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CINEMA – The Help, un drame américain aux résonnances hongkongaises

 

Enorme succès au box-office américain tiré d'un premier roman déjà vendu à plus de 2 millions d'exemplaires, The Help sort cette semaine sur les écrans hongkongais. Cette histoire d'amitié sous fond de ségrégation dans le Mississippi des années 60 n'est pas si éloignée du sort de certaines aides domestiques à Hong Kong

Nous sommes en 1962 à Jacksonville, Mississippi. Le Civil Rights Act ne sera voté qu'en 1964 et Martin Luther King organise des marches contre le système de ségrégation du sud et pour le droit de vote des Afro-Américains, le droit du travail et d'autres droits fondamentaux. Trois femmes, une jeune journaliste issue de ce milieu sudiste conservateur et deux servantes noires que tout devrait opposer vont se lier d'amitié à travers un projet courageux : faire entendre la voix des domestiques noires sur le comportement de leurs employeurs. Dans cette petite ville qui refuse le vent du changement qui commence à souffler dans le nord du pays, "parler", c'est prendre le risque des commérages et de l'exclusion pour les blancs progressistes mais c'est surtout le risque de perdre son emploi, de se faire battre et emprisonné pour les noirs qui vivent au service des blancs.

Deux bonnes noires et une journaliste blanche dans le Mississippi des années 60, trio explosif ?
Le film est issu du premier roman homonyme de Kathryn Stockett. Il a le double mérite d'avoir été écrit par une femme qui a grandi dans ce milieu à Jackson et d'éviter à la fois le label "histoire vraie", devenu récemment une signature marketing récurrente pour vendre des livres ou des tickets de cinéma. Nous sommes dans un cadre existant mais également dans une fiction et l'écrivaine comme le réalisateur peuvent donc se permettre toutes les libertés avec leurs personnages.  Parlons-en, des personnages. Deux bonnes noires, amies mais aux personnalités aux antipodes l'unes de l'autre : Aibileen (Viola Davis), la cinquantaine, depuis ses quatorze ans, elle travaille au service de familles blanches, à s'occuper du ménage, de la cuisine, des enfants. Elle a perdu son unique fils, mort à 24 ans d'un accident du travail et réfugie sa tristesse dans l'amour que lui donne la petite fille de la famille pour qui elle travaille. En quarante ans de service, elle a appris à faire toujours profil bas. Minnie (Octavia Spencer), c'est la spontanée, excellente cuisinière, elle se fait régulièrement virée pour son franc-parler, situation aggravée par un mari brutal. Ces deux femmes vont voir leur destin bouleversé par leur rencontre avec Skeeter (Emma Stone), fille d'un riche planteur de cotons, tout juste de retour à Jackson à la fin de ses études. Ambitieuse, souhaitant s'ouvrir une carrière de journaliste, voire de romancière, le comportement de ses amies d'enfance devenues jeunes mères au foyer à leur tour et la disparition mystérieuse de la nounou qui l'a élevée toute son enfance vont lui offrir une idée d'enquête de roman : donner la parole aux domestiques noires pour faire entendre leur opinion.

La bande-annonce du film :

Le film bénéficie d'une histoire à la fois émouvante, drôle, avec des personnages hauts en couleur dont la romancière Kathryn Stockett a su si bien dépeindre les défauts touchants comme le racisme latent, ancré dans cette société depuis des dizaines d'années. Tout le cadre de cette Amérique puritaine et conservatrice est très bien traité et cette atmosphère si particulière au sud des Etats-Unis nous rappelle le Savannah de l'excellent Minuit dans le jardin du bien et du mal de Clint Eastwood. Le film est à son meilleur lorsqu'il prend les chemins de l'humour : le personnage de Jessica Chastain, exclue de par son excentricité et des rumeurs qui tournent autour d'elles, est traité avec beaucoup de poésie et de drôlerie et évite ainsi le pathos de sa situation. Les mères Sissy Spacek et Allison Janey sont merveilleuses et leurs interventions, de judicieuses respirations pour alléger l'atmosphère. D'ailleurs, les actrices sont une des réussites du film, toutes excellentes à l'exception de Bryce Dallas Howard, trop caricaturale dans son rôle de leader odieuse et raciste. Et c'est là le talon d'Achille : contrairement au roman, le long-métrage (2h26 !) glisse doucement vers la caricature et le sentimentalisme avec une dernière demi-heure, succession de scènes lacrymales et attendues. Dommage car on reste séduit par un des thèmes phares de cette histoire : l'antagonisme entre l'amour réciproque entre ces enfants et ces nounous noires et leur comportement une fois adultes, rattrapés par les conventions et la société.

Mississippi 1962, Hong Kong 2011, une si grande différence ?

Le film et le roman apportent aussi par l'universalité de ces thèmes et offrent un éclairage inattendu sur l'actualité : qu'y a-t-il de si différent entre ces bonne noires dans le Mississippi des années 60 et le statut des helpers aujourd'hui à Hong Kong ? Moins de racisme, peut-être, encore qu'il est fréquent d'entendre des histoires révoltantes de helpers maltraitées et pas uniquement par des familles chinoises. Encore qu'il est flagrant de constater que 98% des helpers sont philippines ou indonésiennes, tâches trop dégradantes pour des locaux ? Des lois pour les protéger comme les autres citoyens ? A Hong Kong, les helpers vivent sous un statut particulier qui ne leur donne pas le droit de devenir résidents permanents, qui ne leurs permettent pas d'avoir leurs propres chez eux et qui les rendent totalement dépendants de leurs employeurs. Situation qui se traduit souvent par un retour au pays lorsque certaines souhaitent changer d'employeurs et qu'elles n'ont pas de recommandation. A cinquante ans et des milliers de kilomètres d'écart, la vie de certains n'est pas si différente.

Eric Ollivier (www.lepetitjournal.com/hongkong.html), vendredi 23 septembre 2011

The Help : de Tate Taylor avec Viola Davis, Emma Stone, Octavia Spencer, Jessica Chastain, Bryce Dallas Howard - Actuellement en salles dans la plupart des circuits hongkongais

Le roman "The Help" de Kathryn Stockett a été traduit sous le titre "La couleur des sentiments", publié aux éditions Jacqueline Chambon.

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