Depuis 2010, la Maison de la Francophonie de Marseille fait vivre les mots, les cultures et les liens entre générations. Ni grand bâtiment institutionnel ni annexe officielle d’un ministère, elle est avant tout un creuset d’initiatives porté depuis 15 ans par une poignée de bénévoles. À sa tête, Jean-Pierre Chiaverini, qui défend une francophonie plurielle, intergénérationnelle et résolument ouverte. Entretien avec celui qui incarne et fait rayonner cet engagement.


Une Maison de la Francophonie n’a pas la même portée selon l’endroit où elle s’implante. En milieu non francophone ou francophone minoritaire — à Ottawa, Yaoundé ou Port-Vila — elle défend une langue souvent en situation fragile, porte des combats identitaires, ou structure des communautés dispersées.
Mais en France, où le français est langue dominante, pourquoi faudrait-il encore “faire vivre” la francophonie ? Un certain nombre de Français perçoivent encore ce mot comme un héritage encombrant, associé à l’histoire coloniale, ou comme un concept institutionnel et flou, auquel ils peinent à se reconnaître. Ils s’interrogent sur leur place dans ce mouvement.
Et pourtant. À Marseille, comme à Lyon, Auxerre ou en Bretagne, des Maisons de la Francophonie existent, s’activent, tissent des liens et suscitent l’adhésion. Elles proposent une autre lecture de la francophonie : non pas institutionnelle ou idéologique, mais humaine, culturelle, quotidienne. Elles réinventent le sens du mot francophonie, non pas à travers une appartenance, mais par le partage. Pour comprendre ce que cela signifie concrètement, partons à la rencontre de l’une d’entre elles, la Maison de la Francophonie de Marseille, fondée en 2010.
Une naissance marseillaise dans le sillage du CSF
La Maison est née en 2010, à l’initiative de Dominique Anglès, sénateur et ancien Vice-Président de la Jeune Chambre Internationale. « Dominique et moi étions tous deux issus de la Jeune Chambre Economique Française (JCEF) et c’est le Cercle des Solidarités Francophones qui a suscité la création de cette Maison. Marseille a été la deuxième association à adopter le nom de “Maison de la Francophonie”, dans le sillage de celle de Lyon, fondée en 2008 », explique Jean-Pierre Chiaverini, qui en a pris la présidence en 2018, lorsque Dominique a été nommé consul d’Estonie à Marseille.
L’équipe fondatrice était animée par une conviction forte : faire exister concrètement la francophonie à Marseille, en complément des cadres institutionnels. Aujourd’hui, la Maison regroupe une vingtaine de membres bénévoles, dont une poignée de militants particulièrement actifs, porteurs de projets et garants de son dynamisme. Ensemble, ils donnent vie, chaque année, à une série d’événements qui rassemblent et motivent plusieurs milliers de Marseillais depuis sa création, issus de toutes les cultures de la francophonie.

La dictée, un fil rouge intergénérationnel
S’il fallait un emblème de la Maison, ce serait la dictée écrite chaque année par Jacklyne Laurenzati, vice-présidente. Déclinée en cinq versions adaptées à l’âge des participants – des écoliers aux seniors – elle rassemble chaque année plusieurs centaines de personnes. Les collégiens des écoles privées comme Lacordaire ou Hamaskaïne (arméniens bilingues), les habitants de certaines mairies de secteur ou encore les retraités des « Maisons du Bel Age » se retrouvent autour du thème et des 10 mots définis chaque année par le réseau OPALE.
Le réseau OPALE est le réseau francophone des Organismes de Politique et d'Aménagement Linguistiques, créé en 2009 et regroupant les principaux organismes de gestion linguistique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de la France, du Québec et de la Suisse romande, avec l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) comme membre observateur.
Son objectif est de fournir un cadre d’échange d’informations, d’expériences et de concertation entre ces organismes afin de coordonner leurs actions de promotion et de valorisation de la langue française et de discuter des politiques linguistiques nationales et francophones.
« La finale des Maisons du Bel Âge se déroule dans l’hémicycle des élus du département des Bouches-du-Rhône. C’est toujours un moment fort, avec remise de prix et petite réception », confie Chiaverini. A Hyères, une version spéciale avait même été conçue à partir de l’histoire d’un industriel local oublié, inventeur des godillots militaires. « Une façon de relier patrimoine, langue et mémoire collective. »

