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Mariette Mulaire, la force tranquille de la francophonie économique

De son enfance au Manitoba à la présidence du conseil d’administration de TV5 Québec Canada, en passant par la direction du World Trade Center Winnipeg et la création d’une initiative francophone internationale, Mariette Mulaire a toujours mis la langue française au service de l’action. Pour elle, la francophonie ne se limite pas à un héritage culturel : elle est un levier de développement, d’influence et d’emplois.

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Mariette Mulaire lors du forum économique de l'Association des municipalités bilingues du Manitoba, le 20 mars 2025 - Photo courtoisie
Écrit par Bertrand de Petigny
Publié le 2 avril 2025, mis à jour le 3 avril 2025

 

 

 

Une enfance façonnée par la résistance linguistique

Mariette Mulaire est née à Saint-Pierre Jolys, un village du Manitoba où l’on parlait français, mais où l’école se faisait en anglais. « On se parlait en français parce qu’on est francophones, mais toutes les matières à l’école étaient en anglais », raconte-t-elle.

Dans une région où les droits linguistiques étaient fragiles, la transmission de la langue se faisait souvent à contre-courant. Sa mère, pionnière, créa une page pour enfants dans un journal local, incluant dessins, mots croisés et concours pour encourager la participation des jeunes. Une initiative qui lui valut plusieurs distinctions, dont le prix du Jubilé de la Reine et le prix de la Francophonie des Amériques.

 

 

 

Les parents de Mariette Mulaire
Les parents de Mariette Mulaire

 

 

Cette fibre francophone, d’abord cultivée à la maison, s’est aussi exprimée dans l’engagement public de son père, René Mulaire, figure influente de la communauté. Il fut le premier président de l’association France-Canada dans sa région, à une époque marquée par le retentissant « Vive le Québec libre ! » lancé par Charles de Gaulle en 1967. Ce slogan, chargé de tensions politiques, avait semé l’inquiétude jusque dans les bureaux d’Ottawa. 

Lors d’une visite des Franco-Manitobains à Paris en 1967, René Mulaire fait la rencontre de Philippe Rossillon, haut fonctionnaire du gouvernement de Charles de Gaulle. Rossillon s’intéresse rapidement aux défis de la francophonie manitobaine et se rend au Manitoba, notamment à Saint-Pierre-Jolys. Cette visite, hautement symbolique, soulève des préoccupations à Ottawa et place René Mulaire au cœur d’une controverse, bien qu’il soit complètement innocent. Les médias anglophones l'accusent alors à tort de séparatisme.

Rossillon, qui voyait les Franco-Manitobains comme les "cousins" de France, leur a apporté un soutien moral important en renforçant leur fierté identitaire. Toutefois, il est rapidement déclaré persona non grata par le gouvernement canadien, qui l’accuse d’agir comme agent secret.

Cet épisode contribue à convaincre le premier ministre Pierre Elliott Trudeau de renforcer les droits linguistiques au Canada. En 1969, son gouvernement adopte la Loi sur les langues officielles, garantissant des services en français à l’échelle nationale.

 

 

Des débuts au sein du gouvernement à l’éveil de la francophonie économique

Le parcours professionnel de Mariette commence au ministère du Patrimoine canadien, sur des dossiers des langues officielles et économiques. Elle quitte le gouvernement pour aller travailler au Conseil de développement économique des municipalités bilingues du Manitoba et y découvre sa passion pour l’action concrète, sur le terrain. « J’ai adoré ça : travailler avec les communautés, voir les projets prendre vie. » Très vite, elle comprend que la francophonie ne doit pas être uniquement défensive ou patrimoniale, mais aussi offensive, tournée vers le développement. 

Ce virage s’incarne lorsqu’elle se fait approchée pour aider l’Hôpital Saint-Boniface à démontrer sa capacité de s’offrir comme option pour que l’IRCAD de Strasbourg, qui avait développé une technologie médicale novatrice utilisée par des opérations chirurgicales non-invasives à distances entre la France et l’Amérique du Nord, s'implante au Manitoba. « C’était en avance sur son temps, et ça a fait les manchettes. Les Français étaient un peu vexés que la première opération ait été médiatisée aux États-Unis sur le fait que le patient soit américain, mais cela a ouvert des perspectives. » La technologie, la langue et l’économie : un triangle d’action qu’elle ne cessera de développer.

