Georges Blanchard, c’est un cocktail détonant de bienveillance, d’humanisme et d’hyperactivité. Celui qui est à l’origine d’Alliance Anti Trafic (AAT), la première organisation de lutte contre le trafic de femmes et d’enfants pour l’esclavage sexuel au Vietnam, n’a jamais cessé de se battre pour aider son prochain. Il est lauréat du Trophée Social & Humanitaire des Trophées des Français d'Asie/Océanie 2019 et lauréat du Trophée Social et Humanitaire des Trophées des Français de l'étranger 2020, remis par France Médias Monde.
« J’ai appris le vietnamien dans la rue, à l’université du peuple ». Il faut croire que celle-ci est efficace : Georges Blanchard parle couramment la langue. A l’époque, dans les années 90, pas d’application Google Traduction, alors qu’il travaillait dans le Delta du Mékong et à Ho Chi Minh Ville pour aider les enfants des rues, entouré uniquement de locaux. Seulement de l’huile de coude et beaucoup d’ouverture d’esprit. C’est donc en retroussant ses manches qu’il a recopié le dictionnaire vietnamien en entier, et l’exercice a porté ses fruits. Il vit à Saigon, une ville qu’il aime et n’a jamais quittée. En 30 ans, il n’est rentré en France que 5 fois. Marié depuis 25 ans à une Vietnamienne et papa de deux enfants, cet homme de 57 ans côtoie surtout des gens du pays. « Je ne suis pas un expat’, mais un migrant ! »
Avant de fonder l’association Alliance Anti Trafic, Georges a eu plusieurs vies, souvent reliées directement à la jeunesse et l’éducation : en France, il a démarré sa vie professionnelle en tant qu’apprenti en construction, bénévole des MJC, avant de devenir éducateur socio-culturel pendant 8 ans, durant lesquels il a également passé un an à l’armée. Là-bas, il crée un club de ski de fond et monte un groupe de musique. « Il n’y avait que des gradés, et le colonel était à la batterie », se souvient Georges, amusé. Sa capacité à rassembler et déconstruire l’image militaire stricte, lui vaut une médaille de la quatrième région militaire Alsace-Lorraine pour son travail dans le développement des relations Armée-Nation. C’est la première d’une longue série.
L’électrochoc
A 10 ans, avec une majorité de têtes blondes à l’école, dans les Vosges d’où il est originaire, Georges Blanchard rencontre des enfants de la diaspora vietnamienne. Leur visage asiatique lui donne des envies d’ailleurs. Sur sa télé en noir et blanc, il voit des images de la guerre, et rêve de prendre l’avion pour découvrir ce pays. Un souhait qui ne s’exaucera qu’à l’âge de 30 ans.
Le jeune homme arrive dans un Vietnam où l’après-guerre a pratiquement stagné. « On voyait encore des maisons avec des trous de balles. Il n’y avait pas d’électricité ni de resto après 18h30. Les enfants et les rats se battaient pour trouver de la nourriture dans les poubelles, en bas de ma chambre. Il y avait 90% de vélos, et quasiment pas de motos. » Tout de suite, la pauvreté du pays l’interpelle. Il commence à aider dans les écoles et paye la scolarité de certains enfants des rues avec ses propres économies, puis s’engage auprès d’une ONG pour un projet d’une dizaine d’années, consacré au développement des droits de l’enfant au Vietnam. « Un jour, dans mon école de Da Kao, deux petites filles de 8 et 9 ans ont disparu, raconte Georges Blanchard. Une femme est arrivée et a expliqué aux filles que leur mère était coincée au marché, et qu’elle avait été envoyée pour les récupérer. Les petites l’ont suivie, sans poser de questions. Une demi-heure plus tard, la mère est arrivée en demandant où étaient ses filles. Elles avaient été kidnappées. » Aussitôt, Georges informe la police qui finit par retrouver les fillettes à la frontière de Tay Ninh. Elles viennent d’échapper à une effroyable destination : à 11 km de Phnom Penh, le village de Sway-Pack, que les Vietnamiens appellent le Kilomètre 11, est un village entier de prostitution infantile. « Pendant mes investigations dans ce village, les deux plus jeunes prostituées que j’ai rencontrées avaient seulement 6 ans ! »
Ce funeste épisode qui finit bien, marque le début de la lutte de Georges Blanchard contre le trafic de femmes et d’enfants d’abord au Vietnam, qui par la suite s’étendra jusqu’au Laos, la Thaïlande, la Birmanie, la Malaisie et Singapour.