Un prix littéraire audacieux… et interdit aux Français
Chaque année, depuis 5 ans, sous la férule de son vice-président, Jean-Claude Romera, la Maison remet un prix littéraire francophone. Sa singularité ? Il est exclusivement réservé à des auteurs non français écrivant en français. « On veut montrer la richesse de la francophonie dans toutes ses expressions. Des auteurs marocain, bosniaque, britannique, belge, comorien ont ainsi été primés. »
En 2025, la cérémonie de remise des prix s’est déroulée au siège de la Région Sud, donnant à ce prix une visibilité institutionnelle forte. Il valorise les voix venues d’ailleurs, tout en soulignant leur ancrage ici. « Certains vivent en France, d’autres pas. L’essentiel, c’est cette langue commune qui leur permet de raconter le monde à leur façon. »

La photographie comme porte d’entrée vers les mots
Parmi les projets phares, le concours photo international imaginé par le vice-président André Sarkissian s’est imposé comme un rendez-vous attendu. En 2024, année olympique, il s’est tenu en partenariat avec le département des Bouches-du-Rhône, le ministère de la Culture et le ministère des Sports et des Jeux olympiques. Chaque année, il invite les photographes amateurs à illustrer l’un des dix mots choisis par le réseau OPALE.
« L’an dernier, le thème était l’environnement. Cette année, nous avons reçu 370 clichés venus du monde entier, dont plus de la moitié provenaient de l’étranger », précise Jean-Pierre Chiaverini. Lors de cette deuxième édition consacrée aux “Dix mots de la francophonie sur la planète”, plusieurs prix ont été remis à Miami et au Canada. D’autres photos, venues d’Europe, ont été remarquées mais non primées. La remise des prix, comme celle du prix littéraire, s’est tenue dans les salons prestigieux de la région Sud.

