SERGE BETSEN - "Le rugby à 7 est le sport d'avenir"

Retour en page d'accueil - Découvrez nos autres articles
63 sélections en équipe de France, 2 fois champion du monde, 3 fois champion de France avec le Biarritz olympique? Serge Betsen a parmi les plus beaux états de service du rugby français. Consultant pour la BBC et pour des entreprises privées, l'ancien joueur professionnel a même plutôt bien négocié une reconversion pas toujours évidente pour des athlètes de haut niveau. Mais l'homme voit loin et juste, pour lui même, pour son sport tout comme pour les enfants de la Serge Betsen Academy, une ONG qu'il a fondé voici 10 ans pour venir en aide à son pays natal, le Cameroun.
A quoi ressemble la vie d'un athlète de haut niveau à la retraite ?
La vie après le rugby de très haut niveau ressemble à la vie d'avant. Quand je jouais, j'étais assez actif et j'ai continué mes activités. La seule chose qui a changé, c'est la saveur du vestiaire, des entrainements collectifs et le fait de jouer des compétitions.
Ça vous manque ?
Non. Pas du tout, car quand je me réveille le matin, je ne suis pas courbaturé, je n'ai ni bleus, ni points de suture.
Serge Betsen au déjeuner UFE du jeudi 27 mars 2014
C'est vrai que le rugby est un sport assez violent, en tout cas vu de l'extérieur?.
Non, le rugby n'est pas un sport violent. C'est un sport de contact collectif, qui m'a fait découvrir mon caractère, qui m'a fait découvrir que j'avais envie de challenges, de défis. C'est un sport de valeur qui a surtout la capacité à faire évoluer les hommes et les amène vers ce qui manque le plus dans le monde où l'on vit, le partage, l'échange et l'entraide.
Et professionnellement, comment s'est passée pour vous la transition ?
J'ai fini ma carrière en Angleterre avec les Wasps il y a deux ans. Et j'ai décidé de rester vivre à Londres avec ma famille où je suis consultant pour la BBC et pour Sky. J'interviens également auprès d'un club anglais de deuxième division, les London Scottish, comme entraineur de défense et en entreprises pour parler de motivation, d'esprit d'équipe, des choses que j'ai vécues pendant 20 ans.
Les entreprises sollicitent en effet aujourd'hui énormément le monde du rugby, que ce soit les joueurs ou les entraineurs.
On est très demandé car on a cette capacité à parler de l'humain dans notre sport et à donner des recettes qui nous ont fait gagner, qui nous ont fait nous transcender, qui nous ont fait nous réunir sur un objectif commun, la victoire d'une équipe, d'un collectif. Ce sont des choses qui intéressent beaucoup le monde de l'entreprise.
Vous avez par ailleurs monté en 2004 une association au Cameroun, la Serge Betsen Academy, au départ pour développer le rugby dans votre pays d'origine mais très vite c'est devenu un projet d'intégration sociale par le sport.
Je suis né au Cameroun mais à l'âge de 9 ans je suis parti pour Clichy-la-Garenne, où j'ai découvert le rugby. Il y a quelques années, un de mes cousins m'a envoyé un email pour me dire qu'il y avait aussi du rugby dans ce pays. J'étais assez intrigué et content de savoir que ce sport existait aussi en Afrique. Au plus profond de moi, à ce moment-là je me suis dit que si je retournais au Cameroun après 18 ans d'absence, ce serait pour partager ma passion et donner de mon temps à des enfants pour démocratiser cette culture. J'y suis retourné en 2001, à l'occasion de mon mariage, avec ma belle-famille qui est originaire de La Rochelle et là-bas j'ai eu un choc en voyant la situation des familles et des enfants, la façon dont ils vivaient au jour le jour dont il est difficile de se rendre compte à distance.
Comme dans le sport, j'ai compris alors qu'il fallait savoir s'adapter, revoir ses objectifs à la baisse. Vouloir développer, démocratiser le rugby était une bonne chose, un objectif louable mais la réalité, c'est qu'avant de jouer au rugby, il faut que ces enfants mangent, soient en bonne santé, aillent à l'école. L'objectif de l'association créée en 2004, c'est donc à travers le sport d'aider à la scolarisation des enfants, de les assister médicalement pour qu'ils grandissent et s'épanouissent comme tous les autres enfants.
Aujourd'hui concrètement, combien d'enfants sont pris en charge ?
Nous avons commencé avec un premier centre dans la capitale à Yaoundé. Aujourd'hui, cinq centres accueillent 500 enfants après l'école pour des cours de soutien et des activités périscolaires telles que le bricolage, le chant ou l'informatique animés par des enseignants mais aussi des entrainements de rugby. Un de nos centres est entièrement dédié au rugby. Des médecins et infirmières viennent également faire de la prévention sur des questions de santé, sur la vaccination. Ces centres sont tout simplement des lieux de vie qui donnent un peu de chaleur à ces enfants qui vivent pour la plupart dans des villages reculés et nous sommes fiers de savoir que 70% de ceux qui bénéficient de nos programmes réussissent leur scolarité.
Ce sont essentiellement des fonds privés qui permettent de financer ces centres ?
Nous récoltons essentiellement le financement de base, les 30/40 000 euros dont nous avons besoin par du fundraising auprès de particuliers ou d'entreprises. C'est très anglo-saxon mais c'est en phase avec la réalité. Si on met en place des objectifs, il faut aussi mettre les moyens, récupérer des fonds pour soutenir nos programmes. Aujourd'hui, nous fêtons les 10 ans de l'association, cela permet de parler davantage de nos actions et notamment de venir à Hong Kong. Nous recherchons constamment des partenaires, des entreprises qui dans leur charte de R&D soutiennent des actions comme celles de la Serge Betsen Academy.
