Jean-Luc Voisin a remporté le Trophée Entrepreneur des Trophées des Français d’Asie/Océanie. lepetitjournal.com Ho Chi Minh Ville dresse le portrait de cet autodidacte inspirant, dont le point d’orgue de sa carrière entrepreneuriale s’est fait au Vietnam dans les terres fertiles du Mékong. Jean-Luc Voisin est également lauréat du Trophée Entrepreneur des Trophées des Français de l'étranger 2020, remis par Edhec Business School.
La rédaction HCMV a rencontré Jean-Luc Voisin dans les locaux de son entreprise, Les Vergers du Mékong, situés dans le District 2 de Saigon. Le visage rayonnant, ultra souriant, le regard bienveillant, il nous a accueillis dans un contexte de bonnes nouvelles en continu. En octobre dernier, Les Vergers du Mékong devenait la toute première société au Vietnam à obtenir la certification B Corp, une reconnaissance accordée aux entreprises répondant à des exigences sociétales, environnementales et transparentes envers le public. « Si on veut donner une identité à une entreprise et l’inscrire dans un cercle plus vertueux, il faut lui donner une responsabilité par rapport à l’environnement et aux clients. »
Également, ce qui s’était imposé dans l’esprit de Jean-Luc comme un véritable pari se concrétise enfin aujourd’hui : au début de la semaine, les premiers arbres fruitiers dans le cadre d’une agriculture organique ont vu le jour. Cette avancée s’inscrit dans une volonté de répondre à la demande générale du « bio », après concertation avec les producteurs qui travaillent en lien avec Les Vergers du Mékong.
Enfin, Jean-Luc Voisin s’est vu remettre hier soir à la Résidence de l’Ambassadeur de France à Singapour, le Trophée Entrepreneur des Trophées des Français d’Asie/Océanie, organisés par lepetitjournal.com. Cette victoire, ce Savoyard de 67 ans ne l’a pas volée, mais plutôt durement gagnée, depuis son premier voyage au Vietnam en 1990 et son installation définitive en 2000.
« Le Delta du Mékong, c’est le grenier du pays »
Après une carrière de globe-trotter à développer des concepts un peu partout pour le compte de l’industrie agro-alimentaire, tantôt pour des multinationales, tantôt pour des bureaux d’études en ingénierie, et tout en endossant la casquette de consultant indépendant, Jean-Luc Voisin décide de se sédentariser. À 45 ans, il ressent le besoin de créer. En 1990, son avion se pose donc pour la première fois à l’aéroport de Hanoi dans ce qui n’ était encore qu’un hangar au milieu des rizières. Mais la rapidité avec laquelle les choses changent, l’adaptation, la soif de développement du pays après des siècles de conflit et de domination, font pressentir à Jean-Luc un potentiel énorme. En arpentant les terres du Mékong, notamment la ville de Cần Thơ, alors à 8h de route de Saigon, mûrit dans son esprit l’idée de travailler sur les fruits en les transformant en purées, confitures et jus ; à cette époque, on ne connaît que l’Orangina. « Le delta du Mékong, c’est le grenier du pays, un véritable jardin, affirme Jean-Luc, 18 millions d’habitants y vivent directement ou indirectement de revenus agricoles. Je voulais être proche des producteurs de fruits. » Son désir de s’implanter au Vietnam et d’apporter sa pierre à l’édifice ne se concrétisera que quelques années plus tard, après une rencontre avec les Cafés - Folliet, torréfacteur français depuis 1880 reconnu dans l’Hexagone. À ce moment-là, les secteurs plus que porteurs des fruits transformés et du café donnent lieu à une idée commune de développement, sur la gamme du petit-déjeuner. Les deux familles Voisin et Folliet décident alors de s’associer.
Dans un contexte de crise financière asiatique, Jean-Luc n’a eu aucun mal à monter son entreprise au Vietnam, en tant qu’étranger, sans être passé par la case avocat. Mieux, on l’a accueilli à bras ouverts. « J’ai monté un dossier avec mon fidèle adjoint, Monsieur De, et l’ai présenté en janvier 2000 avec promesse de recevoir la licence en moins d’un mois ». À ce moment-là, toutes les provinces recherchaient des investissements. Jean-Luc Voisin obtient sa licence le 29 février, année bissextile, le mois avait bien été respecté !
Aujourd’hui, 200 salariés évoluent dans l’entreprise Les Vergers du Mékong, laquelle s’est développée également au Cambodge. L’usine de transformation est à Cần Thơ, et 2 000 producteurs vivant dans le Delta et les provinces proches, en lien étroit avec l’entreprise, fournissent les fruits (citrons, goyaves, ananas, mangue, fraise etc.), à raison de plus de 2 000 tonnes par an et plus de 25 variétés différentes. La société qui avait démarré «avec des petits moyens » et une quarantaine d’employés, dans un local d’une usine d’alimentation animale prêté par un ami a depuis été récompensée à de multiples reprises, grossi et mûri telle un fruit, dont elle est devenue véritable ambassadrice au Vietnam, en atteignant les grandes tables de l’hôtellerie de luxe (Groupe Accor, New World, Caravelle, Rex, Sheraton, Hyatt etc.), la restauration et la grande distribution (7 Eleven, Family Mart, Circle K , Big C, Eon etc.).