En 2026, le thème retenu sera Un monde à venir, avec des mots comme “dystopique”, “transmuter” ou “humanoïde”. Le jury, composé de photographes professionnels, de représentants d’associations et du ministère de la Culture, sélectionnera alors dix lauréats.
Dîners-débats, ateliers et “petit Erasmus”
Les initiatives ne s’arrêtent pas là. La Maison a organisé par le passé un concours international de contes francophones avec des artistes venus d’Afrique et d’Europe, des dîners-débats avec des personnalités comme l’ancien recteur de l’Agence Universitaire de la Francophonie, M Jean-Paul de Gaudemar, des représentants des communautés libanaise ou arménienne, avec des soirées dans des restaurants arménien, libanais ou européen.
« Ces moments sont des occasions uniques de croiser les cultures à travers la langue. »
Et demain ? Un nouveau projet, proposé par Muriel Wolff qui vient de rejoindre la Maison, vise à l’échange de lycéens entre la Région Sud et une région de la Roumanie est en gestation. « Ce serait un sorte d’Erasmus de lycéens complémentaire de l’Erasmus entre étudiants, pour faire découvrir et partager la diversité culturelle francophone. »
Une présence forte dans les grands événements
La Maison de la Francophonie de Marseille ne se contente pas de ses propres projets : elle s’invite là où la francophonie se vit. Salons culturels, festivals des associations autour du Vieux-Port ou dans les mairies de secteur… Autant d’occasions de faire connaître ses actions et de recruter de nouveaux membres, comme Nathalie Toye, aujourd’hui secrétaire, ou Muriel Wolff, venue avec son idée d’“Erasmus lycéen”.
La Maison a coorganisé des fêtes de la francophonie avec la mairie de Marseille, et une conférence sur la jeunesse et l’avenir de la francophonie avec la Métropole Aix-Marseille-Provence. Elle a également représenté la ville au concours vidéo du Réseau International des Maisons des Francophonies (RIMF), décrochant un prix pour une réalisation mettant en scène trois jeunes Libanaises.
Parmi les moments marquants, 2018 reste gravée dans les mémoires : deux jours d’animations sur le Vieux-Port, avec le soutien du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, lors de l’escale de la frégate Hermione, affrétée par l’OIF.
Plus récemment, fin juillet 2025, la Maison a coorganisé une université d’été en partenariat avec le consulat de Roumanie, l’Alliance française d’Aix-en-Provence et l’Association d’Amitié Franco-Roumaine. Soixante enseignants roumains et moldaves y ont participé, entre conférences, visites et rencontres. « C’est du concret, du vivant, de la transmission », résume Jean-Pierre Chiaverini.
Qui fait quoi à la Maison de Marseille
Derrière la vitalité de la Maison de la Francophonie de Marseille, une équipe efficace pilote les projets avec une énergie communicative. Président depuis 2018, Jean-Pierre Chiaverini orchestre l’ensemble : coordination générale, représentation institutionnelle et transmission de la mémoire du lieu. Nathalie Toye, secrétaire, est la cheville ouvrière du site internet qu’elle a entièrement repensé,et veille à archiver en ligne, de façon méthodique, toutes les réalisations.
Aux finances, Jérôme Joussen veille sur la bonne gestion des fonds. Les dictées intergénérationnelles, notamment dans les Maisons du Bel Âge, portent la signature de Jacqueline Laurenzati, qui y conjugue langue française et convivialité.
Côté culture, Jean-Claude Romera, figure littéraire marseillaise, dirige d’une main experte le prix littéraire francophone. André Sarkissian, photographe talentueux, supervise le concours de photos « Dix mots, dix clichés » avec un œil à la fois artistique et rigoureux.
Dernière arrivée, Muriel Wolff insuffle un vent de nouveauté avec un ambitieux projet d’échanges scolaires franco-roumains, surnommé avec affection le « petit Erasmus ».
Un réseau solidaire, une vision partagée
La Maison de la Francophonie de Marseille ne travaille pas seule. Elle échange ses idées, outils et projets avec d’autres maisons comme celles de Toulon Provence Méditerranée, de la Côte d’Azur, ou bientôt de Manosque dont elle a aidé les créations. « La dictée, le prix littéraire, le concours photo peuvent être répliqués ailleurs. Le réseau est là pour ça. On donne beaucoup, et on reçoit encore plus. »
Elle est partenaire de Vertiges en Provence, une grande association culturelle présidée par Jacklyne Laurenzati, l’Association d’Amitié Franco Roumaine présidée par Paul Julien et l’Association des Compagnons de l’Ordre des Palmes Académiques présidée par Jean-Michel Legras.
Elle a participé aux Villages francophonie des Sommets de la Francophonie à Montreux, Erevan, Djerba et Paris en 2024 en intervenant avec le RIMF dans une Agora et en animant un concours de dessins par le délégations des pays francophones sur les 10 mots olympiques.
Depuis 2022, la Maison de Marseille est reconnue d’intérêt général
En France, lorsqu’une association ou un organisme est reconnu d’intérêt général, cela signifie qu’il agit sans but lucratif, avec une gestion désintéressée, et qu’il mène des actions au bénéfice d’un large public ou d’une cause d’utilité collective (culture, éducation, solidarité, environnement…).
Ce statut, accordé sous certaines conditions, permet notamment à l’organisme d’émettre des reçus fiscaux ouvrant droit à des réductions d’impôt pour les donateurs. C’est un gage de sérieux et de transparence, qui facilite la recherche de soutiens et de financements.
« Il faut défendre la langue française, bien sûr, mais aussi les valeurs de la francophonie : la solidarité, la liberté, l’humanité. Ce sont elles qui nous relient. » - Jean-Pierre Chiaverini
15 ans d’actions, des milliers de liens tissés
En 15 ans d’existence, la Maison de la Francophonie de Marseille a touché des milliers de personnes, tissé des liens durables avec les institutions et bâti un espace de partage interculturel. Discrète mais déterminée, elle montre qu’une francophonie vivante se joue au coin de la rue, dans une salle associative, ou dans le regard d’une petite fille fière d’avoir écrit le plus beau texte de l’atelier d’écriture sur les dix mots.
Et si c’était cela, finalement, la vraie puissance d’un réseau : faire que la langue devienne lien, et le lien, une promesse d’avenir ?
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