Collectionneur d’art et fondateur de la Fondation Barjeel à Sharjah , Sultan Sooud Al-Qassemi est aujourd’hui l’une des personnalités les plus influentes de l’art arabe dans le Golfe. Très actif sur les réseaux sociaux, il publie également pour des journaux de renom comme The Guardian, The Independant Post, The Huffington Post ou encore pour le quotidien émirien The National.
Parallèlement à son activité de chroniqueur, Sultan Sooud Al-Qassemi a été chercheur invité dans plusieurs grandes universités américaines telles que New York University, Yale ou encore au Boston College. A chaque fois, il anime des cours sur la « Politique de l’art moderne au Moyen-Orient » et développe des projets tels que la Cultural Majlis. En s’inspirant des majlis traditionnels que l’on trouve dans les pays du Golfe, il transforme le salon de son appartement américain en un lieu d’échange et de dialogue où se réunissent étudiants, intellectuels et artistes venant du monde arabe.
Depuis le mois de septembre, Sultan Sooud Al Qassemi a rejoint l’Université Américaine de Paris en tant qu’enseignant. Une occasion pour lui de redécouvrir la capitale parisienne qu’il connait déjà pour y avoir étudié entre 1994 et 1998.
Lepetitjournal.com/dubai : Quand et pourquoi avez-vous commencé à collectionner des œuvres d’art ?
Sultan Sooud Al-Qassemi : J’ai commencé à visiter des galeries d’art et des expositions avec mes parents à la fin des années 1990 et j’ai acheté ma première œuvre en 2002, très certainement une peinture de l’artiste émirien Abdel Kader Al Rais. J’aimais l’idée de posséder des œuvres originales et je voulais être en contact avec les artistes et comprendre leurs idées. On peut dire qu’il y a une vraie dimension humaine dans ma démarche de collectionneur.
Vous avez créé en 2010 la Fondation d’art Barjeel à Sharjah, quel était votre objectif et pourquoi avoir choisi Sharjah ?
Je m’intéresse aussi bien à l’art français que pakistanais ou iranien (…) cependant j’ai toujours pensé que l’art venant du monde arabe était sous représenté et j’avais envie de soutenir des artistes venant de cette région. Nous avons choisi de nous établir à Sharjah car je suis originaire de cet Emirat et Sharjah s’est montrée plus ouverte pour héberger ma collection, cela s’explique par le fait que l’émirat a une forte présence artistique depuis des années. Aujourd’hui, il y a environ 1200 œuvres, cependant mes goûts ont évolué avec les années, j’ai commencé en achetant des œuvres contemporaines au début des années 2000 et maintenant je m’intéresse plus à l’art moderne des années 50-70, car les bouleversements politiques de cette période me passionnent.Nous accordons de l’importance à la conservation et préservation des œuvres, nous achetons des tableaux qui ont besoin d’être restaurés. C’est un devoir pour nous de les protéger ! Aujourd’hui nous collaborons avec un atelier de restauration basé à Dubaï alors qu’auparavant nos œuvres étaient restaurées en Grande-Bretagne ce qui d’un point de vue logistique était très compliqué.
Comment décrivez-vous la scène artistique émirienne ?
La scène artistique émirienne est dynamique, elle évolue rapidement, elle se distingue aussi par sa mixité puisqu’elle est composée d’artistes locaux mais aussi d’artistes provenant d’autres pays arabes. Aujourd’hui la majorité des artistes sont des jeunes femmes et elles jouent un rôle important. Ce n’était pas le cas dans les années 70, 80 où la majorité des artistes étaient des hommes comme : Hassan et Hussain Sharif ou encore Abdelkader Al Rais.
Et justement quelle est la place des artistes femmes aujourd’hui ?
Est-ce que je peux dire que nous sommes au-delà des rôles homme/femme dans le monde de l’art. Le monde de l’art aux Emirats est largement dominé par les femmes, ce qui est une bonne chose. Aujourd’hui les femmes sont à la tête de toutes les galeries, les musées de Dubaï, de Sharjah et le Ministère de la Culture est également dirigé par une femme (Noura Bint Mohammed Al Kaabi). Des hommes comme moi ou Manuel Rabaté, le directeur du Louvre Abu Dhabi, sommes des exceptions. Je rajouterai que cela n’était pas le cas dans les années 90. C’est très bien mais on doit tout de même s’assurer que les hommes continuent à être impliqués dans le monde de l’art et de la culture. Malheureusement en prenant la direction de ces institutions, beaucoup de femmes qui sont également artistes mettent un terme à leur carrière artistique, nous devons trouver le juste équilibre pour leur permettre de continuer à produire leur art. Elles ont besoin d’avoir du temps pour créer et j’espère vraiment qu’on trouvera un moyen pour pouvoir leur dire : s’il vous plait, prenez un jour de congé par semaine pour peindre. Ce qui est dommage dans tout ça c’est que nous perdons notre créativité.
Vers quel type d’art visuel les artistes émiriens ou arabes résidant aux Emirats se tournent-ils ?
Les jeunes artistes ont très souvent recours aux nouvelles technologies. Les artistes sont passés directement à l’art digital, à la photographie, aux installations sans passer par la peinture, c’est comme s’ils avaient sauté une étape. Notre pays est en avance sur bien des domaines et quelque part nous sommes victimes de notre propre succès. Je ne vois pas d’inconvénient à ce que les artistes aient recours aux nouvelles technologies mais je dois avouer que j’aimerais qu’ils accordent plus d’importance à la peinture. Il y a certains artistes comme Alia Lootah qui réalise des peintures magnifiques que j’aime beaucoup.
Quelles sont les formations choisies par les artistes ?
Beaucoup d’artistes choisissent de se former à Sharjah notamment à l’Ecole des Beaux-Arts car le niveau est excellent. Les artistes fréquentent des écoles prestigieuses comme l’Université Américaine de Sharjah, de Dubaï ou encore des écoles de Design . La majorité des artistes viennent des familles relativement aisées et beaucoup d’entre eux ont par ailleurs un travail dans l’administration en plus de leur activité artistique. Il n’y a que très peu d’artistes qui peuvent vivre entièrement de leur art, peut-être les frères Ramin,Rokni et Hesam Haerizadeh qui sont exposés à la Galerie Isabelle Van den Eynde à Alserkal.
Quelles sont les sujets/thématiques que les artistes abordent ?
Je pense qu’en devenant adulte les jeunes artistes sont moins engagés que pendant leur vie étudiante et cela se reflète dans leur art. La jeune génération devrait se montrer plus critique. Selon moi ils devraient aborder plus de sujets d’actualité et réagir davantage aux événements contemporains. Cependant le travail de l’artiste Asmaa Khoory exposé à la Galerie Alserkal est tout à fait remarquable et montre un réel engagement, c’est un très bon exemple.
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Rediffusion de notre article publié le 27 septembre 2020