Qui est Fabienne Verdier ? Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas son travail, quelle chance ! Vous allez découvrir une artiste exigeante, rigoureuse et tout à la fois intense, pleine d’une énergie incroyable, qui en 30 années de pratique solitaire et d’invention a tracé un chemin unique entre le concret et l’abstrait. Formée à la calligraphie et à la peinture chinoises dans des circonstances uniques qu’elle raconte dans le merveilleux livre Passagère du silence, elle est aujourd’hui une artiste qui s’exprime à travers un intense travail de réflexion préparatoire où elle va lier mille sources d’inspiration métaphysiques ou contemplatives, recevant son énergie créatrice aussi bien de grands maîtres de la peinture flamande que de paysages minéraux, de simples cercles concentriques ridant l’eau ou le sable, ou de théories d’astrophysique, jusqu’à s’exprimer d’un trait sur la toile, devenant le véhicule (au sens propre et figuré) de sa peinture, guidant de tout son corps ses immenses pinceaux verticaux pour tracer sa création.
Une rencontre merveilleuse donc, avec la grande « petite chamane » de la peinture en marche, venue « toucher le cœur des hommes » de ses pinceaux immenses qui calligraphient le monde, et raconter les méandres tectoniques de son inspiration. Laissez-vous porter par la poésie et l’intensité de ses réflexions qui vous racontent la genèse de ces « lignes d’énergies » : une exposition lumineuse, forte, pensée pour le paysage en constante mutation qu’est Dubaï, là où tout peut-être plus qu’ailleurs « est énergie permanente en constant devenir ».
Lepetitjournal.com/dubaï : Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce pays de dunes en perpétuel mouvement et de gratte-ciels toujours changeants ?
Fabienne Verdier : Je suis venue en 2016, lors de l’inauguration de la galerie de mon ami Stéphane Custot. J’ai eu ensuite le désir de revenir, d’exposer ici, je voulais y transporter mon atelier nomade, venir peindre le désert
Peindre les dunes après la montagne de Cezanne et le retable d’issenheim, comment est ce que ces deux projets vous ont influencé ?
Le travail sur le territoire cézanien a réprésenté trois ans de recherches. Et puis le confinement et le projet du musée Unterlinden sur le Retable d’Issenheim, sur la vie, la mort, l’aura des choses vivantes et célestes m’ont à nouveau demander un engagement de plusiuers années. Pour ce dernier projet, j’ai imaginé une mise en abyme, d’une pandémie à l’autre, de l’ergot de seigle au Covid : j’ai travaillé sur des tableaux qui pourraient être , commes des icônes contemporaines pour tous ces êtres partis seuls, sans célébration. La représentation de la mort dans le monde occidental c’est la souffrance, la douleur, le macabre... Mais ce retable nous montre la lumière, l’aura, la dilution dans l’énergie, le retour vers l’énergie des étoiles. Qu’est-ce qu’il y a de plus beau ? Que la lumière ?
Qu’est-ce qui vous amène de la lumière au prisme ?
Un jour dans mon jardin, l’arc des gouttelettes d’eau formé par l’arrosoir décrit un arc en ciel complet, une perfection. Je commence à m’interroger sur ce que c’est que la lumière, le prisme, la blancheur. Depuis que la peinture existe on se heurte, nous les peintres, sur le même défi : peindre les particules invisibles, peindre la lumière et son immaterialité, avec des pigments couvrants. J’ai eu la chance à ce moment là d’écouter une émission extraordinaire sur la nature des étoiles, qui nous enseignait que nous, humains, sommes constitués à 97% d’essence stellaire. J’ai alors décidé de travailler sur ce voyage de lumière et j’ai cherché à rapprocher la mort humaine de la mort des étoiles, une sorte de polyphonie des âmes sur le départ par la représentation d’aura d’énergies de particules et de lumières.
Un travail important a été accordé aux couleurs pour cette exposition, que cherchez vous à exprimer à travers elles ?
Ces recherches sur les longueurs d’ondes que capte l’œil humain, depuis les frontières de l’infra-rouge d’un côté, jusqu’ à l’ultra-violet de l’autre, m’ont incitées à aller plus loin dans les superposition de couleurs, et nottament par des jeux de transparences avec le magenta, le cyan, le jaune. Pour cette exposition J’ai tenté tout particulièrement de décomposer le prisme, en cherchant la transparence, l’immatérialité, ce moment vibratoire de particules invisibles.
La vibration c’est le désert aussi: un monde de chaleur si forte qu’elle fait trembler les lignes, naître des mirages
Oui avec Dubaï je rejoins l’expérience de mon arc-en-ciel de jardin, c’est ce que je cherche à recréer au fond : des paysages imaginaires, des déserts imaginaires où la chaleur et les lumières vibrent dans ces lieux constitués de milliards de milliards de micro-particules qui se meuvent au gré des vents.
Vous n’avez pas pu apporter votre atelier nomade cette fois-ci ?
Non mais j’ai le projet de revenir pour effectivement installer la prochaine fois l’atelier nomade dans le desert. J’ai travaillé 30 ans sur la création de ces immenses pinceaux verticaux, que je conduis en toute liberté (l’un d’entre eux est équipé d’un guidon, Fabienne marche sur la toile et « guide » l’écoulement de la peinture qui « trace » la toile sous l’impulsion de son corps tout entier en mouvement – ndlr). Je joue avec la force de gravité et la force centrifuge, c’est un jet de matière constant – une invention des chinois d’ailleurs le pinceau avec une réserve (ancêtre de la cartouche !)… Tout un matériel qui m’a permis de changer le geste de peindre complétement, de créer avec la force de gravité… J’avais le sentiment de travailler sur quelque chose de fondamental, mais j’étais incapable de l’expliquer. Une astrophysicienne m’a dit récemment « vos intuitions sont justes : dans l’espace le flux gravitationnel constitue ce que, nous, astrophysiciens, nommons ‘la source’, c’est à dire le le phénomène de l’éjection et de la formation des corps stellaires».
Au fond vous êtes un demiurge ?
Ah, je ne sais pas (sourire) mais une chercheuse oui ! j’expérimente l’espace avec mon corps en mouvement. Ce mouvement insufflée à la matière qui s’écoule, créé le paysage sur la toile. Quand la peinture vient rencontrer la toile, posée au sol, je vois : une crête de vague ou de montagne, la côte depuis la mer, des lignes de foudres… toutes les formes qui naissent spontanément dans le désert aussi : lignes ondulatoires, turbulences, vagues.
Un paysage abstrait?
Les analogies sont multiples, et ce quelque chose qui surgit ce n’est pas la représentation figurative des formes, je n’ai pas besoin de tout dire, c’est un travail sur l’essences des formes et sur la lumière et au fond un chant poétique qui vous laisse libre d’approcher ces phénomènes… et d’évoquer en vous les souvenirs de vos propres randonnées et d’y reconnaître peut-être des paysages ou d’y entendre le chant du cosmos.
Fabienne Verdier est exposé à la galerie Custot pendant la semaine d'Art Dubai