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Les trottoirs du Vietnam : entre chaos urbain et culture de la rue

À première vue, marcher dans les rues vietnamiennes peut sembler relever de l’exploit. Les trottoirs, censés être le refuge des piétons, sont souvent envahis par des terrasses de café, des scooters garés en file indienne, des stands de nourriture fumants et des montagnes de chaises en plastique. Pour un visiteur étranger, cette cohabitation peut paraître anarchique. Mais pour les Vietnamiens, elle fait partie intégrante du tissu urbain, un espace où la rue vit, commerce et respire. Mais face à une urbanisation galopante et aux défis de mobilité, les autorités tentent aujourd’hui de repenser cet espace devenu à la fois vital et encombré.

Les trottoirs du Vietnam : entre chaos urbain et culture de la rueLes trottoirs du Vietnam : entre chaos urbain et culture de la rue

Un espace partagé

Historiquement, les trottoirs vietnamiens n’ont jamais été strictement réservés aux piétons. Comme le rappelle l’urbaniste Annette Kim dans Sidewalk City, ils sont un lieu de sociabilité, de travail et de survie économique. Cuisiniers ambulants, réparateurs, marchands de fleurs ou coiffeurs de rue s’y installent quotidiennement, perpétuant une tradition économique informelle profondément ancrée dans la culture vietnamienne. 

Les trottoirs sont considérés par beaucoup de locaux comme une extension des maisons. On y mange, on y discute, on y travaille. Dans un pays où le coût du loyer commercial est souvent prohibitif, occuper le trottoir reste une manière de gagner sa vie à moindre frais. 

 

Scooters et voitures : les rois de la rue

Le scooter, emblème du Vietnam moderne, a conquis les trottoirs autant que les routes. Par manque de parkings et face à un trafic souvent saturé, les trottoirs servent de zones de stationnement improvisées ou de raccourcis pour contourner les embouteillages. Cette pratique, tolérée depuis des décennies, contribue largement à rendre la marche difficile, voire dangereuse, dans certains quartiers. 

Conscientes du problème, les autorités ont durci le ton. Depuis janvier 2025, un nouveau décret (Decree 168/2024) impose des amendes renforcées pour les conducteurs de motos circulant ou se garant sur les trottoirs. L’objectif est clair : rendre l’espace piétonnier à ceux pour qui il a été conçu.

 

La grande réhabilitation des trottoirs

L’année 2025 marque un tournant. La municipalité a lancé un vaste projet de rénovation de 37 rues du district 1, avec un budget de 355 milliards de dongs (environ 14 millions de dollars). 
Les travaux consistent à refaire entièrement les trottoirs : pavage en granit, remplacement des bordures, amélioration des réseaux d’eau et d’électricité, et renforcement des fondations pour éviter les déformations dues à la chaleur et aux racines d’arbres. 

L’objectif est double : améliorer la sécurité des piétons et moderniser le visage du centre-ville avant les grands événements internationaux prévus dans les prochaines années. 

 

Réguler sans étouffer la vie de rue

La ville avait, depuis 2023, expérimenté un système de redevance pour l’usage des trottoirs par les commerces et vendeurs. Mais la mesure, jugée inégalitaire et difficile à appliquer, a été suspendue début 2025. 
Les autorités travaillent désormais à un nouveau plan de gestion plus souple, censé distinguer les zones strictement piétonnes, les zones commerciales et les zones mixtes. 

En parallèle, des campagnes régulières de démantèlement des installations illégales sont menées dans plusieurs arrondissements. En août 2025, par exemple, 52 structures empiétant sur les trottoirs ont été retirées dans le district de Binh Tan. Mais dès que les contrôles se relâchent, les trottoirs reprennent leur fonction informelle : cafés, stands, parkings et cuisines. 

 

Le piéton, toujours en quête d’espace

Pour les habitants comme pour les touristes, marcher reste un défi. 
Selon Tuoi Tre News, plus de la moitié des rues de Ho Chi Minh-Ville ne disposent pas de trottoirs adaptés, certains sont trop étroits, d’autres totalement absents. Les personnes âgées, les familles avec enfants ou les personnes handicapées en pâtissent directement. 

Des associations locales plaident pour une revalorisation du droit à la marche, un enjeu encore émergent dans les débats publics vietnamiens. Certains projets pilotes, notamment à Hanoï, expérimentent des trottoirs élargis et mieux délimités, mais les résultats restent timides. 

 

Un désordre vivant

Malgré les efforts de régulation, le désordre des trottoirs conserve son charme et sa raison d’être. 
Ces quelques mètres de ciment sont l’incarnation de la débrouillardise vietnamienne : une économie de proximité, un lieu de rencontre et un symbole de vitalité urbaine. Les réformes de 2025 ne cherchent pas à effacer cette culture, mais à trouver un équilibre entre tradition et modernité, entre le droit de marcher et le droit de vivre dans la rue.

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