Installée en Louisiane depuis 1999, Peggy Feehan dirige aujourd’hui le CODOFIL (Conseil pour le développement du français en Louisiane), l’unique agence d’État américaine entièrement dédiée à la langue française. Entre recrutement d’enseignants, développement communautaire et présence internationale, elle pilote un projet ambitieux, avec une équipe restreinte mais passionnée. Portrait d’une femme de terrain au service d’un héritage en mutation.


Une Acadienne à Lafayette
Arrivée en 1999 comme enseignante de français dans une école rurale de Louisiane, Peggy Feehan n’imaginait pas qu’elle deviendrait un jour directrice du CODOFIL. « J’étais censée rester trois ans, et vingt-cinq plus tard, je suis toujours là ! », dit-elle avec humour.
Issue du Nouveau-Brunswick, elle a d’abord enseigné dans les écoles d’immersion avant de gravir les échelons de l’administration scolaire, puis d’intégrer le ministère de l’Éducation louisianais.
En 2018, elle prend la tête du CODOFIL, à un moment charnière. « Mon premier jour comme directrice, c’était le 1er janvier. J’ai commencé l’année avec deux jobs en même temps », se souvient-elle.
Le CODOFIL, une exception américaine
Créé dans les années 1960, le CODOFIL est né de la volonté d’un avocat à la retraite, James Domengeaux, qui convainc le Président de la République française, Georges Pompidou, les Premiers Ministres de la Belgique et du Québec de lui prêter main forte puis s'emploie à réunir autour de lui une trentaine de législateurs louisianais pour ensemble créer une agence gouvernementale dédiée au français.
« C’est une agence de l’État, on est des fonctionnaires. On fait partie du ministère de la Culture. »
Unique aux États-Unis, le CODOFIL dispose d’un mandat législatif et de relais solides à la législature. « Je peux téléphoner à des sénateurs, des députés pour faire avancer un projet de loi. » C’est grâce à ce statut que le français peut, par exemple, être utilisé dans des débats au Sénat de Louisiane.
Éducation : freiner le déclin, former les relais
L’éducation reste le socle historique du CODOFIL. Chaque année, l’agence recrute à l’étranger plus de 150 enseignants francophones. « Cette année, on en recrute 155. On a une trentaine d’enseignants louisianais. C’est mieux que rien, mais c’est nettement insuffisant. » explique la directrice.
Si l’immersion scolaire touche environ 5 200 élèves, les chiffres stagnent. « On a freiné le déclin, mais de là à dire qu’on va redevenir un État francophone comme dans les années 70… c’est se raconter des gros mensonges. » nous confie-t'elle
Même avec des incitatifs forts – études payées, emploi garanti –, les jeunes locaux préfèrent souvent partir enseigner ailleurs. « Le métier n’attire pas. Ce n’est pas un métier facile. »
Une action à 360° : économie, communauté, culture
Avec seulement six employés, le CODOFIL agit sur plusieurs fronts : éducation, bien sûr, mais aussi développement économique, communautaire, communication. « On pourrait facilement être le double. » avoue Peggy.
Dans l’hôtellerie et la restauration, des ateliers accompagnent les entrepreneurs souhaitant franciser leur offre. Côté communautaire, les « tables françaises » réunissent les amateurs de langue autour d’un café ou d’un livre : « Il y en a qui font des dictées, d’autres viennent avec une anecdote, une blague… C’est très populaire. » Le CODOFIL soutient aussi les artistes locaux, aide à traduire des menus ou à organiser des tournées d’auteurs francophones dans les écoles.
Une Francophonie ancrée et ouverte
En 2018, la Louisiane devient membre observateur de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Peggy Feehan a rédigé le dossier de candidature avec un comité, malgré une charge de travail déjà considérable. « C’était pas dans mes priorités au départ… mais ça a marché. »
La Louisiane a dû affronter les réticences de certains États membres. « Il y a des pays qui disaient : “Mais qu’est-ce que les États-Unis viennent faire ici ?” On n’est pas les États-Unis, on est la Louisiane. » se souvient Peggy. Aujourd’hui, elle représente l’État aux instances de la Francophonie : « C’est moi qui reçois la correspondance de l’OIF, qui répond pour le gouverneur ou les sénateurs. »
Le français en Louisiane : entre mémoire et futur
La Louisiane n’est peut-être plus celle où l’on parlait français au garage ou à l’épicerie. Mais grâce à Peggy Feehan et au travail discret mais déterminé du CODOFIL, un lien francophone continue de se tisser entre les générations, les communautés et les continents. À l’heure où la Francophonie cherche de nouveaux équilibres, la Louisiane reste une terre d’expérimentation précieuse. Et si c’était là que se jouait l’avenir du français en Amérique ?
Article réalisé en collaboration avec le RIMF, avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie
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