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Transformer des objets de mort en bijoux, le pari de Thoeun Chantha

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Écrit par Victor Bernard
Publié le 12 août 2018, mis à jour le 13 août 2018

Transformer les symboles de l’horreur en accessoires de beauté, le pari est osé mais séduisant. Angkor Bullet Jewellery s’est spécialisée dans la transformation de douilles de balles en pièces de bijouterie.

Angkor Bullet Jewellery a été fondée par Thoeun Chantha. Natif de la région de Pursat, il perd sa mère à l’âge de 4 ans et son père - tué par un soldat khmer rouge - à 8 ans. Alors placé dans un orphelinat par ses grands-parents, il commence dès l’âge de 14 ans à se former au métier de joaillier. Lors de sa formation, il se rend compte que le métal des douilles de balles conserve son éclat et possède une résistance similaire à celle de l’or et de l’argent. Particulièrement doué, Chantha, après avoir quitté l’orphelinat, travaille ensuite comme bijoutier pour une ONG basée à Phnom Penh. Il rencontre sa femme en 2009, et décide de lancer sa propre affaire avec le peu d’argent économisé lors de ses années de travail dans la capitale cambodgienne.

Il commence alors dans un petit stand prêté par sa belle-famille dans l’extrême sud de Phnom Penh. Durant 4 ans, il présente ses bijoux dans différentes foires, boutiques éphémères et auprès des différents hôtels de la capitale. Petit à petit, son travail est reconnu et les clients se font plus nombreux. Chantha et sa femme, couturière, se dotent alors de machines plus efficaces afin d’accélérer la production. Ils ont même récemment acquis une imprimante 3D leur permettant de reproduire à l’identique leurs bijoux à partir de cette matière première novatrice composée de douilles fondues. Une imprimante très utile, notamment pour reproduire les boucles d’oreille qui sont donc complètement identiques.

 

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Les douilles utilisées pour la fabrication des bijoux. Crédits : Victor Bernard, Lepetitjournal.com Cambodge

 

Un succès commercial

La plupart des ventes de Chantha fonctionnent par correspondance, souvent par l’intermédiaire d’hôtels, qui proposent ses bijoux à leurs clients. Mais les clients satisfaits n’hésitent pas à continuer de commander à Angkor Bullet Jewellery, même une fois qu’ils ont quitté le Cambodge. Nombreux sont donc leurs bijoux à quitter le territoire pour s’envoler vers l’Occident. Les prix ne nous ont pas été communiqués mais la qualité est assurée.

L’atelier se fournit aux quatre coins du royaume. Certains fournisseurs travaillent dans les zones frontalières de la Thaïlande, dont les sols sont encore emplis de douilles, symboles d’une histoire marquée par l’horreur de la guerre et des champs de mines. Les centres de recyclage ainsi que les centres d’entraînement de l’armée cambodgienne sont également d’importants fournisseurs. Beaucoup d’habitants du sud de Phnom Penh connaissent par ailleurs l’atelier et amènent directement chez Thoeun Chantha les restes de balles qi’oms trouvent, notamment lors de travaux de construction. Les douilles sont ensuite examinées, celles encore dangereuses ou toxiques sont éliminées, et le reste est conservé dans d’immenses sacs avant d’être utilisé. Fondues au charbon de bois, la composition est ensuite moulée et prend la forme de courtes barres métalliques, qui seront ensuite aplaties puis réchauffées et retravaillées à la scie à fil permettant d’obtenir un résultat au millimètre près.

Si Angkor Bullet Jewellery n’a pas encore de magasins dans le centre-ville de la capitale, Thoeu Chantha y réfléchit sérieusement : « Notre business fonctionne sur l’offre et la demande, nous concevons en fonction de la volonté des clients, c’est pour cela que l’installation n’est pas une priorité, mais si Angkor Bullet continue de se développer, je pense que l’on pourra installer un espace de vente à Phnom Penh, et pourquoi pas à Siem Reap. » L’intérêt de l’ouverture d’un magasin représente aussi pour Thoeun Chantha l’occasion de créer de nouveaux emplois et d’apporter de nouveaux revenus pour ses employés.

 

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Dans l'atelier de l'Angkor Bullet Jewellery. Crédits : Victor Bernard, Lepetitjournal.com Cambodge

 

Une ambition sociale

Lancé il y a 6 ans, Angkor Bullet Jewellery est devenu en parallèle d’un atelier professionnel de confection de bijoux un lieu d’insertion et d’ascension sociale pour les employés qui s’y rendent chaque jour. Chantha ne recrute non pas sur les capacités techniques des candidats mais uniquement sur leur motivation et leurs besoins : « J’ai eu la chance d’être recueilli, d’aller à l’école et d’être formé à mon métier alors que je n’avais plus rien ! Il y a encore tellement de gens dans le besoin au Cambodge, c’est le moins que je puisse faire, d’aider ces adolescents défavorisés. » C’est ainsi que certains employés viennent travailler après leur journée de cours et le salaire que leur propose Chantha leur permet de préparer, au moins en partie leur avenir à l’université ou d’aider à subvenir aux besoins de leur famille.

Les salaires des employés dépendent de la situation économique d’Angkor Bullet Jewellery mais se trouvent entre 160 et 280 dollars par mois, auxquels se rajoutent parfois des primes lorsque le chiffre d’affaires est particulièrement fructueux. La production fonctionne sur la demande, qu’il est assez difficile de prévoir sur le long terme, mais les salaires sont basés sur un minimum permettant aux employés de s’assurer un revenu sur un socle régulier.

Thoeu Chantha insiste sur ce point. Il ne veut pas uniquement être un créateur à succès : « Je veux que mon expérience puisse aider d’autres Cambodgiens qui pensent ne pas avoir leur place dans l’économie actuelle du pays. Je veux créer de l’emploi, des opportunités et permettre à ceux qui n’ont pas la chance d’avoir un réseau, ou l’argent nécessaire, de croire en leur avenir. » Il permet donc à certains artisans habitant loin de l’atelier de pouvoir tout de même travailler pour lui. Ils peuvent par conséquent dessiner leurs modèles de bijoux chez eux, venir les concevoir sur place, et ensuite finir de les travailler avec leurs propres outils. Si le résultat est satisfaisant, alors les bijoux seront vendus de la même façon que ceux entièrement conçus dans l’atelier.

 

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Thoeun Chantha dans son atelier. Crédits : Victor Bernard, Lepetitjournal.com Cambodge

 

Au-delà du succès de l’entreprise, Angkor Bullet Jewellery veut redonner au Cambodge une image de paix qu’il a perdu au long des 40 dernières années : « Nous voulons montrer que notre pays peut continuer à produire des objets qui sont des symboles de la richesse culturelle du royaume et non pas seulement des images de guerre auxquels les gens sont trop souvent habitués. » Cette image de marque est à destination des expatriés et des touristes de passage mais pas seulement. « C’est également important pour les gens qui travaillent ici, qui sont souvent encore marqués par les traumatismes de la fin du 20e siècle », confie Chantha.
 

 

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Publié le 12 août 2018, mis à jour le 13 août 2018

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