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Entre cirque et mélodies : L'odyssée créative d'Alain Servant à Dublin

Nous avons rencontré Alain Servant, un artiste français pluridisciplinaire vivant à Dublin, à l’occasion de la sortie d’un EP 5 titres intitulé « Hell for Leather »

Alain ServantAlain Servant
Écrit par Julien Chosalland
Publié le 21 mars 2024, mis à jour le 21 mars 2024

En 2015 LPJ avait rencontré Alain Servant, un artiste français pluridisciplinaire vivant à Dublin, qui nous avait ouvert son univers musical. À l’occasion de la sortie d’un EP 5 titres intitulé « Hell for Leather », sorti en disque physique que l’on peut acheter sur bandcamp, nous avons à nouveau rencontré Alain afin de discuter cirque et musique. Mais aussi de ses visites dans les écoles en Irlande.

LPJ Dublin : Nous t’avions rencontré en 2015, que s’est-il passé pour toi depuis notre dernier entretien ?

Depuis 2015, j'ai continué à faire de la musique et de la mise en scène, car je suis aussi metteur en scène et acteur. La mise en scène, c'est cela qui me fait vivre. Vivre de la musique, c'est compliqué en Irlande. Mais l'écriture de chansons est ce qui m'inspire le plus.

J'arrive de plus en plus à coordonner mes différentes activités. Avant, j'avais toujours l’acteur, le metteur en scène et le musicien séparés. Ici, j'ai rencontré beaucoup de musiciens, des gens avec qui je collabore en Irlande et qui participent complètement au processus créatif. En les rencontrant essentiellement avec des collectifs artistiques qui rassemblent des danseurs, des musiciens, des acteurs ou encore des plasticiens. 

Pendant les confinements, j'ai enregistré un album tout seul à la maison. J'envoyais les pistes à mon principal collaborateur, John Linnane. Ça s'appelle Songs & Stories volume 1
 

On faisait des interventions un peu comme une guérilla artistique

Alain Servant

Nous devions nous voir juste avant le spectacle Sclimpíní, en décembre. Peux-tu nous parler de ta mise en scène dans l’environnement du cirque ? 

Oui, depuis quelques années, je fais des projets avec des gens du cirque. Surtout des acrobates. C'est quelque chose d'assez nouveau, le cirque, en Irlande. Ça a 10-15 ans, pas plus. Il y a des gens très talentueux qui travaillent très bien tout en ayant besoin d'un regard sur l'écriture, la dramaturgie afin de savoir quelle histoire ils veulent raconter dans leur spectacle. C'est ici que j’interviens. J'ai fait une dizaine de mises en scène et participé à un projet d'école de cirque. C’est un projet pilote pour une école de cirque professionnelle à Dublin. Nous avons mis en scène 12 solos qui ont constitué un spectacle complet. 

Le spectacle Sclimpíní de décembre donc…

Oui, on a joué au « The Complexe » à Dublin (NDLR : centre artistique). Ce n’est pas du cirque traditionnel, c'est du cirque contemporain, mais pas conceptuel. Ça reste très festif, populaire. C’est le Dublin Circus Project, projet financé par le Arts Council. Il n’y a pas d'école de cirque professionnelle en Irlande, donc les artistes qui veulent faire du cirque partent en Espagne ou au Portugal pour faire un cursus d'un ou deux ans de formation. L'idée, c'était de faire ça ici avec ce projet, de trois mois seulement malheureusement. Nous avons fait 2 représentations avec 180 personnes pour chaque représentation. 

Cela devrait se refaire en 2024. Je m'occupe de parler avec les élus pour trouver les financeurs. Trois mois, c'est trop court. L’idéal, c'est d'avoir un an, surtout pour une pratique comme le cirque, car normalement, il faut déjà trois mois de préparation physique. C'est très physique de monter sur un trapèze. C'est un projet pilote, donc peut-être que l'année prochaine, on aura quatre mois et l'année d'après cinq mois, etc. pour essayer de faire une vraie école. 

Je suis influencé par l'Irlande dans l'écriture, mais pas du tout par la musique traditionnelle irlandaise

Venons-en à ton dernier disque, je lui ai trouvé une ambiance très américaine et pas du tout irlandaise, non ? 

(Rires) Je suis influencé par l'Irlande dans l'écriture, mais pas du tout par la musique traditionnelle irlandaise. J'ai fait 10 ans de musique classique indienne dans les années 90. Avant, entre 13 et 17 ans, j'avais fait de la musique industrielle bruyante à Paris. J'ai aussi fait de la musique médiévale arabe. Puis en Irlande, les musiciens que j'ai rencontrés m'ont fait écouter plein de choses, je me suis réapproprié le rock. Ce côté américain des arrangements vient des collaborations entre les musiciens. Quand je fais les chansons en solo, elles n’ont rien à voir. C'est beaucoup plus folk. Avec les musiciens, on veut jouer comme un groupe, comme un gros cirque ambulant dans le désert du Mexique. 

La pochette est très western...

