Paula Forteza, députée de la deuxième circonscription des Français de l’étranger (Amérique Latine, Caraïbes) revient avec nous, depuis les bureaux de l’Assemblée, sur les premiers mois de son mandat. A 31 ans, cette novice de la politique entend bien ne rien « lâcher » pour remettre les Français de l’étranger au coeur des institutions démocratiques.
Vous avez été élue, mais les taux d’abstention ont marqué des records pour les Français de l’étranger (12,47% seulement de participation au deuxième tour pour votre élection). Comment expliquez-vous leur faible mobilisation lors des grands rendez-vous ? Comment y remédier ?
Paula Forteza : La seule façon de ré-intéresser les Français de l’étranger à la politique nationale, c’est qu’ils aient confiance en elle et en soient les acteurs. Ils doivent pouvoir suivre et s’impliquer dans ce qui se passe au jour le jour et voir qu’à Paris, on défend leurs intérêts. Le gros défi étant la distance géographique, je crois vraiment dans les outils numériques (forums, plateformes de consultation, permanences virtuelles) pour bâtir des ponts et avoir un dialogue plus continu entre nous. Il faut que l’administration consulaire aille chercher les Français et les soutiennent dans leurs projets, pour se défaire d’une image traditionnelle un peu intimidante ou prestigieuse… éloignée en tout cas. On a commencé la législature sur un texte : la loi pour la confiance dans la vie politique, qui va dans ce sens. On a aussi constitué un groupe solidaire et actif entre députés des Français de l’étranger. Comme il y a beaucoup de sujets transversaux qui sont communs à toutes les circonscriptions, on s’organise pour avoir une force de frappe collective et se répartir les sujets. Moi je travaille en profondeur surtout sur les sujets de dématérialisation/modernisation des démarches consulaires et réforme des institutions car c’est en lien avec mon expertise et ce qui m’intéresse.
Sur ces questions de dématérialisation et modernisation, peut-on espérer avoir un vote électronique élargi à toutes les élections dans un futur proche ?
Cela a été une de nos premières batailles, notre revendication était le vote en ligne pour les prochaines élections. Le président nous entend, les ministres aussi, on voit bien qu’ils se mettent à parler de plus en plus des Français de l’étranger. La présence d’Emmanuel Macron lors de la dernière Assemblée des Français de l’étranger a montré, symboliquement, son intérêt (voir notre article). Le vote électronique sera mis en place pour les prochaines élections des conseillers consulaires.
Vous abordez la loi pour la confiance dans la vie politique. Elle a débouché notamment sur la suppression de la réserve parlementaire ce qui va fortement pénaliser les projets associatifs portés par les Français de l’étranger. Va-t-elle être remplacée ?
Je crois que beaucoup de ceux qui m’ont interpellée n’ont pas très bien compris le sens de notre action sur cette loi. Ce n’est pas constitutionnel que les élus puissent attribuer des fonds de manière discrétionnaire. « Décrocher » des subventions dépendait des relations personnelles des associations avec leur député ou des rencontres que celui pouvait faire. Ça a conduit à pas mal de dérives, voire scandales de clientélisme. Pour autant, je suis bien consciente des besoins du tissu associatif. Pendant tout l’examen du texte, nous avons dit au gouvernement et à la ministre, NIcole Belloubet, que nous ne le voterions pas avant d’avoir des garanties. Les associations doivent continuer de recevoir un soutien mais de façon plus claire, selon des critères établis. Les crédits ont été sanctuarisés dans le PLF (projet de loi de finance). Notre groupe est maintenant en train de faire des propositions pour en faire un mécanisme participatif et inclusif, sur le modèle des budgets participatifs que l’on peut voir à Paris ou à Madrid. Vous aurez des informations plus précises et des annonces dans les prochaines semaines.
L’éducation était une autre priorité de votre campagne. Que pouvez-vous dire aux élus et parents d’élèves du réseau de l’AEFE qui sont inquiets au sujet de l’annonce de réductions budgétaires et suppressions de postes drastiques ?
