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“Notre Diego qui est sur les terrains” : des Pâques en l'honneur de Maradona

Ce dimanche 22 juin, des croyants se sont réunis, en Argentine et au Mexique, pour prier et fêter Pâques. Mais pas de lapins en chocolat ni d’agneau traditionnel. Maillot de la Sélection argentine sur le dos, drapeau bleu et blanc dans la main : tous sont venus rendre hommage au Pibe de Oro, Diego Maradona. À Rosario s'est tenue une messe organisée par l’Église maradonienne, qui compte environ 50 000 adeptes dévoués au footballeur argentin. Interview avec Hernan Amez, l’un des trois fondateurs de cette religion au ton parodique.

Maradona Santuario La Paternal Buenos Aires Iglesia MaradonianaMaradona Santuario La Paternal Buenos Aires Iglesia Maradoniana
Sanctuaire de “La Main de Dieu” au stade Diego Armando Maradona. Crédit : Clara Monteiro
Écrit par Clara Monteiro
Publié le 25 juin 2025

Le Petit Journal : Comment est née l'Église maradonienne ? 

Hernan Amez : Maradona prend sa retraite en 1997. L’année d’après se jouait le Mondial en France. Il me manquait énormément, et je n’étais pas le seul ; pour tous les Argentins, vivre le premier Mondial sans Diego était très dur. En 98 je retrouve un ami à moi, le 30 octobre. C’est le jour de la naissance de Diego. Sans aucun contexte, je lance à mon ami : “Joyeux Noël” ! Il comprend instantanément, et me le souhaite en retour. Nous nous serrons dans les bras, nous prenons une bière. Nous revenons sur la carrière de Diego et à quel point il nous manque pendant ce Mondial. Et cela m’est resté, cette réciprocité et ce même amour pour Diego. Après ce moment, je lance à Rosario l’habitude de se réunir tous les 30 octobre. Notre groupe d’amis devenant toujours plus nombreux, nous décidons en 2001 d’organiser une grande célébration. L’Eglise maradonienne découle de ces fêtes, qui deviennent des messes. Je ne suis pas étonné de voir un tel engouement : que ce soit il y a vingt ans ou maintenant, je rencontre toujours des personnes qui souhaitent s’investir complètement dans ces célébrations. À travers l’Eglise, le baptême (NDLR : il consiste à marquer un but de la main gauche dans une cage, en mémoire de la "main de Dieu" puis en une bénédiction sur la Bible, ici l'autobiographie de Maradona) ou les louanges, nous ne cherchons pas à demander pardon, ni à prier pour des épreuves de la vie. Nous souhaitons simplement remercier Diego et lui rendre hommage. 

Il y a donc une dimension spirituelle à cette religion ? 

Bien sûr, la liturgie maradonienne résonne beaucoup chez les gens. Cette religion signifie énormément pour nous. Quand le Noël maradonien s’approche, il y a toujours quelqu’un pour prêter un sapin. Pour sa mort, une urne avait été mise en place dans laquelle tous les gens écrivaient sur du papier leurs remerciements à Maradona. La religion est toujours en mouvement car chacun ajoute quelque chose et s’approprie cet amour pour Diego. Mais il y a quelques symboles qui restent : notre Bible est son autobiographie, Yo soy Diego (Je suis Diego). C’est d’autant plus fort qu’il s’agit de ses propres mots. Ce dimanche, nous avons effectivement célébré les Pâques maradoniennes du 22 juin. En 1986, à cette date, Maradona a marqué l’histoire du football pour toujours. Lors de ce match contre l’Angleterre, il marque non seulement avec la main, qui lui fera devenir la Mano de Dios, mais aussi le But du Siècle. C’est, pour nous, Dieu qui nous a aidé lors de ce match au Mondial de Mexico. Cela a généré une réaction exceptionnelle et presque religieuse : on parle de deux actions presque divines dans un seul match ! L’Argentine, qui a traversé la dictature, la répression se voit renaître : elle peut désormais célébrer dans les rues librement. Le peuple argentin est ressuscité, comme Jésus. Nous tenons donc une messe en son honneur les 22 juin.  Tous les représentants des clubs argentins étaient là, ceux de Boca, River, Independiente… Et des gens sont venus apporter leurs œuvres d’arts, ou lire leurs poèmes, pour se souvenir d’un jour si important pour les Argentins.

