

Ancien journaliste de Libération puis du Monde, François Bonnet est un des fondateurs et le directeur éditorial du site Médiapart
Lepetitjournal.com: Directeur du service international du Monde, vous quittez le journal en 2006. Pourquoi?
Francois Bonnet (photo: www.blogs.mediapart.fr) : A l'époque, la direction du Monde a décidé d'abandonner la publication des enquêtes. Ce qu'on proposait aux lecteurs devenait de moins en moins intéressant. En plus, l'ambiance était assez lourde au sein de la rédaction donc j'ai commencé discuter avec certains confrères dont Edwy Plenel sur la possibilité de fonder un nouveau journal online, spécialisé justement sur les enquêtes et les scoops, malgré des difficultés qu'on devinait. En fait, le but était de renverser la logique des autres organes de presse qui publient des articles qu'ils croient importants dans le mainstream. Nous, on a voulu que les citoyens participent au débat public en recréant le lien direct entre le journal et ses lecteurs. On a souhaité casser l'agenda mainstream en offrant au public d'influencer directement - y compris avec son argent - le contenu du journal. Pour y parvenir, il fallait trouver les n?uds de l'actualité autour desquels le débat public s'articule, en publiant les informations le plus rapidement possible avec une plus-value qualitative. On sait qu'en France le journalisme d'investigation peine donc les fondateurs du Mediapart se sentaient obligés de faire un grand pas en avant dans ce domaine aussi.
Quel est le modèle économique du site?
Nous avons construit un nouveau modèle, le journal online payant. L'abonnement coûte 9 euros par mois pour les adultes, 5 pour les jeunes de moins de 25 ans. Actuellement, nous avons 51.000 abonnés privés, on commence même à gagner de l'argent. Il s'est avéré que le mythe de l'Internet gratuit ne tient pas, les lecteurs sont prêts à payer pour une information de qualité, à condition d'observer une identité éditoriale différente qui inclut un journalisme indépendant, l'absence de la publicité et des articles intéressants.
Quels sont vos critères déontologiques?
Nous constatons qu'en France la justice ne fait pas son travail dans les affaires sensibles. On peut en citer le dernier exemple, l'affaire Pasqua-Falcone où le tribunal a rendu son jugement après 17 ans de procès. Les magistrats en sont tout à fait conscients et font leur guerre contre le pouvoir politique et économique via la presse en organisant des fuites. D'autres sources nous approchent également après avoir échoué dans les tentatives de suivre la voie hiérarchique, c'était le cas par exemple dans l'affaire des quotas ethniques dans le football. La qualité de notre travail et le succès de nos scoops, le premier ayant été le dossier de Karachi, assurent une réputation professionnelle d'excellence. Mediapart s'efforce de publier des scoops d'intérêt public mais nous ne touchons jamais à la vie privée. Nous profitons en fait des faiblesses de la presse française qui ne fait pas son travail.
Comment voyez-vous l'avenir du média?
Tout est en train de changer. En France, dans un avenir assez proche il va y avoir deux sortes de sites sur le net. Une information de bonne qualité, fiable, contrôlée mais peu travaillée que le consommateur peut lire gratuitement et une information de haute qualité, fruit souvent d'un long travail d'investigation avec des véritables scoops qui sera payante. Evidemment, dans chaque pays, le modèle peut être différent. En Grande-Bretagne par exemple, la presse quotidienne fait très bien son travail y compris dans le domaine des enquêtes.
Une chose est sûre, le numérique réinvente le journalisme indépendant.
Mihály Rózsa (www.lepetitjournal.com/budapest.html), jeudi 5 mai 2011