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TEMOIGNAGE - Ion Marin Uta, comment des faits anodins ont éveillé les soupçons de la Securitate

Écrit par Lepetitjournal Bucarest
Publié le 11 juin 2017, mis à jour le 12 juin 2017

Le communisme a marqué la Roumanie. Grand pan de son histoire, il a laissé des traces dans l'architecture, dans la politique et surtout dans les consciences. Pourtant, il n'existe aucun musée du communisme dans ce pays. C'est à travers des rencontres qu'il est possible d'avoir un aperçu de ce qui a été, pour beaucoup, une période noire en Roumanie. Ion Marin U??, président de la Ligue Francophone Roumaine, a grandi pendant le communisme. Il revient pour nous sur son adolescence, qui a éveillé à plusieurs reprises les soupçons de la Securitate, la police politique communiste, bien qu'il n'ait jamais rien fait pour s'opposer au parti.

 

LePetitJournal.com Bucarest : À partir de quand avez-vous remis en cause le communisme ?
Ion Marin U??: C'est arrivé avec mon grand-père. Mes grands-parents et mes parents ont eu un certain héritage : des terrains, des forêts, des maisons, des outillages. Tout cela a été confisqué.
Un jour les communistes sont entrés brusquement dans la maison, avec le directeur de l'école et nous ont menacés : « Si vous ne donnez pas tous ce que vous possédez, vos enfants ne pourront pas retourner à l'école. » J'avais 5 ans. Quand ils sont partis, mon grand-père m'a dit : « Si tu entres au parti communiste, tu iras au diable. » Ces paroles me sont restées en tête.


Vous avez quand même été renvoyé de l'école, n'est-ce pas ?
Oui, mais pour une autre raison. C'était au mois de mai 1980. J'ai fait une annonce dans le quotidien Romania Libera : le bâtiment de mon école élémentaire allait être détruit. Il avait été dessiné par un architecte français. C'était une très belle maison, je l'aimais beaucoup. Elle se trouvait dans le centre, juste à côté des archives nationales. Des édifices un peu anciens, comme celui-ci, il en restait très peu à Bucarest. Il y a eu énormément de démolitions pendant le communisme. Dans l'annonce, j'invitais les personnes liées à ce bâtiment à faire leurs dernières photos avant qu'il disparaisse. Très sagement, sans savoir que je m'exposais à des représailles. Pour moi, c'était un geste de noblesse. Plus d'une vingtaine de personnes se sont rassemblées, des professeurs et des élèves. Mais il y avait un décret, que je ne connaissais pas à l'époque, ordonné par Ceau?escu. Il interdisait de se réunir à plus de 3 personnes. À cause de cela, j'ai été renvoyé de mon établissement scolaire vers un chantier ferroviaire.

 

Etiez-vous surveillé par la Securitate ?
On ne peut jamais vraiment savoir. Ils étaient très malins. C'était comme si la menace était dans l'air.
Mais j'avais fait plusieurs erreurs. J'écrivais dans un revue étudiante dans laquelle j'avais cité le philosophe Constantin Noica. Pour les étudiants de cette époque, ce penseur était une bulle d'oxygène. Il était en résidence surveillée quand j'ai fait un voyage pour le rencontrer, avec une copine française. J'étais fier de lui présenter ce philosophe. Ce n'était pas interdit de lui rendre visite, mais cela a éveillé des soupçons.


Avez-vous une idée du moment où la Securitate s'est intéressée à vous ?
Je pense que j'étais déjà surveillé au moment de mes correspondances avec des étrangers. La plupart étaient canadiens et français, mais j'avais aussi échangé avec des Vietnamiens, des Belges, des Suisses. J'ai reçu plus de 100 lettres. La Securitate s'est posée des questions. Les lettres ont été ouvertes.
J'ai fait une autre faute : je correspondais avec une professeure d'anglais à Bruxelles. Elle m'a questionné sur ma situation en Roumanie. Je lui ai répondu : « C'est horrible ici, je ne peux plus supporter. » Je pense que ces mots ont déclenché une surveillance.
J'ai aussi beaucoup fréquenté les bibliothèques étrangères, la bibliothèque française en tête. Mais aussi les bibliothèques anglaise, américaine, allemande et italienne.


C'était mal vu de fréquenter ces lieux ?
Oui. Ce n'était pas interdit, mais à l'époque, les gens qui entraient là-bas étaient fichés. Je fréquentais aussi les bibliothèques roumaines. Je ne faisais pas de discrimination !


Est-ce que vous avez pu récupérer votre dossier établi par la Securitate ?
Oui, mais il est petit, je pense que ce n'est pas le vrai. Je n'ai trouvé que quelques pages. L'annonce de la démolition de mon école, la visite à Constantin Noica, n'y figurent pas. Il y a seulement mon transfert de l'unité d'élite à l'unité de travail, quand j'étais à l'armée. Ils ont d'ailleurs voulu me recruter dans l'armée. J'ai refusé, parce que je ne voulais pas être sous des ordres. J'ai toujours gardé ma liberté. De faire ce que je veux et quand je veux.


Comment auriez-vous défini la liberté, sous ce régime ?
Voyager et lire ce que je voulais, sans restriction. Et sans répression. C'est pour ça que je suis sorti dans la rue. Dans mes correspondances, mes collègues me disaient qu'ils allaient au Canada, en Thaïlande. Nous, nous étions comme dans une prison.
Un jour, en sortant de la bibliothèque, j'ai vu des jeunes entre 10 et 12 ans sur la place, pour manifester. J'en ai pleuré. Je me suis dit que même si je devais mourir, il fallait que j'aille avec eux pour lutter.


Que pensez-vous de la Roumanie d'aujourd'hui ?
Je suis un peu déçu. Après la révolution j'ai été député pendant 6 mois, parce que j'avais un idéal. Bien sûr, ce que je désirais, c'est-à-dire pouvoir voyager, correspondre, lire ce que je veux, tout cela est devenu possible. Mais au niveau social, je ne suis pas très satisfait. Avant, tout le monde était obligé de travailler. Maintenant, il est difficile de trouver du travail. Ce n'est pas mon cas, mais ça l'est pour mes compatriotes. Il y a aussi beaucoup de pauvreté.


Est-ce qu'on pourrait aller jusqu'à dire que vous êtes nostalgique de certains aspects du communisme ?
Non, jamais. J'ai été très heureux de pouvoir récupérer une partie des biens de mes ancêtres. Jamais je ne voudrais retourner sous le communisme.

Propos recueillis par Maëva Gros (www.lepetitjournal.com/Bucarest) - Lundi 12 juin 2017


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Publié le 11 juin 2017, mis à jour le 12 juin 2017

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