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« L’ESG, c’est notre philosophie » : Témoignage de deux entreprises performantes

Entre transition verte, dynamisme économique et évolution réglementaire accélérée, le Vietnam s’impose comme un terrain propice à l’implantation des normes ESG. Lors de la Conférence ESG Vietnam 2025, en mai dernier, une des sessions a mis en lumière les stratégies de deux entreprises implantées dans le Delta du Mekong : Betrimex, acteur majeur du secteur des produits à base de noix de coco, et TechCoop, société agro-fintech soutenant les agriculteurs. Leurs représentants ont échangé de l’inclusivité, du leadership féminin, du paysage agroalimentaire émergent et des chaînes d’approvisionnement durables.

« L’ESG, c’est notre philosophie » : Témoignage de deux entreprises performantes« L’ESG, c’est notre philosophie » : Témoignage de deux entreprises performantes
Écrit par Joséphine Chaboche
Publié le 18 juin 2025

Le Vietnam : terreau fertile pour l’implantation des critères ESG

Les critères ESG suscitent une attention croissante grâce au potentiel économique et géographique du Vietnam. Alors que plusieurs entreprises les voient encore trop souvent comme un « fardeau économique », l’ESG offre pourtant de nombreuses opportunités, servant de « boussole d’investissement » pour un avenir plus durable.

Lors de la conférence d’Investissement sur les ESG Vietnam 2025, les 13 et 14 mai dernier, plusieurs discussions ont mis en avant les avancées du pays vers sa transition verte : tourisme durable, infrastructures vertes, main-d’œuvre plus inclusive, circularité… et chaînes d’approvisionnement agricoles.

Le Delta du Mékong, touché par des aléas climatiques (sécheresse, intrusion saline, érosion côtière, inondations, montée des eaux, …), se révèle être une région propice à l’implantation des critères ESG au Vietnam. Plusieurs entreprises y développent des chaînes d’approvisionnement agricole à plus forte valeur ajoutée grâce aux normes ESG.

A travers sa discussion intitulée « Développer une chaîne d'approvisionnement agricole aux normes internationales dans le delta du Mékong grâce aux normes ESG », la conférence ESG Vietnam 2025 a mis le projecteur sur les élans innovants lancés dans la région du Mékong. Des chaînes d’approvisionnement résilientes et éthiques existent, anticipant les risques climatiques et promettant un potentiel d’investissement dans le paysage agroalimentaire du Vietnam.

La session s’est penchée sur les stratégies ESG de deux entreprises vietnamiennes influentes : Betrimex - acteur majeur du secteur des produits à base de noix de coco dans le delta du Mékong -  et TechCoop - société agro-fintech permettant aux agriculteurs d'accéder à des technologies et à des financements -. Ces deux entreprises performantes ont prouvé que l’ESG n’est pas un effet de mode, un fardeau ou un critère parmi d’autres, mais bien leur philosophie d’entreprise.  

Betrimex, “On est là depuis 50 ans, et prêts pour les 50 prochains”

Modératrice : Betrimex est passé d’un simple exportateur de matières premières à un leader mondial des solutions à base de noix de coco. Quels ont été les jalons clés de votre chaîne d’approvisionnement et comment l’ESG est-il devenu central dans votre stratégie ?

Dang Huynh Uc My : Tout a commencé avec une étude approfondie de l’industrie de la noix de coco. On a pris des décisions fortes : acheter la matière première, la transformer localement, et même valoriser les déchets. Dans le delta du Mékong, la traçabilité est cruciale, on travaille directement avec les agriculteurs pour produire un produit propre et zéro déchet. D’une seule noix de coco, on peut tirer jusqu’à 250 produits utilisés dans l’agroalimentaire et la cosmétique. L’ESG, c’est notre philosophie. On a des certifications commerce équitable et biologiques sur 25 000 hectares, une présence dans 80 pays, une production de classe mondiale (solaire, eau, énergie), et on est présents dans le co-packing et co-manufacturing en Europe et aux États-Unis. On a aussi commencé à développer une usine numérique au Vietnam.

 

Discussion sur l'ESG au Vietnam : strategie zero dechets

 

Modératrice : Avec les changements de politique aux États-Unis, comment cela a-t-il affecté vos activités ?

Dang Huynh Uc My: Les chaînes d’approvisionnement mondiales ont déjà changé. Le marché chinois, par exemple, commence à comprendre qu’il faut penser autrement. Et nous, on n’a quasiment pas été impactés. Le marché asiatique, européen, chinois… est là, et on voit un fort potentiel régional, notamment en Asie du Sud-Est (Vietnam-Indonésie). Nos partenaires américains, eux, ont souffert, mais nous, nous sommes bien positionnés. À terme, la sécurité alimentaire va devenir une priorité absolue d’ici 2028.
Et il faudra repenser la logistique et les fournisseurs – pas seulement pour les gouvernements, mais aussi pour les entreprises.

Modératrice : Le Vietnam se distingue par un fort leadership féminin. Qu’en pensez-vous ?

