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KEN BUGUL - Un pseudonyme puissant pour une auteure qui l’est tout autant

Écrit par Lepetitjournal Francfort
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 11 février 2015

 

Trente ans après le scandale provoqué par son premier roman, ?Le Baobab fou?, l'auteure sénégalaise continue d'écrire haut et fort son allergie aux normes et son besoin de liberté

Trente ans après sa sortie, ?Le Baobab fou? et son auteure n'ont pas pris une ride
(Photo DP lepetitjournal.com/francfort)


Invitée à Francfort dans le cadre du festival "Africa Alive", Ken Bugul était doublement mise à l'honneur : un documentaire qui lui est consacré était projeté au Musée du Cinéma (Filmmuseum), et une rencontre autour de son ?uvre littéraire s'est tenue dans la nouvelle (et charmante) librairie ?Weltenleser?. L'occasion rêvée pour lepetitjournal.com/francfort de s'entretenir avec une grande figure de la littérature africaine francophone.

Lepetitjournal.com/francfort : votre ?uvre littéraire s'inspire de votre vie et dans votre premier roman, ?Le Baobab fou?, vous expliquez comme vous avez à la fois été rejetée en Afrique et en Europe?

Ken Bugul : pour moi qui suis née au Sénégal, l'Europe était la terre promise, j'avais été marginalisée dans ma famille parce que j'étais la première fille à fréquenter l'école. Quand j'ai débarqué comme jeune boursière en Europe, je pensais donc rejoindre le pays de mes ancêtres les Gaulois ? comme je l'avais appris à l'école - celui dont j'appréciais la culture. Ce n'est pas seulement le temps gris de l'automne bruxellois qui m'a fait déchanter, mais surtout la découverte que j'étais noire (rires) et étrangère... Après quelques années, je suis retournée en Afrique régler mon contentieux identitaire, mais j'étais plutôt hippie et sans un sou, donc je ne correspondais pas non plus à l'image de l'Africain qui revient au village montrer sa réussite. Même ma famille m'a rejetée car elle avait honte de moi : à mon âge, j'aurais dû être déjà mariée et avoir au moins huit enfants (rires).

Comment avez-vous commencé à écrire ?

C'est venu assez tard, j'avais 35 ans quand j'ai commencé. J'avais des choses à dire et personne ne voulait m'écouter, alors je les ai couchées sur le papier.

Et ce que vous aviez à dire a paru scandaleux ?

Oui, autant la forme que le contenu de mon autobiographie ont choqué. Que j'ose utiliser le ?je? au lieu de parler de nous, de la famille ou de la communauté, cela a fait scandale en Afrique. Et bien sûr le contenu du ?Baobab fou?, du rejet de ma mère partie vivre ailleurs alors que j'avais cinq ans, à la vie que j'avais vécue en Europe, où il était question de drogue et de prostitution. Mais ce qui semblait le pire pour une Sénégalaise à l'époque, c'était d'avoir cohabité avec un homme aux tendances homosexuelles (rires).

Ken Bugul en compagnie de la réalisatrice Silvia Voser qui lui a consacré un documentaire
(Photo DP lepetitjournal.com/francfort)

Pourquoi écrivez-vous en français ?

C'est la langue dans laquelle j'ai été scolarisée au Sénégal. Comme je l'ai écrit, cela ne me déplaît pas de l'utiliser, car quand je l'emmène dans des temples Voodoo elle s'y plaît, et quand je mouds du piment et du gingembre, elle ne se plaint pas non plus? Chez moi la question de l'identité ne se pose pas par rapport à la langue. Il existe une petite dizaine de langues dites nationales au Sénégal, donc je ne toucherais pas davantage de gens en wolof, que je lis d'ailleurs difficilement et que je ne sais pas écrire. En Afrique il faut s'adapter au public, et il y a encore des analphabètes. Ce qui intéressant, c'est d'adapter un roman au cinéma ou au théâtre afin d'élargir son ?lectorat?. Le chef-d'?uvre de Mariama Bâ, ?Une si longue lettre? par exemple, a été mis en scène en wolof ; le Sénégal entier l'a vu et en parle encore aujourd'hui.

Votre pseudonyme ?Ken Bugul?, est un prénom wolof qui signifie ?celle dont personne ne veut?. N'est-ce pas vous présenter comme une victime ?

Oh non, j'ai horreur de la victimisation et j'adore mon pseudonyme. Mon éditeur voulait que j'en prenne un pour ?Le Baobab fou?, à cause du contenu. Il m'a dit que si je publiais le livre sous mon vrai nom, j'aurais des problèmes, je ne trouverais plus jamais de travail ou de mari (rires). Comme Ken Bugul était le nom de l'héroïne du ?Baobab fou? et que l'histoire est hautement autobiographique, je me suis donc fait appeler comme cela. C'est un prénom que les parents donnent à une fille qui naît après que deux de leurs bébés soient morts de façon inexplicable. Ils pensent ainsi pouvoir exorciser leur enfant : ni les mauvais esprits, ni même la mort ne voudra d'une fille prénommée ?celle dont personne ne veut?. C'est donc un nom puissant qui permet de survivre. Moi il me donne la liberté de faire et d'écrire ce que je veux.

Dominique Petre (www.lepetitjournal.com/francfort), mercredi 11 février 2015

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Publié le 10 février 2015, mis à jour le 11 février 2015

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