Alliance Anti Trafic et ses prémices
En 1995, Georges réalise sa première campagne de sensibilisation sur le trafic humain au Vietnam, non sans peine, car à ce moment-là, l’état vietnamien ne reconnaît pas encore ce problème social. Au début, il demande des fonds à la communauté européenne de Hanoi. En premier lieu, celle-ci refuse, malgré les signalements d’un archevêque avertissant sur l’évolution trop rapide de certains enfants des rues, et leurs changements d’habits suspects. Au terme d’une enquête, Georges identifie une trentaine d’enfants victimes de pédophilie, acheminés vers un hôtel, et collecte le témoignage d’environ 200 fillettes dont la virginité a été vendue par leur famille. « Revenu à Saigon, un Français de la délégation européenne en vacances m’a téléphoné en me disant : ‘tu avais raison : je suis à Nha Trang, et il y a des enfants qui masturbent des hommes sur la plage’. Ainsi, ils ont accepté de me financer sur-le-champ. »
Georges inaugure son premier centre de reconversion professionnelle pour femmes prostituées en 1998, à Vung Tau, avant de croiser le chemin d’AFESIP. « En 2000, l’ONG AFESIP au Cambodge voulait aussi venir en aide aux victimes du trafic d’être humains. Lorsqu’elle s’est rendu compte qu’il n’y avait que des enfants vietnamiens dans les bordels, elle a décidé de se rapprocher d’ONG vietnamiennes. » Georges entreprend d’ouvrir AFESIP à Saigon, qui deviendra par la suite Alliance Anti Trafic. En 2001, le tout premier réseau régional de lutte anti-trafic humain est monté, à travers les actions d’ONG locales, présentes en Malaisie, à Singapour, au Laos, en Thailande, au Cambodge et au Vietnam. « Notre but était de préparer de vraies opérations de sauvetage avec les polices locales et de collecter de vraies preuves à montrer pour éveiller les consciences collectives et des gouvernements de la région. Notre travail a permis la création de nombreuses lois. »
Inarrêtable, Georges Blanchard a travaillé avec un ancien agent du FBI sur la réalisation d’un film, dans lequel ce dernier s’est rendu dans des maisons closes où étaient exploités des enfants vietnamiens, en se faisant passer pour un client. « Nous avons remis ce document à la police, qui l’a ensuite remis au gouvernement. » Un choc nécessaire, puisque la machine se met alors en branle pour AAT : ses investigations reconnues en 2003, l’association peut enfin travailler en lien avec les autorités et le gouvernement. La chaîne de télévision VTV1 se déploie autour de lui pour un film de 25 minutes. « Le tout premier, qui allait présenter au peuple le problème du trafic et de l’exploitation sexuelle ! » Pour Georges, ce n’est pas encore une victoire : il vient seulement de franchir la première étape. S’ensuivront de réels aboutissements après plusieurs années de lutte acharnée : en 2003, l’existence du trafic humain et la reconnaissance des victimes en tant que telles sont acceptées par le gouvernement, et Georges se verra honoré de 3 médailles et d’une carte de citoyen permanent du Vietnam, approuvées par le Premier Ministre vietnamien, Nguyen Tan Dung.
Aujourd’hui, l’équipe d’Alliance Anti Trafic Vietnam se constitue de 10 personnes, dont 4 anciennes victimes, travaillant comme éducatrices de rue. L’ONG a secouru 5.579 victimes de la traite des êtres humains, supporté 62.288 femmes (dont 10% de mineures) enrôlées dans la prostitution, éduqué à la prévention 113.079 enfants dans les écoles officielles et offert 708 bourses scolaires à des enfants à risque d’être trafiqués. AAT a également monté une unité spéciale Where Dreams Bloom, encadrée par des étudiantes de l’université de travailleurs sociaux de Ho Chi Minh Ville, pour la surveillance étroite d’une trentaine de fillettes âgées de 7 à 18 ans, identifiées à risque d’être vendues à la prostitution avant leur majorité. En tout, une cinquantaine de personnes œuvrent pour AAT dans plusieurs pays d’Asie du Sud-Est, comme la Thaïlande, le Laos et le Myanmar. Grâce à leurs actions conjointes et régulières, plus de 8500 victimes de la traite pour l’exploitation sexuelle ont pu être sauvées.
Les difficultés d’ATT : Sécurité et pérennité
Si Georges Blanchard n’a jamais changé de cap, il ne s’est pas fait que des amis dans son combat. Tentatives d’intimidation et menaces de mort ont jalonné son parcours. Georges a même dû parfois, travailler directement en lien avec certains trafiquants pour arriver à ses fins. « Il y a eu cette fille, Linh*, kidnappée à 14 ans par la mafia chinoise, dans une province du Mékong. Après avoir été transformée en objet sexuel par la chirurgie esthétique, elle a été vendue à Macao et droguée, pour qu’elle ne puisse pas s’enfuir. A 16 ans, après avoir été revendue à un réseau de prostitution à Hong Kong, elle s’est échappée et s’est rendue au centre pour les Vietnamiennes, créé par AFESIP au Cambodge. Une plainte internationale a été déposée contre les criminels. La police vietnamienne a arrêté 3 Vietnamiens impliqués en moins de trois jours. » Ensuite, la mafia chinoise a payé des policiers cambodgiens pour assassiner Linh. « Nous avons payé des trafiquants vietnamiens pour qu’ils kidnappent Linh au Cambodge et qu'ils la ramènent au Vietnam, où ma femme et moi l’avons accueillie et protégée. » Mais se pose alors le problème de réhabilitation : quelques temps plus tard, Linh est repartie au Cambodge, où elle serait devenue elle-même trafiquante. Malheureusement, le manque de prise en charge et d’aide pour ces personnes, tout particulièrement dans le centre et le sud du Vietnam fait que plus de 50% des filles victimes, sauvées du trafic des êtres humains, finissent par emprunter cette même voie. Heureuses d’être revenues, l’impression des victimes d’avoir survécu à quelque chose d’horrible se transforme vite en ennui mortel. « Dans les pays où elles ont été amenées, elles pouvaient fumer, boire et danser en discothèque alors que dans la campagne vietnamienne, elles ne voient pas d’avenir : pas de formation, ni de diplômes etc. », regrette Georges. Enfin, certaines familles nombreuses ne voient pas le mal à prostituer ou envoyer leur propre fille à des réseaux de trafic humain. C’est plutôt un sacrifice, le pilier qui nourrira la famille et permettra de payer les études d’un jeune frère.
L’infatigable Georges Blanchard n’a de cesse de promouvoir l’importance de l’éducation et de la prévention, son cheval de bataille, lui qui a quitté l’école à 14 ans et qui le regrette toujours aujourd’hui. Attelé à son autobiographie, avec l’aide d’un journaliste, il a choisi un joli titre qui le définit bien : « L’homme qui reste. »
Je ne me suis pas construit parce que je suis intelligent mais parce que j’ai rencontré des gens intelligents.
* Le prénom a été changé
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