 

 

 

L'IRCAD - Institut de Recherche contre les Cancers de l'Appareil Digestif - fondé en 1994 à Strasbourg par le Professeur Jacques Marescaux, est un centre de renommée internationale dédié à la recherche et à la formation dans le domaine de la chirurgie mini-invasive. 

 

 

 

 

Le World Trade Center Winnipeg : un tremplin francophone

En dirigeant le World Trade Center Winnipeg, Mariette Mulaire transforme cette institution états-unienne en acteur économique francophone de premier plan. Elle obtient que la moitié du conseil d’administration soit nommée par la francophonie et que le personnel puisse travailler en français. « On voulait que le volet francophone demeure prioritaire dans les marchés que l’on visait. »

Sous sa direction, le WTC Winnipeg devient un catalyseur pour attirer des investissements internationaux à forte dimension francophone. Elle évoque notamment l’implantation, dans la région, de Roquette, une entreprise originaire du nord de la France, qui a permis la création de 500 emplois. « C’est une réussite dont toute la province bénéficie, mais ce sont les liens francophones qui ont suscité l’intérêt initial », souligne-t-elle. 

Autre exemple marquant : l’arrivée du groupe hôtelier Germain, qui a choisi de s’implanter en face de l’aréna des Jets de Winnipeg, profitant du momentum créé par le retour de l’équipe dans la capitale manitobaine. Ce qui rend ce projet encore plus significatif, c’est qu’il s’agit d’un hôtel appartenant à des entrepreneurs francophones. Alors qu’une grande chaîne américaine aurait facilement pu s’emparer de cet emplacement stratégique, c’est plutôt la francophonie manitobaine — grâce à ses réseaux et à sa main-d'œuvre bilingue qui a facilité cette implantation.

 

 

 

Des passerelles économiques tissées à l’international

Le rayonnement de son action dépasse rapidement les frontières canadiennes. Elle organise des missions économiques vers la France et la Tunisie.

En 2008, elle participe à un forum international dans le cadre des 400 ans de la ville de Québec. « C’était devenu global, on n’était plus seulement dans la francophonie culturelle, mais dans une francophonie d’affaires. » Des ententes ont été conclues entre l’IRCAD et l’Hôpital Saint-Boniface, France Bleu Alsace et Radio-Canada, les gouvernements du Manitoba et de l’Alsace, ainsi que deux organismes économiques des deux régions.

 

 

 

Une initiative francophone mondiale au cœur du World Trade Center

Forte de son expérience, Mariette Mulaire contribue récemment à la création d’une initiative francophone mondiale au sein du réseau des World Trade Centers, basé à New York. « C’est la première fois dans ma carrière que je travaille en anglais, mais on a mis en place un club francophone, avec des membres provenant de plusieurs régions avec le français au cœur. » Un groupe qui partage des outils, et démontre que le français peut être un vecteur d’échanges commerciaux au sein d’un réseau pourtant dominé par l’anglais.

 

 

 

TV5 Québec Canada : défendre la diversité francophone à l’écran

En parallèle, Mariette Mulaire préside le conseil d’administration de TV5 Québec Canada, un rôle qu’elle voit comme une extension naturelle de son engagement envers la francophonie. Pour elle, la chaîne joue un rôle fondamental dans la représentation des diverses réalités francophones. « On veut s’assurer que les différentes voix soient entendues, les différents accents, les créateurs hors Québec », affirme-t-elle. Elle défend une vision inclusive de la programmation, où les territoires francophones, des grandes métropoles aux communautés plus éloignées, peut se voir et se faire entendre à l’écran. TV5 Unis, par exemple, incarne cette volonté de donner de la visibilité à l'ensemble de la francophonie canadienne. 

 

 

 

Une francophonie d’impact, et maintenant ?

À travers une carrière tissée de convictions, de combats et de résultats concrets, Mariette Mulaire prouve que la francophonie n’est pas une nostalgie ou une charge, mais une opportunité économique, culturelle et sociale. « On commence nos discours en anglais, on les termine en français. On est ici, on existe, on contribue à l’économie », affirme-t-elle. Dans un monde en quête de sens et d’appartenance, sa trajectoire invite à repenser le rôle de la langue française : et si c’était elle, finalement, le moteur discret d’un avenir plus solidaire et connecté ?

 

 

 

Article réalisé en collaboration avec le RIMF, avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie

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