Par passion et par votre métier de consultant, vous suivez évidemment toujours de près les compétitions de rugby. Quel regard portez-vous sur ce sport aujourd'hui ?
C'est un jeune sport professionnel qui est en évolution perpétuelle. Le professionnalisme a amené énormément de choses positives mais, comme dans une entreprise, il faut avoir une vision sur le long terme et se donner les moyens de ses objectifs et c'est vrai qu'en France le rugby connait des hauts et des bas sur le plan de l'harmonisation. On l'a vu dans le dernier tournoi des 6 nations, les contrats signés entre la ligue et la fédération ne sont pas encore clairs et ce sont souvent les joueurs qui en pâtissent. Je le dis parce que je suis vice-président de Provale, l'Union des joueurs de rugby professionnels. Aujourd'hui nous essayons de travailler sur la protection du joueur, la protection de sa santé mais aussi sa reconversion pour qu'il puisse trouver un équilibre entre sa passion et sa vie future.
On craint en effet qu'avec la professionnalisation et l'arrivée de capitaux le rugby ne connaisse les dérives du football?
On le voit aujourd'hui. La ligue a signé un contrat important de télévision avec Canal+. Il faut s'assurer que cet argent soit le mieux utilisé possible, pour donner aux joueurs les meilleures conditions de vie quand ils sont athlètes mais aussi pour préparer leur reconversion future. Ce sont des questions importantes auquel le rugby et ses institutions doivent aujourd'hui répondre. On a beaucoup critiqué d'autres sports mais il faut se donner les moyens de ne pas tomber dans le mêmes travers.
A Hong Kong et plus largement en Asie, le rugby à 7 est beaucoup plus populaire que le rugby à XV. Comme beaucoup de rugbymen français de haut niveau, vous avez pratiqué les deux.
J'ai en effet joué au rugby à 7 avec l'équipe de France, avec les Barbarians français et c'est un sport que j'ai adoré jouer car c'est une bouffée d'oxygène par rapport au rugby à XV. Pourquoi ? Parce que ça amène d'autres aspects du jeu qu'on n'a pas forcément à XV. Comme la surface du terrain est la même mais avec moins de joueurs, il y a énormément d'espace, plus de possibilités de prises d'initiative individuelle et d'opportunités de jeu. On y retrouve donc l'essence même du rugby : avoir confiance en soi, dominer son adversaire, avoir de l'imagination pour le déstabiliser rapidement, trouver des espaces pour marquer des essais. C'est un sport très dynamique et positif, le sport d'avenir, la discipline olympique qui va démocratiser et populariser le rugby et faire qu'un maximum d'enfants pratique ce sport à travers le monde.
En France, le rugby à 7 n'est pas très connu aujourd'hui mais cela changera en effet peut-être avec les JO de Rio en 2016.
A mon époque, il était connu car il y avait une grande compétition à Paris , le Air France Sevens, qui était très populaire. C'est d'ailleurs comme ça que j'ai été sélectionné en équipe de France. Ensuite, il y n'y a pas eu de volonté de démocratiser davantage ce sport. J'espère que cela va changer avec son inscription au programme olympique.
Il est sûr que l'absence de compétition sur le sol français n'aide pas à la popularisation du rugby à 7.
C'est une certitude. C'est pour ça qu'il est important de développer rapidement des compétitions, des tournois pour que ce sport soit vu par des enfants, pratiqué par des écoles et de créer de l'enthousiasme dans les stades. L'une des clés de Hong Kong aujourd'hui est le côté festif de ce tournoi. Je rencontre des gens qui viennent depuis 20 ans, c'est leur semaine de vacances, la semaine où ils viennent s'éclater. C'est beau de voir son sport aussi populaire en Asie et à Hong Kong.
Puisque vous parlez des Sevens, quels sont vos pronostics pour la compétition de ce week-end ?
Cela ne va pas être évident pour l'équipe de France avec ces trois joueurs en moins blessés à Tokyo, d'autant plus qu'ils ont une poule très dure avec l'Afrique du Sud qui était en finale à Tokyo le week-end dernier et l'Australie qui a joué les demi-finales. Ca va donc être très très compliqué. Le dernier carré, on le connait, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, l'Afrique du Sud, les Fidji et pourquoi pas l'Angleterre aussi qui fait partie du top 5, ils ont l'habitude de ces compétitions qui durent trois jours. C'est assez bluffant. J'ai été surpris par l'intensité des Fidjiens pendant la finale Tokyo notamment. On connaissait leurs qualités d'attaquants, la qualité du joueur de balle mais j'ai été surpris par leurs qualités de défense. Je ressentais chaque impact qu'ils mettaient au plaquage. Ca va donc être une fois encore un tournoi très relevé. N'oublions pas non plus les tournois parallèles. J'ai assisté hier au tournoi à 10. C'est intéressant de voir évoluer différentes générations d'athlètes, des joueurs en devenir et d'autres en reconversion. C'est aussi l'esprit de ce sport.
Propos recueillis par Florence Morin (www.lepetitjournal.com/hong-kong) reprise du vendredi 28 mars 2014
"Photos publiées avec l'aimable autorisation de l'UFE Hong Kong"