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LÉGENDES EPISODE 7/7 : Le match de foot le plus meurtrier d’Argentine

L’Argentine, pays du football, est connue pour son amour du jeu et de ses équipes. Le 23 juin 1968, elle connaît pourtant un accident de grande ampleur au stade Monumental, terrain d’une des plus grandes équipes de la capitale : River Plate. Lors d’un match opposant ce dernier à Boca Juniors, une bousculade provoque 71 morts. Que s’est-il passé lors de la “Tragédie de la Porte 12 ? “

stade stade
Écrit par Clara Monteiro
Publié le 9 juin 2025, mis à jour le 10 juin 2025

Vendredi 6 mai. 11h. Les supporters argentins attendent patiemment devant la billetterie du stade Monumental, à Nuñez, dans le sud de Buenos Aires. Si l’ambiance est calme et reposée, la mythique arène a pourtant connu des heures sombres. Le 23 juin 1968, le pays connaît la plus grande catastrophe de l’histoire de son football. Aujourd’hui, presque 60 ans après, les faits autour de la Tragedia de la Puerta 12 ne sont toujours pas clairement établis, créant un véritable mythe autour du stade. 

 

Plaque commémorant la Tragédie de la Porte 12 au Monumental River Plate

 

Une grave bousculade

C’est un jour de Superclasico argentin : les rivaux Boca Juniors et River Plate s’opposent au stade Monumental de River. La bousculade se produit à la fin du match. Les deux équipes sont à 0-0. Une grande partie des fans de Boca, visiteurs, se dirigent vers la “puerta 12” afin d’éviter le bain de foule d’après-match. Quand ils s’engouffrent dans le tunnel, trop nombreux, la masse pousse les premiers, qui tombent dans les escaliers. Or la porte de sortie vers la rue est toujours fermée. Le couloir étant bien trop étroit pour la quantité de personnes, les supporters sont asphyxiés ou écrasés par le poids de la foule compacte. Le bilan est tragique : 71 morts et 200 blessés. Il s’agissait d’ailleurs principalement de mineurs ; la moyenne d’âge des victimes est de 19 ans. Cela reste à ce jour la plus grande tragédie de l’histoire du football argentin. Pour commémorer l'événement, une simple plaque de petite taille est posée près de la porte M, qui remplace aujourd’hui la porte 12. Gaston, 23 ans, travaille à l’accueil du musée River, près du stade Monumental. Il explique le peu de travail de mémoire autour de l’accident : “La bousculade est ancienne désormais, quasiment 60 ans. Il n’y a pas à ma connaissance d’association de survivants ou de familles des victimes.” Bien que 53 actions en justice en vue d'obtenir une indemnisation aient été intentées, elles n'ont abouti à aucun résultat. Le tribunal a conclu à une absence de responsabilité. Les corps ont été rendus aux familles sans que la cause du décès ne soit déterminée. 

 

Un scandale d’Etat étouffé

Cela aurait pu être un simple accident malheureux de mauvaise gestion du flux de supporters. Cependant, pour Gaston, la vérité est tout autre. “Il faut tenir compte du contexte politique difficile dans le pays.” En effet, en 1966, deux ans avant les faits, la junte militaire arrive au pouvoir par un coup d’Etat. Elle installe la dictature de la Révolution Argentine (1966-1973), qui interdit totalement la doctrine du péronisme dans la société. Construit autour de la figure de Juan Péron, c’est un mouvement politique proche du peuple et animé par la justice sociale. Juan Carlos Ongania, le général devenu président de cette Révolution Argentine, va jusqu’à dissoudre des groupes étudiants et censurer les médias. “Le péronisme avait toujours une grande importance populaire. Ce jour-là, les fans de Boca étaient dans un parcage visiteur, dans une tribune de la partie supérieure, près de la porte 12. Ils ont commencé à entonner La Marche Péroniste, interdite par le régime. Les policiers se trouvaient juste en dessous.” Avant que les fans ne se pressent dans le tunnel de la porte 12, les policiers auraient fermé la porte de sortie. Pire : selon la majorité des survivants, ils les auraient même roués de coups à la matraque pour les punir d’avoir entonné ce chant. Selon Gaston, cela expliquerait pourquoi la plaque commémorative n’aurait été posée qu’en 2008, soit quarante ans après les faits. Les familles des victimes n’ont d’ailleurs jamais été indemnisées par la justice. “On dit souvent qu’il y a des fantômes au stade Monumental. Je n’en ai  personnellement jamais vu et je préfère évoquer cette tragédie pour rappeler que l’Etat argentin a gravement étouffé l’affaire”. Une plaque commémorative avec les noms des victimes se trouve également à la Bombonera, le stade de Boca Junior, depuis 2018. Les deux équipes rivales se sont ainsi finalement unies dans le deuil de cette catastrophe.

 

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