En grandissant, quel a été votre souvenir le plus fort de Maradona ? 

Tout vient de mon parrain, Luis. Il était très fan de l’équipe Argentinos Juniors. Un jour, il est venu me voir à Rosario. J’avais seize ou dix-sept ans. On parlait des grands espoirs du football argentin. Il me dit simplement : “Il y en a un qui est très bon”. Très vite, je m’y intéresse aussi. Un souvenir très fort pour moi se passe en 1979. À l’occasion du Mondial junior au Japon, nous étions au téléphone tous les jours pour faire un point sur les actualités de Maradona et de son équipe. J’attendais l’appel de mon parrain Luis, juste après la victoire de l’Argentine en finale de ce Mondial. Cet appel n’est jamais arrivé ; c’est ma tante Julia qui a fini par me rappeler, pour m’annoncer que mon parrain était décédé dans son canapé, devant la finale qui a montré au monde Maradona. Cela m’a énormément marqué et m’a en quelque sorte lié à lui par la suite. Oui, il y a cette dimension émotionnelle, mais il y a évidemment tout le reste et notamment ses qualités footballistiques. J’étais amoureux de sa technique, et c’est là que j’ai commencé à suivre ce qu’il faisait de très près. Cela s’est intensifié quand il est venu jouer à Rosario pour les Newells Old Boys en 1993.

Aviez-vous vu Maradona jouer ? L’aviez-vous rencontré ?

Oui, j'ai eu la chance de le voir jouer à plusieurs reprises. Chaque fois que je le voyais sur le terrain, c'était toujours très émouvant. Mais bon, l'amour que je lui porte vient aussi de sa personne publique, de la télévision, des images… Pour vous aussi, j’imagine qu’il est impossible d’échapper à Maradona, non ? Il accapare tout dans les médias, encore aujourd’hui. Je regardais tous ses matchs à la télé. Et puis quand il est arrivé à Rosario, j'ai eu la chance de le rencontrer en personne, de pouvoir le saluer, en 1993 lorsqu'il est venu jouer avec Newells. J’avais 24 ans. Mon père était le chef de presse de Newells à l'époque. Il m'a raconté beaucoup de choses qu'il vivait au quotidien et à quel point Diego était gentil, différent de ses coéquipiers. Ce que j’ai appris de lui a magnifié sa présence et sa personne. Et avec la création de l'Église Maradonienne, nous avons eu l'occasion de le rencontrer plusieurs fois.


Comment avez-vous vécu la mort de Maradona en 2020 ? Comment expliquez-vous à de non-Argentins le phénomène Maradona ? 

La mort de Maradona je l’ai vécue comme celles de mes parents. Je considère qu’une partie de lui est morte et qu’une autre est née. Il y a eu cette mort corporelle, matérielle. Mais il est encore vivant dans les esprits de tout le monde. Je n’ai aucun doute là-dessus : je pense que son âme est aussi importante que son corps, et que celle-ci est parmi nous. C’est un mythe, un symbole. En plus de ses talents de footballeur, il s’est sorti d’un milieu difficile, d’une famille pauvre.  Et sa grande force, c’était ses mots. Il en savait beaucoup sur la vie. J’en ai appris beaucoup. Sa capacité à dire, « Je me suis trompé, j’ai payé pour ça. » Il a pu commettre des erreurs (NDLR : Maradona a fait l’objet d’accusations d’agressions sexuelles, de violences conjugales. Il a également refusé pendant des années de reconnaître devant la justice certains de ses enfants). Il a reconnu ses problèmes d’addiction aussi. Il a été la voix de beaucoup de gens qui essayent de s’en sortir. Cela rayonne à l’international : à Marseille, il y a un lieu pour rendre hommage à Maradona. C’est une grande ville qui s’identifie à son histoire, avec son immigration, son football de rue. Pareil pour Naples, ou Maradona a joué : les habitants s’identifient tout autant à lui que nous les argentins. Comme on dit à Rosario, Maradona “es de todos” (est pour tout le monde). 

 

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