La confiance maître de tout
Même si Les Vergers du Mékong « vit ses 30 glorieuses », en croissance continue « à deux chiffres », Jean-Luc Voisin ne perd pas le nord sur son objectif initial. « Le challenge, c’était de pouvoir maintenir les populations dans les zones rurales en leur assurant un revenu digne et suffisant pour conserver leur exploitation. J’étais, et je suis toujours un travailleur immigré : on doit bien travailler et aider au développement du pays. »
Cela n’a pas toujours été de tout repos : devant faire face à un monde en accéléré, « comme un film à la Chaplin », se plaît-il à comparer, soumis à la remise en question perpétuelle d’un marché en pleine évolution, Jean-Luc a surtout dû se faire accepter des paysans avec lesquels il souhaitait travailler. « On pourrait faire un copier-coller avec les agriculteurs français, à la différence du climat et de la langue. Ils se lèvent à 4h du matin pour aller travailler sur leurs terres qu’ils aiment. Pour moi, c’était un devoir de trouver comment les intégrer, et cela passait par ma propre intégration, en les assistant. J’ai dû les apprivoiser, leur faire comprendre que je n’étais pas là pour les exploiter, mais bien pour créer une équipe Producteur-Transformateur gagnante. » Et pour ce faire, qui de mieux placé que Jean-Luc, lui-même initialement paysan, ayant grandi dans une ferme savoyarde, où « celui qui venait de la vallée était un étranger, de Lyon un indésirable, et de Paris un envahisseur » ?
« Quand on est montagnard, on sait ce que c’est que le mauvais temps…. Et on l’aime ! »
On pourrait penser que tout a toujours souri à cet éternel optimiste depuis la création des Vergers du Mékong. Or, en 2003, trois ans après l’ouverture de l’entreprise, le virus SRAS qui avait fait plusieurs morts à Hanoi condamnait le tourisme et les affaires au Vietnam pendant plusieurs mois. « Il n'y avait plus aucun visiteur et on n’avait plus de clients. J’ai fait venir tous les salariés - une quarantaine. On pouvait tenir encore quelques mois avant fermeture. Plus longtemps si je licenciais la moitié des employés. Et enfin, 6 mois si je gardais tout le monde, mais que je divisais les salaires par 2. On a choisi cette dernière option, et tout le monde est encore là aujourd’hui car 5 mois après les activités reprenaient ! Pendant longtemps, je ne me suis pas versé de salaire. » Un exemple parmi tant d’autres du lien incroyable qui unit Jean-Luc Voisin et l’ensemble des personnes qui travaillent avec les Vergers du Mékong. Dans son modèle d’entreprise où il a patiemment instauré un réel climat de confiance, et où l’on accorde une vraie importance à la « social Corporate responsibility », pas de problème de perte de personnel chaque année après le Têt. Les collaborateurs sont fiers de leur entreprise « familiale ». « Au Vietnam, dans les trois piliers culturels que sont le taoïsme, le bouddhisme et le confucianisme, il y a plusieurs cercles de protection, explique Jean-Luc Voisin : la famille, le village et depuis peu l’entreprise. J'ai donc toujours travaillé pour que les gens se sentent bien, qu'ils soient payés correctement et qu'ils bénéficient d’aides s’ils en ont besoin. Il y a certes un côté paternaliste total, mais qui s’est tissé au fur et à mesure. »
Avec 80% du chiffre d’affaires réalisé au Vietnam, les produits issus des Vergers du Mékong, sont aussi consommés dans plusieurs pays d’Asie et Moyen-Orient ( Corée, Japon, Singapour, Malaysie, Dubai etc..)
Quant au nouveau pôle de développement, il reste bien sur les plantations biologiques, aussi bien pour le marché domestique que pour l’export. « Et avec peu ou pas de concurrence directe au Vietnam sur le bio, on pourra rajouter 20% sur l’achat des fruits, se réjouit Jean-Luc Voisin, une raison de plus pour pouvoir améliorer les revenus des petits producteurs ». Et le 15 novembre dernier, à l’occasion du « Farmer Day » durant lequel Jean-Luc tenait à présenter cette nouvelle stratégie de développement aux meilleurs de ses agriculteurs du Mékong, ces derniers ont bien compris l’enjeu et la plus-value que pourraient engendrer à court terme ce marché prometteur, dans un pays où la culture du bio n’a pas encore fait son chemin. « On va certainement perdre des rendements, on a encore un apprentissage à faire parce qu’on ne connaît pas tous les fruits, l’environnement, les paramètres… Mais là où je peux m’engager, c’est que je prendrai les pertes en charge ; ce qui compte pour eux c’est la confiance et j’ai tout bâti là-dessus depuis 20 ans. »
À cette allure-là, Les Vergers du Mékong espèrent bien doubler la production de fruits, et passer à 4000 tonnes d’ici peu.
Un CAIRN
Plutôt que des conseils techniques, Jean-Luc Voisin emploie une métaphore pour répondre à notre question sur ce qu’il conseillerait à quiconque souhaiterait emprunter la voie entrepreneuriale : « Quand on a un projet et qu’on est suffisamment passionné, il faut pouvoir, à la manière d’un marathon, le tenir le plus longtemps possible. Après, les choses viendront d’elles-mêmes. La dureté amène le plaisir. »
Enfin, quand on lui demande ce que représente pour lui le Trophée Entrepreneur des Trophées des Français d’Asie, c’est toujours avec beaucoup de poésie que ce montagnard dans l’âme assimile ce Prix à un cairn, ce monticule de cailloux créé à dessein par les randonneurs et alpinistes pour laisser une trace de leur passage, et permettre aux suivants de se repérer. « C’est surtout un moment important que l’on fixe dans sa mémoire ; il correspond à des évènements particuliers mais aussi il signale que l’on est bien sur le bon chemin ! C’est la symbolique du Cairn ».
Et de conclure : « Ma femme qui m’a toujours soutenu, et ma fille qui travaille aussi avec moi en tant qu’actionnaire sont également dans la cordée, ainsi que mes collaborateurs. J’aime ouvrir la voie, mais ce qui prime avant tout, c’est la notion d’équipe. »