Une BD de Sylvain Gâche et Richard Guérineau aux Éditions Delcourt, collection Coup de tête – 2020 – 128 pages – 21 euros.
Quand un Français qui vit en Irlande découvre la BD « Croke Park » il va peut-être se dire « Mais c’est quoi ça ? ». Oui, c’est quoi ça ? On connaît le stade mythique, mais cette BD nous n’en avons peu, voire pas entendu parler en Irlande.
Le 21 novembre 1920 à Croke Park eut lieu le premier Bloody Sunday, en représailles d'une opération au cours de laquelle le gang des apôtres de l'IRA a exécuté 14 espions anglais du Cairo Club. Ce fut un véritable massacre au cours duquel un joueur, Michael Hogan et treize spectateurs ont été tués. Il y eut également 65 blessés. Un dimanche sanglant qui n’est bien sûr pas le Bloody Sunday de la chanson U2 mais qui reste le premier des Bloody Sunday.
Le 11 février 2007 à Croke Park, dans un contexte de division des Irlandais ne comprenant pas pourquoi l’on autorisait les joueurs anglais à venir sur le lieu du massacre de 1920, les rugbymen irlandais battent les Anglais 43-13.
Sylvain Gâche et Richard Guérineau ont mêlé les deux événements dans une BD qui ne se lit pas comme un Lucky Luke ! On y vient et l’on y revient. Le travail de recherche est phénoménal et contient une foule d’informations. Un dossier complémentaire à la fin de l’ouvrage apporte un supplément historique et sportif.
Il fallait comprendre d’où vient cet ovni qui plaira aux amateurs de bandes dessinées historiques et peut faciliter l’enseignement de ce triste événement aux adolescents. Nous nous sommes donc entretenu avec Sylvain Gâche pour qu’il nous parle de son livre et de sa relation avec l’Irlande.
LePetitJournal : Comment en es-tu arrivé à parler dans une bande dessinée d’un sujet comme le Bloody Sunday de 1920 et d’en faire une BD (pour le moment) uniquement en français ?
Sylvain Gâche : C'est un heureux concours de circonstances même si ça démarrait mal. Je voulais écrire depuis mon adolescence. Il y a 4 - 5 ans je me suis dit « c'est maintenant ». J'avais cru trouver un super sujet en la personne de la sportive française méconnue Violette Morris. Un sujet qui mélange le sport et l'histoire car je suis prof d'histoire et de français en lycée professionnel. Puis j’apprends qu’un scénariste que j'aime beaucoup, Kris, est en train de faire cette histoire en BD. Quelques mois après, Kris m'informe qu’il lance une nouvelle collection aux Éditions Delcourt, la collection « coup de tête ». Il recherche des scénaristes qui apportent quelque chose de nouveau dans le paysage de la bande dessinée. Grâce à ma compagne, j'en suis venu à penser au Rugby, à l’Irlande, à Croke Park et au Bloody Sunday. Là je découvre ce match de rugby de 2007 que je ne connaissais pas. On a donc une histoire à travers l’histoire d’un stade. Je suis un passionné de l'Irlande. Je me suis dit: 'Bloody Sunday, tout le monde parle de U2, des manifestations de Derry, c'est l'occasion de mettre en lumière un événement qui était très très peu connu'. En tout cas chez nous en France. Quand je découvre les dates je vois que c'est 1920. J'ai l'idée en janvier 2018 et me dis il y a un coup marketing à faire pour l'Éditeur.
Publié dans la collection Coup de tête dirigée par Kris et L-A. Dujardin
D'où vient ton intérêt pour l'Irlande ?
Je n'ai rien à voir avec l'Irlande, je suis originaire de Bretagne. Mais je suis proche de la culture irlandaise. J’y suis allé trois fois. C'est un peuple que je trouve très accueillant, qui a des valeurs. Je fonctionne à ça. Ils ont l'amour de leur pays, la tradition, l'histoire, la convivialité, la danse, la musique, les pubs. Tout ça fait que je me sens très proche de l'Irlande. Et puis les souvenirs extraordinaires en Irlande où les gens que j'ai rencontrés sont très accueillants. Ça a toujours été des très bons moments. J’en avais une image et cette image a été confortée par ce que j'ai connu. Aussi, en tant que prof d'histoire: l'Irlande c'est à côté de de la France ! Mais le Français moyen connait mal l'histoire de l'Irlande. On sait qu'il y a un problème mais on ne comprend pas ce pays qui est coupé en trois quart / un quart. Et que font les Anglais là-haut ? Tout se mélange. C'était donc l'occasion de mettre ce pays en lumière et de rendre hommage à son histoire.
