne aussi d'une très grande sensualité.
Il y a en effet une érotique du matador, induite par le costume lui-même. Ca, c'est une chose très intéressante que le milieu de la tauromachie n'évoque jamais mais il est évident pour moi que le costume du matador est d'une ambiguïté totale. Il est à la fois hyperviril puisque il dévoile clairement les attributs de la virilité et très féminin avec cette mise en valeur des fesses. Il y a là une érotique intense qui plait aussi bien aux femmes qu'aux hommes.
J'ai bien conscience de cette dimension homosexuelle. C'est aussi pour ça que je tiens à ce qu'il y ait dans mon univers des femmes et des femmes toreras. C'est moins facile car il n'y a pas vraiment de grande femme torera actuellement. La dernière grande artiste, Cristina Sanchez, s'est retirée dans les années 2000. C'est pour ça que les matadors que j'appelle Maria Vargas sont en réalité des toreras inventées. Maria Vargas est le nom du personnage joué par Ava Gardner dans la Comtesse aux pieds nus de Mankiewicz.
A voir le sujets de vos tableaux, vos références picturales, on vous imaginerait bien plus espagnol que français? Etes-vous résolument tourné vers cette culture ?
Disons que c'est le goût d'une certaine peinture, mon admiration notamment pour Velázquez qui m'a conduit à choisir pour sujet la tauromachie. Mais ma relation à l'Espagne est compliquée. Vu mon travail, je devrais être repéré en Espagne. Mais je le suis sans l'être. Il y a quelques années j'ai remporté le prix de la Maîtrise royale de cavalerie de Séville et j'ai gagné un prix. Sur ces entrefaites, la Maestranza a proposé d'organiser une exposition et de mettre à ma disposition leur site historique à l'Exposition universelle de Séville. C'était formidable. J'ai donc travaillé pendant un an pour cette exposition mais au moment de l'expédition des toiles, il y a eu une grève terrible des camionneurs français et mes tableaux ne sont jamais arrivés à Séville. J'ai donc vécu un cauchemar et surtout un discrédit, alors que je n'y étais pour rien. C'était tellement pénible pour moi que j'ai mis trois ans avant de retourner en Espagne et dix ans avant de retourner à Séville. Du coup, ce qui aurait du se faire naturellement à ce moment-là là-bas s'est plutôt fait à Paris, au Mexique et à Hong Kong.
Avez-vous d'ailleurs une idée de la manière dont le public hongkongais reçoit vos tableaux ?
C'est un peu une énigme pour moi. Il y a bien sûr le costume, les broderies, l'éclairage, quelques citations modestes de Velázquez. Mais peut-être faut-il chercher du côté d'une certaine idée de la tradition et de la peinture qui est peut-être ici dans sa manière réaliste universellement lisible. C'est d'ailleurs pour moi un peu une revanche. Car quand je peignais comme cela il y a quinze ans, on me disait en France "bravo pour la technique mais ce type de peinture n'est pas intéressant". Or, je sens ces dernières années une espèce de retournement.
Blood, Gold and Silver
Cette hostilité était-elle due à la nature figurative de votre peinture ?
On ne peut nier que ce soit du figuratif mais j'espère que ma peinture raconte quelque chose d'autre. Il y a quelques années il y eu une critique sur mon travail que j'ai trouvée très bien et dont j'ai particulièrement aimé le titre : "La réalité en plus". J'ai trouvé que cela définissait mieux ce que je fais que le terme "hyperréalisme" qui renvoie à l'hyperréalisme américain des années 50 qui ne propose que de montrer le réel et qu'on utilise un peu par défaut.
Propos recueillis par Florence Morin (www.lepetitjournal.com/hongkong) mercredi 29 octobre 2014
Infos pratiques: Christian Gaillard représenté à Hong Kong par Connoisseur Gallery, 1 Hollywood Road, Central http://www.connoisseur-art.com/ Livre "De Luz: De Lumière - Peinture" aux éditions Atlantica - 159 pages - 25 euros |