Installé à Tahiti depuis plus de quinze ans, Ben Thouard vit le surf au plus près : dans l’eau, au cœur des vagues, là où peu osent s’aventurer. Pas question pour lui de rester sur la plage. Il plonge, il nage, il s’immerge. L’appareil vissé dans un caisson étanche, il affronte les rouleaux à la recherche d’images brutes, indomptées à la hauteur du défi olympique de 2024.


À Tahiti, là où les vagues rugissent avec une force sauvage, Ben Thouard défi les sous-marins pour révéler la beauté du surf olympique. Photographe et surfeur expatrié, il ne se contente pas de capturer la scène depuis le sable : il s’immerge dans l’abîme de Teahupo’o, l’une des vagues les plus dangereuses au monde.
Une trajectoire guidée par la mer
Originaire de Toulon, Ben Thouard grandit dans un environnement baigné par la mer. Très jeune, il s’initie au surf et au windsurf. À l’adolescence, il découvre la photographie. Le lien entre l’eau et l’image devient une évidence. Passionné par la photographie marine, il intègre une école spécialisée à Paris, où il apprend beaucoup mais l’atmosphère urbaine le pèse rapidement. “À Paris, l'école était super, j'ai beaucoup appris et ça m'a beaucoup plu. Mais la vie à Paris a été compliquée” confie-t-il. Alors, à seulement 19 ans, il prend une décision radicale : quitter la capitale pour Hawaï, sanctuaire mondial du surf, conseillé par ceux qui savent : “On m'avait dit : “si tu veux te lancer dans le métier il y a une chose à faire : c'est de partir à Hawaii, parce que tout se passe là bas”. Là bas, il apprend à photographier dans l’eau, avec une seule obsession : saisir le surf de l’intérieur, dans la houle, au plus près des vagues. “Quand on est jeune, on n’a pas d’attaches, on est prêt à tout.”
“On m'avait dit : “si tu veux te lancer dans le métier il y a une chose à faire : c'est de partir à Hawaii, parce que tout se passe là bas”.

Tahiti : une révélation
Quelques années plus tard, un reportage le mène à Tahiti. Il y découvre Teahupo’o, cette vague mythique, redoutée pour sa puissance et sa brutalité qui déferle sur une barrière de corail. Mais ce n’est pas seulement la force de la vague qui le captive : c’est la culture polynésienne qui finit par le conquérir. “Ce qui m’a séduit, c’est le partage du peuple polynésien, leur mentalité. Ça m’a touché profondément.” , explique-t-il. Il choisit alors de s’installer définitivement à Tahiti, un engagement profond et réfléchi. Ben Thouard n’est pas un expatrié de passage. Il y construit sa vie, son œuvre, son regard. Progressivement, il développe une vision singulière du surf, à mi-chemin entre immersion physique et création artistique matérialisée par ses livres, expositions, tirages limités.
“Ce qui m’a séduit, c’est le partage du peuple polynésien, leur mentalité. Ça m’a touché profondément.”

L’immersion comme ligne esthétique
Photographe aquatique, au sens le plus littéral, Ben Thouard travaille à la nage, souvent en apnée, au milieu des vagues, dans des conditions extrêmes. Son objectif n’est jamais posé sur un trépied. Il flotte, bascule, plonge, émerge, suspendu entre deux respirations et quelques mètres d’eau. Ce corps-à-corps avec l’océan donne naissance à des images inédites : vues de l’intérieur des vagues, lumières déformées par la houle, danse silencieuse du monde sous-marin. “Je ne concevais pas la photographie de surf depuis la plage.” déclare-t-il. Teahupo’o devient son laboratoire. Une vague tranchante, imprévisible, souvent violente, qu’il apprend à dompter par l’observation, l’intuition et l’expérience. “Photographier cette vague, ce n’est pas à prendre à la légère. Il faut savoir exactement où se placer, sinon c’est trop tard.” Son quotidien est rythmé par la météo et les caprices de l’océan :
“Je suis constamment entrain de regarder les conditions, de m’adapter. C’est un métier où l’imprévu domine, mais c’est aussi ce qui le rend passionnant.”

Jeux Olympiques : l’image en temps réel
En 2024, le Comité olympique l’accrédite pour couvrir les épreuves de surf à Teahupo’o. Une décision symbolique : son travail n’est plus une curiosité artistique, il devient référence. Mais l’expérience ne se limite pas à une prouesse visuelle. Il s’agit aussi de transmettre les images en quasi-direct à l’AFP (Agence France Presse). Depuis un lagon sans connexion internet fiable, il invente une solution technique en collaboration avec l’agence. Ce qu’il produit est unique, immédiat, mondial.
“Transmettre des photos en temps réel depuis le bout du monde, en immersion, c’était un défi technique.”

Une photographie sans artifice
À l’heure où l’intelligence artificielle et les logiciels de retouche transforment la photographie en territoire flou, Ben Thouard défend une approche radicalement opposée. Il ne modifie pas ses images. Pas de ciel retouché, pas de silhouettes effacées, pas de filtres. “Je ne modifie jamais mon image. C’est une question d’intégrité.” Il shoote en format RAW, effectue les réglages nécessaires à l’impression (contraste, température, luminosité), mais s’arrête là. Ses photos sont tirées à dix exemplaires maximum. Ce choix n’est pas marketing. C’est une éthique. “Aujourd’hui, on peut créer des univers complets à partir de rien. Ce qui me dérange, c’est quand on fait passer ça pour une photo réelle.”
“Je ne modifie jamais mon image. C’est une question d’intégrité.”

Une œuvre, un témoignage
Ben Thouard se définit comme un témoin d’un monde invisible. Ce qu’il voit sous l’eau, peu de gens peuvent l’approcher. À travers ses livres et ses expositions, il cherche à transmettre un émerveillement intact. Chaque photo est un fragment de ce monde émergé, à la fois fragile, brutal, sublime. “Je suis toujours émerveillé, même après 17 ans à photographier la même vague.” Plus qu’un photographe, Ben Thouard incarne une certaine idée de la vérité. Celle qui ne s’édite pas. Celle qu’on atteint par la répétition, la fatigue, le souffle coupé. Il ne raconte pas le surf : il vit dans ce qui le rend possible.
“Je suis toujours émerveillé, même après 17 ans à photographier la même vague.”
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