On sent qu’il y a un énorme travail derrière ce livre...
J’ai mis deux ans et demi à faire ce travail. J’ai eu l’idée fin janvier 2018 et la BD est sortie en septembre 2020. J’ai travaillé jusqu’à juin 2020. Je me suis surtout inspiré des sources présentes aux archives militaires.
J’avais lu surtout la déposition de Tommy Ryan (joueur de l’équipe de Tipperary lors du match du 21 novembre 1920 NDR). J'ai voulu croiser énormément de sources. J'ai beaucoup lu le rapport d'enquête de David Leeson qui lui a lu les procès et les enquêtes anglaises qui ont été ouvertes 80 ans après les faits.
J’ai lu beaucoup de choses, beaucoup de bouquins, sur les 12 apôtres, sur Michael Collins. J’ai voulu associer ce qui s’est passé la veille, le matin du match, pour donner une vision complète et ne pas uniquement me centrer sur le massacre de l’après-midi. Les Éditions Delcourt m’ont dit “puisque tu as fait toutes ces recherches mets des éléments dans le dossier que tu n’as pas pu exposer dans la BD'' (NDLR: dossier qui se trouve à la fin du livre). Il y a par exemple une présentation du football gaélique que les français ne connaissent pas et en France, les joueurs de football gaélique se sont demandé ce qu'était ce livre. Après avoir lu ils m’ont envoyé beaucoup de témoignages, par exemple de la part du Président du club de Bordeaux, dernier champion de France en titre de football gaélique. Ils ont compris que je n’avais pas trahi leur sport.
Thierry Henry et l'Irlande, c'est la main.
Quelle est l’idée derrière la présence d’un personnage en 2007 qui porte le maillot de Thierry Henry dans la BD? D'où est née cette idée ? Vu d’Irlande…il faut oser.
L’idée vient de moi et il y a plusieurs raisons. Dans la BD on est en 2007, juste après la coupe du Monde 2006. Thierry Henry est le meilleur attaquant de l'équipe de France de football. Il joue à Arsenal. Comme on est dans une collection qui est sur l'histoire et le sport, la main de Thierry Henry contre l’Irlande fait aussi partie de l'histoire du sport. Cette main c’est la négation de tout ce que j’aime dans le sport. C’est la tricherie, une tricherie qui va conduire au n’importe quoi que l’on va connaitre en Afrique du Sud lors de la Coupe du Monde 2010. Avec la pire des équipes de France entre deux équipes de France championnes du monde. Pour moi c'est une forme de pardon. C’est le maillot de Thierry Henry avant qu'il ne soit souillé par cette histoire de la main.
Pour les Français qui lisent l'album c'est aussi pour qu'ils se rappellent qu'il y a eu ça. Par rapport à l'Irlande. Thierry Henry et l'Irlande, c'est la main. C'était l'occasion pour moi de rappeler ce moment de l'histoire du sport. Et pour les Irlandais un pardon pour cet événement qui à mon avis a entaché notre histoire du sport. Dans la BD cela fait implicitement référence à quelque chose qui se passe après. Dans le livre, mon personnage, quand il se présente avec le maillot de Thierry Henry, il ne peut pas faire mal aux Irlandais parce que ça ne s'est pas encore passé.
La diffusion en France de cette bande dessinée a bien marché je crois. Il y a déjà eu une ré-impression
La BD a été tirée à 13 000 exemplaires ce qui est énorme en matière de BD. J’ai eu la chance d’avoir Richard Guérineau comme illustrateur. Kris, le Directeur de la collection, a suivi tout le travail au fur et à mesure, il s’est peut-être dit qu’il y avait quelque chose à faire. On a aussi eu une grosse campagne de pub, avec des articles dans l’Équipe, So foot, qui était partenaire de l’album, toutes les revues BD. Avec la Covid la conjoncture n'était pas favorable donc on n’a pas pu faire énormément de promotion.
Je fais aussi des publications sur mon profil Facebook. Elles sont en plus du dossier qui est à la fin du livre. Je fais des focus sur des éléments. Par exemple sur “Shankers” Ryan qui sera abattu par l’IRA en février 1921. Ce sont des focus complémentaires. Il y a eu un bouche à oreille. De la part des fans de l’Irlande, du football gaélique aussi et des fans de Richard Guérineau. La ré-édition s’est faite juste avant Noël. Maintenant j’aimerais que cette BD soit popularisée en Irlande, voire traduite en anglais pour la rendre plus accessible aux Irlandais.
Entretien réalisé par Julien Chosalland
Vous pouvez notamment vous procurer cet album à International Book à Dublin ou encore sur le site des Éditions Delcourt.