Historien mexicain passionné de minorités linguistiques, Antonio sillonne les Amériques à la recherche de monuments francophones. Son travail révèle une cartographie de la mémoire où chaque drapeau hissé ou stèle inaugurée témoigne de luttes passées et d’identités vivantes.


L’Ontario, territoire pionnier des monuments francophones contemporains en milieu minoritaire
« Chaque mât dressé avec le drapeau franco-ontarien, c’est un acte de résistance culturelle », affirme Antonio en parcourant les routes du Nord de l’Ontario. À Ottawa, Sudbury, Toronto ou Hearst, les monuments de la francophonie se multiplient depuis le début des années 2000. Le plus emblématique est sans doute celui de Vanier, quartier francophone d’Ottawa, inauguré en 2006.
Ces monuments — plaques, mâts ou aménagements paysagers — sont souvent érigés devant des écoles ou des lieux communautaires. Ils rappellent l’histoire des Franco-Ontariens, mais surtout leur combat pour l’éducation et la reconnaissance institutionnelle. « Ce sont les communautés elles-mêmes qui ont porté ces projets, souvent à bout de bras », souligne Antonio.
Liste des monuments à la francophonie en Ontario
Le Manitoba célèbre ses bâtisseurs en français
À Winnipeg, le campus de l’Université de Saint-Boniface incarne l’une des plus anciennes institutions francophones de l’Ouest canadien. Fondée en 1818, l’université est à elle seule un monument vivant de la francophonie manitobaine. Depuis 1995, elle accueille également une œuvre majeure de l’art public francophone : la statue de Louis Riel réalisée par le sculpteur Marcien Lemay et l’architecte Étienne Gaboury.

Cette sculpture, initialement installée en 1973 devant l’Assemblée législative, avait suscité la controverse par sa représentation tourmentée du chef métis. Jugée trop expressive, elle fut remplacée en 1991 par une statue plus conventionnelle. C’est à l’occasion du 175e anniversaire du Collège de Saint-Boniface que l’ancienne statue a trouvé refuge près de l’établissement, à l’initiative de l’association étudiante. « Le fait qu’elle soit là, sur le campus, c’est aussi une façon de dire que la francophonie n’oublie pas ses combats, même les plus dérangeants », note Antonio.
La Louisiane entre mémoire cadienne et renouveau linguistique
En Louisiane, les monuments à la francophonie prennent des formes diverses. À Lafayette, le Centre culturel acadien explore l’histoire et la culture cadiennes, tandis qu’à Saint-Martinville, un mémorial rend hommage aux Acadiens déportés. À Baton Rouge ou New Orleans, plusieurs rues et quartiers conservent des noms français issus de la période coloniale.
Le rôle du CODOFIL (Conseil pour le développement du français en Louisiane) est déterminant. Il soutient des événements comme les cérémonies annuelles de levée du drapeau acadien. « Ici, les monuments parlent autant de survie linguistique que de renaissance culturelle », observe Antonio. Le français, longtemps interdit dans les écoles publiques, revient désormais dans les programmes bilingues.
En Guyane française, des mémoires plurielles
À Saint-Laurent du Maroni, en Guyane, les lieux de mémoire liés à l’histoire coloniale, comme le camp de la Transportation, témoignent du passé pénitentiaire français. Ce site patrimonial, accessible au public, propose des panneaux explicatifs en français sur la vie carcérale de l’époque. Mais si le français domine la médiation culturelle, il cohabite dans la vie quotidienne avec une mosaïque de langues, souvent absentes des récits officiels.
« En Guyane, la mémoire historique est étroitement liée à la langue française, mais elle ne peut être dissociée de la pluralité linguistique du territoire », souligne Antonio. Le créole guyanais, les langues bushinenguées ou encore les langues amérindiennes forment une trame sociale complexe que les lieux de mémoire gagneraient à refléter. Pour lui, « c’est aussi à la francophonie de reconnaître ses marges et d’en faire une richesse, pas une parenthèse ».
Cette tension entre langue officielle et langues de vie quotidienne invite à repenser la francophonie comme un espace en dialogue, capable d’intégrer les voix multiples qui la composent. En Guyane, cette cohabitation linguistique n’est pas un défi, mais une chance d’élargir la mémoire partagée.
Vers une mémoire francophone plurielle et vivante
Et si ces monuments étaient les bornes d’un récit francophone commun, tissé à travers les Amériques ? Pour Antonio, ils dessinent une mémoire en mouvement. « Ce que je cherche, ce sont les traces visibles d’un lien invisible : celui qui unit des peuples par une langue partagée, malgré les distances, les frontières et les silences. »
Mais ces traces ne sont pas figées dans le marbre : elles appellent à être enrichies, interrogées, élargies. Des plaques aux drapeaux, des fresques aux flambeaux, chaque geste de mémoire engage une responsabilité collective. Car célébrer la francophonie, c’est aussi accepter sa diversité intérieure — et faire de chaque langue, chaque culture, une voix de plus dans le chœur.
Article réalisé en collaboration avec le RIMF, avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie
Sur le même sujet