Oui la pochette est très western. Il y a une chanson qui s'appelle Billy Bonnie kid, c'est une commande de mon fils qui m'a dit « écris-moi une chanson sur Billy the Kid ». Je me suis renseigné. C'est un personnage assez intéressant, irlandais, il parlait irlandais couramment. Il serait l'arrière-petit-fils de la grande pirate irlandaise Anne Bonny. Une pirate qui a fini aux États-Unis. 

pochette album : hell for leather

Pourquoi ce titre d'album ? 

« Hell for Leather » c'est une expression qui signifie « l'enfer pour le cuir ». Le cuir de la selle, parce qu'on va très vite, on y va à fond. Ça veut dire se servir du fait de trébucher pour se relancer. Dans la vie, on trébuche beaucoup, donc comment transformer ces chutes en danse. C'est ça l'idée. 

J'ai trouvé qu'il y avait un peu une ambiance comme dans le groupe Dionysos dans ce disque ?

Tout à fait, il y a un truc, Dionysos, c'est vrai. Même sur scène, on est très festif. C'est très engagé physiquement, on n'est pas triste, on a beaucoup d'humour. On est content d'être là. 

Tu vas faire d’autres concerts suite à ce disque ? 

On a déjà fait un lancement au Whelans (NDLR : Célèbre pub de la scène musical à Dublin) et une sortie d'album en France en juillet 2023. L’album physique est sorti en octobre en Irlande. Je prépare une tournée en France pour l’été prochain. Il y aura John qui sera avec moi en France, et un musicien français. 

Tu disais « C’est difficile de vivre de la musique en Irlande ». Quel parallèle peux-tu faire avec la France ? 

La grande différence, en France, c'est qu’il y a l'intermittence. En France, on est davantage payé quand on joue. Ici, on joue beaucoup pour des clopinettes, surtout quand on fait de la compo. C'est difficile ici pour ce genre de musique. Une fois que tu as joué 2-3 fois à Dublin, tu vas à Cork, Galway et Belfast, c'est difficile de jouer ailleurs. L'intermittence en France n’est pas facile à avoir, mais ça fait une énorme différence. 

En parlant de voyager en Irlande, je sais que tu fais des interventions dans les lycées. 

C’est vrai, je travaille avec Caroline Moreau, une chanteuse française. Nous faisons des interventions dans les écoles secondaires. On envoie des chansons aux profs de français, ils les voient avec les gamins et puis quand on y va, on les fait chanter. Et on chante avec eux. Je trouve d’ailleurs que l'éducation est bien en Irlande. Ils sont beaucoup axés sur le bien-être. 

Et toi, en tant que français vivant en Irlande, que penses-tu du pays ?

(Sérieux) Vaste sujet… (Silence). L’Irlande, c'est un pays qu'on aime beaucoup et qu'on n'aime pas du tout en même temps. J'aime beaucoup l'Irlande, j'adore les Irlandais, ce sont des gens très ouverts. On rigole bien et j'aime beaucoup la terre irlandaise. Le pays tellurique. Le pays m'inspire beaucoup. Après, il y a le côté où c'est petit et tout le monde connaît tout le monde. Il peut donc y avoir un côté claustrophobique. On a l'impression d'être dans un village, tout le monde sait tout de ce que tu fais. Après, c'est un pays qui a été colonisé pendant 600 ans, un État jeune. Il y a donc beaucoup de dysfonctionnements. Mais tout ça est rattrapé par les gens. 

Justement, dans les écoles, tu rencontres de plus en plus de mixité.

Oui, ce que je vois, c'est que ça se passe vraiment bien. Je constate par exemple que la 2ᵉ génération d'Africains se sent Irlandais. C’est un enrichissement de la culture incroyable. Et cela se ressent. Il y a aussi ce côté positif. Mais le problème, c'est la misère sociale. Je pense que l'Irlande a absolument besoin d'autres cultures et de s'ouvrir sur les autres cultures. Mais pour que cela puisse fonctionner, il faut sortir de la misère sociale. Les Irlandais de souche peuvent parfois se sentir abandonnés par le gouvernement quand il y a comme ça des flux migratoires. Ils ne sont pas préparés. C’est un schéma assez classique. 

Pour finir en musique, aurais-tu quelques artistes à nous conseiller ? 

En français, Bertrand Belin. Il est resté simple et j’aime bien ce qu’il fait. Et un groupe de Dublin : Tongue bundle

Je suis très inspiré par les influences orientales et j’aime beaucoup le Rebetiko (NDLR : genre musical Grec). C'est une musique des années 1920-30, jouée par des réfugiés grecs suite à leur expulsion de Turquie. Ce sont des chansons de cabarets grecs malfamés. C'est une musique magnifique. C'est pour moi une grosse influence. C’est aussi pour ça que j'aime les chansons irlandaises. Parce qu'on est dans la même tradition de chansons. Je trouve qu'il y a un lien entre la Grèce et l’Irlande. Et un groupe qui serait un lien entre la Grèce et l’Irlande, c’est Mozaik. Un groupe des années 80 – 90 avec des musiciens du groupe irlandais Planxty. Je conseille l’écoute ! 

Alain Servant


Pour commander le CD : https://alainservant.bandcamp.com/album/hell-for-leather
Le site web : www.alain-servant.com
Le site de French Singing in Schools avec la chanteuse Caroline Moreau http://carolinemoreau.com/french-singing-in-schools/

Les vidéos : https://www.youtube.com/@alainservant5299/videos 

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