

Lundi 27 septembre, le directeur de la rédaction Jérôme Morinière annonçait à ses salariés la fin de la parution de leur journal faute de financement. Le dernier numéro parait aujourd'hui... Cette disparition marque sans conteste un coup de frein au maintien de la francophonie au Cambodge
Créé en mai 1995 suite à la transformation de son ancêtre le bi-mensuel Le Mékong, Cambodge Soir a été durant de longues années le journal de référence de nombreux francophones. Paraissant à ses débuts tous les lundis, mercredis et vendredis, le journal deviendra quotidien en juillet 1997. Il est alors l'un des rares journaux francophones d'Asie du Sud-Est à ne pas être un organe de propagande politique.
Mais en juin 2007, Cambodge Soir traverse la plus grave crise de son histoire, aboutissant à une démission collective et à la fermeture du journal pendant près de quatre mois. A l'origine du conflit, le licenciement d'un journaliste jugé injustifié et remettant en cause l'indépendance éditoriale du quotidien.
La révolte de l'été 2007
Dans l'édition du 9 juin 2007, Cambodge Soir publie un article basé sur un rapport de l'ONG Global Witness, accusant des proches du Premier ministre Hun Sen d'être impliqués dans des opérations de déforestation illégale. L'article révèle des liens entretenus entre plusieurs familiers du Premier ministre Hun Sen et les exploitants forestiers incriminés. Dès le lendemain de la publication, son auteur est "mis en vacances" par le directeur du journal Philippe Monin, par ailleurs conseiller de l'Agence Française de Développement (AFD) auprès du Ministre cambodgien de l'Agriculture. Estimant ce licenciement injuste, la rédaction se met en grève et demande des garanties quant à leur indépendance éditoriale. Le journal est alors "suspendu pour des raisons financières". S'ensuivra un mois de conflit entre la rédaction et la direction. Le 11 juillet 2007, l'équipe de 17 journalistes et traducteurs, khmers et français, est contrainte de présenter une démission collective.
Nouvelle équipe, nouvelle formule
En octobre 2007, alors que les dissidents se regroupent autour du site Ka-set depuis disparu, Pen Bona et Frédéric Amat lance Cambodge Soir Hebo. Cette nouvelle formule, publiée tous les jeudis, reçoit l'appui financier de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). En novembre 2009, le journal s'illustre grâce à Ung Chansophea. La journaliste remporte le prix francophone de la liberté de la presse décernée par l'OIF, Reporters Sans Frontières et Radio France Internationale, pour un article sur les femmes battues. Elle devient la première asiatique à recevoir cette récompense.
Coup dur pour la francophonie
Chez les lecteurs comme chez les confrères, les réactions ne se sont pas faîtes attendre. Pour tous la disparition du principal journal francophone du pays est une perte regrettable. "On perd une bonne source d'information francophone sur le Cambodge. J'espère que le flambeau sera repris sous peu", écrivait un internaute. "C'est une catastrophe pour la francophonie. C'était un très bon journal, avec des articles de fond", estime Marcel Zarca, propriétaire du mensuel l'Echo du Cambodge."Aucune publication étrangère, plus particulièrement francophone, ne peut survivre au Cambodge car elle s'adresse à un électorat trop restreint. Pour qu'elle puisse être rentable, il faut qu'elle bénéficie de subventions ou de mécénats", regrette-t-il. Alain Gascuel, rédacteur en chef du mensuel internet Cambodge Nouveau, est du même avis, "Faire un journal francophone généraliste visant un large public dans un pays où le français reste une langue mineure était une entreprise risquée", juge-t-il.
Reste maintenant à savoir ce qu'il adviendra de la trentaine de salariés -journalistes, maquettistes, commerciaux, personnel administratif et coursiers-, tous encore sous le choc de l'annonce.
Solina Prak (www.lepetitjournal.com/cambodge.html) jeudi 30 septembre 2010









