Dang Huynh Uc My: Nous venons d’une région appelée Dong Khoi, connue pour son histoire de femmes puissantes. Les femmes asiatiques – vietnamiennes en particulier – sont multifonctionnelles, responsables, très engagées. Elles ne sont pas là seulement pour l’apparence, elles ont un esprit stratégique, compétitif, et savent gérer. Par exemple, dans le secteur laitier au Vietnam, 80 % des entreprises sont fondées par des femmes. L’agriculture naturelle aussi repose sur leur leadership, avec une vision tournée vers la nutrition, la sécurité familiale, la santé. Leur approche apporte un équilibre dans les affaires et dans la société.

Ryan Galloway : Comment attirez-vous et retenez-vous les talents dans ce secteur ?

Dang Huynh Uc My: Les femmes, quand elles savent ce qu’elles veulent, elles s’y tiennent avec constance et stratégie. Elles sont tournées vers le passé, le présent, et le futur. Elles sont résilientes et professionnelles, ce qui les rend capables de faire face aux crises. Leur leadership mérite d’être reconnu dans les activités économiques et sociales.

Modératrice : Un message ou conseil final pour le public ?

Dang Huynh Uc My: Si quelque chose dure depuis trop longtemps, agissez, ne restez pas inactifs. Chez Bitomex, on a lancé un modèle d’agrobusiness où tous les acteurs partagent les bénéfices. On est là depuis 50 ans, et on est prêts pour les 50 prochains. L’ESG n’est pas un concept lointain : il est déjà là, en vous, dans votre environnement, votre entreprise, votre société. Il faut simplement en prendre conscience et l’incarner.

 

Delta du Mekong et les chaines d'approvisionnement responsables

 

TechCoop, Transformer les coopératives locales en exportateurs mondiaux

Modératrice : Pouvez-vous nous parler un peu de vous et de TechCoop ?

Ryan Galloway : Je suis au Vietnam depuis 15 ans. TechCoop est un acteur du négoce agricole, on aide les PME et coopératives agricoles à regrouper leur production et à lisser les délais de paiement. L’an dernier, on a traité environ 75 millions, cette année ce sera 155 millions. Notre objectif, c’est d’aider le gouvernement à doubler les exportations. Pour exporter, il faut une bonne production de départ, de bons ingrédients. On veut trouver les mille prochains exportateurs – souvent des entreprises familiales de première ou deuxième génération qui veulent aller plus loin.

Modératrice : Quels sont vos territoires d’influence et comment l’ESG s’intègre dans votre travail ?

Ryan Galloway :Une grande partie de ce qu’on fait, c’est aider les petites entreprises agricoles à devenir exportables. Pour ça, il faut des certifications (GlobalGAP, Rainforest Alliance, …) avec des pré-audits sur place, puis des rapports d’analyses, et seulement après on commence à les mettre en relation avec des acheteurs étrangers. On veut éviter de présenter à un acheteur une entreprise qui n’est pas prête. Notre équipe passe deux ou trois jours dans les usines pour tout vérifier. C’est une forme de "preuve sociale". Et soyons honnêtes : parfois les gens adoptent l’ESG par intérêt économique, ils veulent gagner plus… Pour eux, l’ESG, c’est un coût supplémentaire, pas une idéologie.

Modératrice : Comment la situation économique américaine a-t-elle affecté votre entreprise ?

Ryan Galloway : On a eu de la chance : pas d’exposition directe au marché américain. Mais le jour où mon conseil d’administration a vu « 46 % », mon téléphone a explosé. J’ai dit « attendez, on va gérer » et les choses se sont améliorées. Nous, on vend des noix de coco principalement... Les agriculteurs dépendent de nous pour pouvoir écouler leur production. Si on ne peut pas vendre aux États-Unis, il faut diversifier. On a juste eu de la chance de ne pas avoir misé gros sur les États-Unis, contrairement à certains de nos clients.

Modératrice : Comment promouvez-vous l’agriculture durable auprès des petits producteurs ?

Ryan Galloway : On a trois axes. Le financement : on agit un peu comme leur CFO, en leur donnant accès à des financements, à l’éducation, etc. Le marketing : on les aide à négocier leurs premiers contrats, à comprendre les changements réglementaires. La dimension sociale : on analyse l’entreprise sous l’angle du genre et de la famille. On utilise l’effet réseau : qui nous a introduits ? Où ont étudié leurs enfants ? Quelle place les femmes occupent dans leur activité ? Et c’est d’ailleurs souvent elles qui gèrent tout. Les investisseurs nous demandent des métriques carbone, etc., mais le plus important, c’est ce que fait l’entreprise aujourd’hui pour ses travailleurs et sa chaîne d’approvisionnement. Est-ce qu’elle fait progresser tout le monde avec elle ? Au Vietnam, beaucoup de relations commerciales sont aussi des relations familiales, parfois depuis plusieurs générations. On respecte ça.

Modératrice : Une dernière chose à partager avec le public ?

Ryan Galloway : Patience et persévérance. Il faut être sur le terrain, mettre les pieds dans la terre. Avec l’IA et la recherche d’efficacité, on oublie les liens humains qui font fonctionner ces métiers. Les agriculteurs travaillent dur, très dur et ils méritent notre respect.

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