C’est un sujet très complexe ; il faut prendre le temps de réfléchir à une réforme innovante et complète de l’AEFE. La députée Samantha Cazebonne, qui était proviseure de lycées à l’étranger et connaît bien ces sujets, va mener une mission d’information pour creuser tous les aspects de la réforme. Il faut penser à des modèles où les grands groupes français soient plus impliqués dans les projets et les financements. Une autre voie à laquelle on réfléchit est de créer des centres de formation de professeurs au niveau local, qui garantissent un même niveau de qualité qu’en France, afin que les établissements puissent recruter plus de gens compétents sur place. Ce qu’on veut dire aux lecteurs, c’est d’être un peu patients. On veut pouvoir vous donner une réponse dans quelques mois qui sera plus aboutie. Comme ex-élève d’un établissement français (Paula Forteza a fait ses études dans le système français à Buenos Aires, ndlr) , c’est un sujet qui me tient à coeur. On ne va pas lâcher.
Autre sujet de mécontentement : le maintien de la CSG-CRDS pour les Français de l’étranger. Pourquoi l’avoir voté, après avoir retiré l’amendement ?
Si on n’avait pas retiré l’amendement, il ne serait pas passé, c’est la réalité des forces politiques. Le gouvernement et la commission avaient émis un avis défavorable donc lors du vote, on s’est abstenu. On a préféré le dialogue constructif à l’opposition stérile. Le gouvernement n’a pas clos le sujet, il nous a demandé de travailler sur tous les enjeux, y compris juridiques : combien de personnes ça touche, quels sont les impacts dans leur vie quotidienne…On a notre commission sur la fiscalité avec Roland Lescure, Anne Genetet et Alexandre Holroyd. On ne pourra pas gagner toutes les batailles en six mois de mandat, mais on est en train de travailler pour y arriver.
Concernant votre circonscription, comment expliquez-vous qu’elle soit l’une des seules où le nombre de Français n'augmente pas ?
Il s’agit des chiffres officiels et on sait tous qu’ils sont un peu biaisés (voir notre article : Les Français de l’étranger en chiffres). Ce qu’on a vu pendant nos déplacements, c’est que la sociologie des Français expatriés, au moins en Amérique latine, est en train d’évoluer. Ce n’est plus tant des expatriés qui viennent en tant que fonctionnaires ou dans les grands groupes mais beaucoup qui partent un peu à l’aventure avec des projets de vie ou d’entreprenariat. Certains veulent parfois échapper à la France. De moins en moins, en tout cas, voient ce que les réseaux consulaires peuvent leur apporter. Par ailleurs, quand on regarde les chiffres de développement économique et d’investissements français ailleurs dans le monde, on peut y voir un lien. L’Amérique latine stagne à ce niveau, tandis qu’en l’Asie, au Moyen Orient, mais aussi dans certains pays d’Afrique, il y a un boom économique et des investissements étrangers. On va œuvrer pour que l’Amérique latine revienne à l’agenda politique et qu’elle devienne une destination attractive pour le Français. De par la manière très particulière qu’a le président des Etats-Unis de gérer les affaires internationales, beaucoup de pays d’Amérique latine regardent aujourd’hui vers l’Europe et la France. C’est une opportunité de renforcer nos liens et il faudra saisir des occasions importantes, comme le G20 en Argentine. J’ai vraiment une passion pour ce sous-continent qui a un grand potentiel sur bien des aspects.
Comment entretenez-vous les liens avec les Français de votre circonscription ?
J’essaie de balayer tout le territoire en faisant des déplacements entre une semaine et 10 jours par mois, dans deux ou trois pays à chaque fois. On a lancé une newsletter mensuelle dans laquelle on détaille tout ce que l’on fait. Très bientôt, on commencera nos permanences virtuelles. Comme on a des exigences en matière de logiciel libre et protection des données personnelles et qu’on veut toucher un grand public, on met un peu de temps à choisir l’outil idéal. Ensuite, on s’appuie sur les réseaux et les communautés qui existent : les accueils, les clubs, la french tech, les parents d’élèves, les Marianne, qui permettent, par capillarité, d’aller à la rencontre de tous les Français de l’étranger.