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Soirée poésie avec Ana Blandiana à la librairie Kyralina

Soirée poésie avec Ana Blandiana à la librairie KyralinaSoirée poésie avec Ana Blandiana à la librairie Kyralina
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 18 octobre 2022
Rencontre à la librairie française Kyralina avec la plus célèbre poétesse et essayiste roumaine Ana Blandiana autour des recueils "Clair de mort" (Éd. Unicité) et "Variations sur un thème donné" (Jacques André Éditeur).
 

 

Qui est Ana Blandiana ?

 

Otilia Valeria Coman (née le 25 mars 1942 à Timișoara) est sous son nom de plume d’Ana Blandiana une poétesse, essayiste et figure politique roumaine. Son surnom vient du village de Blandiana dans le județ d'Alba en Transylvanie, dans lequel est née sa mère.

 

Le père d’Ana Blandiana, Gheorge (1915-1964) est un prêtre orthodoxe qui a passé plusieurs années dans les prisons communistes et a été tué dans un accident quelques semaines après une amnistie générale. Sa mère, Otilia Diacu, était comptable. Sa sœur Geta naît en 1947. Otilia se marie en 1960 à l’écrivain Romulus Rusan.

Après ses débuts dans la Tribuna en 1959, où elle signe pour la première fois du nom d’Ana Blandiana, elle est publiée dans l’anthologie 30 de poeți tineri (« 30 jeunes poètes »). En 1963, après quatre années d’interdiction dues aux persécutions subies par son père, elle publie de nouveau dans Contemporanul (édité par George Ivașcu).

Après la chute de la dictature communiste, Ana Blandiana et Romulus Rusan initient la création d’un mémorial de la répression, de la résistance et des victimes de l’État communiste, à Sighetu Marmației, ville du Nord de la Roumanie, à la frontière ukrainienne.

 

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Extrait de notre précédente interview avec Ana Blandiana :

 

Grégory Rateau : Vous avez connu la censure sous l’époque communiste. Je repense à cette phrase de Sartre « l’homme n’a jamais été aussi libre que sous l’occupation ». Pensez-vous que l’artiste peut être stimulé par les contraintes ?

Ana Blandiana : Il y a environ 10 ans, nous avons organisé à Sighet, près du mémorial, une conférence internationale sur la liberté en prison. Des écrivains de tous les pays ont participé, des détenus politiques, il y avait l’Ambassadeur du Portugal qui avait été détenu pendant l’ex-période fasciste du Portugal. La conclusion, c’est exactement ça, et c'est drôle parce que vous me la posez d’emblée (rires). En prison ils étaient beaucoup plus libres car il n’y avait plus aucune liberté. Brusquement ils ne devaient plus lutter pour obtenir un peu de liberté. Ce n’est pas la même situation avec la censure car la censure était totale, on luttait tous les jours contre elle, parfois j’étais vaincue, parfois j’étais victorieuse, mais on ne pouvait jamais se reposer sur nos lauriers.


J’ai appris que les gens recopiaient vos poèmes qui étaient interdits pendant le communisme pour leur permettre de circuler malgré tout, un peu comme dans le roman Fahrenheit 451...

Oui, c’était incroyable mais malgré cela, même dans les dernières années de la censure, je luttais pour chaque vers, chaque ligne. A partir de ce moment-là, dès qu’un texte à moi avec mes vérités apparaissait c’était la preuve qu’en Roumanie il y avait de la liberté. C’était un symbole fort de résistance aussi pour les gens qui y contribuaient. Parfois j’avais des doutes car qu’est-ce qui était le mieux au fond, faire croire aux gens qu’une liberté était encore possible sous la dictature et peut-être leur faire nourrir de faux espoirs ou alors laisser le noir se répandre partout et s’installer la toute-puissance du dictateur Ceausescu? Parfois je ne le savais plus, c’était un combat terrible à mener au quotidien, contre moi-même également. J’ai choisi, j’ai finalement opté pour la première option et je ne l’ai, je crois, jamais regretté par la suite. Je me suis battue, j’ai lutté pour regagner ma liberté et celle du peuple auquel j’appartenais. En prison, les intervenants expliquaient d'ailleurs qu’ils n’avaient plus de couleur politique, leur liberté venait de leur absence de choix précisément.


Quel est le poème qui a été perçu comme étant le plus contestataire par le régime communiste ?

Le plus grand scandale a été avec le poème que j’ai publié en décembre 1984. Il s’intitulait « La croisade des enfants » et parlait des femmes qui étaient obligées de faire quatre enfants. Après cette date, les choses étaient encore pires, si je puis me permettre, car elles devaient en faire sans aucune limite (rires). Un autre qui a vraiment fait scandale c'est celui-là :

 

Je crois que nous sommes un peuple végétal,
Comment expliquer autrement le silence
Dans lequel nous attendons l’effeuillage ?
D’où vient le courage
De glisser sur le toboggan du sommeil
Jusqu’au tunnel de l’au-delà
Avec la certitude
Que nous serons capables
De renaître ?
Je crois que nous sommes un peuple végétal
Qui a jamais vu un arbre
S’insurger ?


(Traduction de Radu Bata)

Et il y avait également « Le tout », car Ceausescu avait l’habitude de dire cela, « On doit tout faire pour réussir ! ». J’ai donc expliqué ce que signifiait ce tout pour nous. J’ai été interdite, tous les membres de la rédaction "Amfiteatru" ont été licenciés. Je ne savais pas que le journal l’avait donné pour sa publication avec une caricature de Ceausescu en plus et une explication d’un universitaire pour montrer en quoi ce texte était subversif en Roumanie... Vous imaginez un peu le scandale! Ils s’étaient arrêtés sur le mot "chat" et je repense bien sûr à cette histoire où Ceausescu visitait un hôpital avec ses deux Doberman adorés. Il y avait des chats sauvages pour faire fuir les rats, et ces derniers se sont attaqués aux chiens du dictateur. Alors l’un des chiens s’est enfui! Imaginez un peu le ridicule avec l’un des gardes qui courait après lui. Les gens riaient beaucoup, mais pour Ceausescu ça été l’humiliation de trop, il a donc décidé de démolir l’hôpital.

 

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grégory rateau
Publié le 18 octobre 2022, mis à jour le 18 octobre 2022

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