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Sonia Barbry, Consule générale de France à Bombay : mon confinement

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Écrit par lepetitjournal.com Bombay
Publié le 29 mai 2020, mis à jour le 19 décembre 2023

Durant les mois d’avril et de mai, la rédaction vous a proposé les témoignages de Français résidents ou de passage en Inde et d’Indiens sur l’impact du confinement strict du pays sur leur vie professionnelle et personnelle. Aujourd’hui, nous avons pu interroger Sonia Barbry, Consule générale de France à Bombay, qui nous explique comment le Consulat et elle-même vivent le confinement.

 

Le Consulat général de France, en première ligne pour l‘aide aux ressortissants français, a joué un rôle crucial, tout d’abord dans le rapatriement des touristes, en lien avec l’Ambassade, mais aussi dans la diffusion d’informations pour les résidents français de la circonscription. Une communication importante sous la forme de mails et de mise à jour de la FAQ dans cette période de changements brusques et de crise sanitaire sans précédent. 

 


lepetitjournal.com : Quel a été l’impact de cette crise sur l’ensemble de vos missions ? Comment le Consulat s’est-il réorganisé ? 

Sonia Barbry : Peu après les premières mesures de limitation des entrées de visiteurs sur le territoire prises par le gouvernement indien (ndlr: le 10 mars), le personnel non essentiel du Consulat a été invité à rester chez lui et à télétravailler s’ils le pouvaient. Et avec un petit noyau dur d’agents (essentiellement des Français expatriés mais aussi quelques recrutés locaux essentiels), j’ai mis en place une cellule de crise et d’assistance aux Français. La priorité, au début du confinement, a été de s’occuper du rapatriement des touristes français voyageant dans la circonscription qui se sont retrouvés bloqués aux quatre coins de l’Inde ainsi que des personnes vulnérables. 

Aujourd’hui, le Consulat général est fermé au public sauf cas d’urgence, mais il est actif et continue à travailler.

Le service des visas est suspendu, mais le service d’assistance aux Français en difficulté/Etat civil reste ouvert pour les cas urgents (ndlr : depuis le 1er septembre 2019, la plupart des formalités d'état civil sont assurées par l’Ambassade à Delhi, à l’exception de la délivrance des passeports et CNI, qui demeure à Bombay). Les équipes de Business France, en charge de la coopération économique, ainsi que les attachés chargés de la coopération scientifique, universitaire, culturelle et audiovisuelle sont en télétravail. Seuls quelques agents se rendent en alternance au Consulat pour effectuer les travaux qui ne peuvent se faire à distance : maintenance informatique, comptabilité... mais ils ne sont jamais plus de trois personnes.

 

Dès le début de la crise, la coopération avec les autres Consuls généraux présents à Bombay s’est renforcée. Un groupe WhatsApp des Consuls généraux a été créé, nous permettant d'échanger les informations, les numéros de téléphone utiles pour le rapatriement, les nombreuses ordonnances et réglementations émises par les gouvernements des Etats de notre circonscription, les compagnies de bus qui acceptaient de circuler pendant le confinement, etc.

Les échanges ont été particulièrement intenses avec les Consuls généraux des autres pays de l’Union Européenne avec qui nous avons coopéré pour organiser un certain nombre de rapatriements. 

 

Comment avez-vous travaillé sur les opérations de rapatriement des touristes français bloqués dans votre circonscription ? Quelles ont été les principales difficultés rencontrées ?

Au début du confinement, même si nous avons obtenu des autorités locales que le Consulat général soit considéré comme service essentiel, nous avons dû réduire fortement les déplacements et la présence physique d’agents dans les locaux du Consulat. Nous avons donc suspendu la plupart de nos activités et nous sommes concentrés sur la gestion de crise, en lien avec l’Ambassade de France à Delhi pour assister les touristes français présents dans la circonscription (Maharashtra, Gujarat, Madhya Pradesh, Chhattisgarh et Goa) et les résidents français. 

Afin d’assurer la pérennité de la mission de cette cellule, j’ai mis en place deux équipes hermétiques qui travaillaient à tour de rôle dans les locaux du consulat. Ainsi, en cas de contamination d’une personne, les autres membres de l’équipe resteraient chez eux, en quarantaine et la deuxième équipe prendrait le relais. 

Une permanence téléphonique accessible 24h/24h a été mise en place et une boite mail, que tout le monde connaît aujourd’hui, a été ouverte pour réceptionner toutes les demandes liées à la crise. Durant les trois premières semaines, nous recevions 150 appels par jour et quasiment autant de mails. Nous faisions le maximum pour répondre aux questions et angoisses des centaines de touristes français qui étaient bloqués aux quatre coins de la circonscription. Le rapatriement de ces touristes a nécessité une gestion administrative lourde car en l’absence de transports publics il a fallu organiser dans l’urgence des bus qui faisaient le ramassage « à domicile » de ces touristes disséminés dans toute la circonscription afin de les acheminer vers l'aéroport de Mumbai. On avait peu de temps entre le moment où la Direction de l’Aviation Civile autorisait l'atterrissage d'un avion et le décollage de ce dernier. Il fallait donc faire tout très vite : prévenir les candidats au retour, attendre leurs réponses, préparer les listes de passagers, organiser l’acheminement de ces derniers vers l'aéroport...

Le transfert de ces touristes bloqués a nécessité de nombreuses procédures administratives pour obtenir les autorisations de déplacement et de passage des frontières entre les Etats. Gérer les particularités et les besoins de chacun n’a pas toujours été simple, mais nous avons réussi à rapatrier tous ceux qui le souhaitaient.

 


A l'échelle de l’Inde, le Maharashtra a été particulièrement impacté par la Covid-19 et ses deux villes principales (Mumbai et Pune) sont toujours classées en zone rouge. Comment voyez-vous la suite de votre mission dans l'Inde de l'après confinement ?

Aujourd’hui, l'opération de rapatriement des touristes est quasiment terminée. Nous continuons donc à assister les Français résidents qui en ont besoin et à rester très vigilants quant à l’évolution de la situation sanitaire. Une permanence téléphonique est maintenue et nous continuons de répondre à de nombreuses questions d’Indiens étudiants ou résidents en France qui souhaitent rentrer. Et en parallèle le Consulat général, avec tous ses autres services, a repris ses activités, en télétravail. 

En effet, un Consulat général est une délégation de l’Ambassade et couvre donc tous les sujets de coopération entre la France et l’Inde. Depuis plusieurs semaines maintenant nous travaillons à redynamiser nos activités autres que les aspects purement consulaires :

  • coopération économique avec Business France et la mission économique, qui est une partie importante à Bombay, 
  • coopération scientifique et universitaire, 
  • coopération culturelle, 
  • coopération audiovisuelle très active avec les industries du film indien basées à Mumbai, 
  • coopération pour l’enseignement du français.

Chacun dans son domaine relance aujourd’hui son activité et le Consulat reprend aussi la communication sur l'attractivité de la France pour les Indiens.

 

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Comment, personnellement, vivez-vous le confinement ? Comment sont organisées vos journées de travail ? Qu’est ce qui a changé pour vous depuis le début de la crise sanitaire ?

Pendant les deux premières semaines du confinement, j’ai continué à aller travailler quotidiennement dans les locaux du Consulat. Les tout premiers jours, c’était très impressionnant, les rues étaient totalement désertes et je traversais la ville en moins de vingt minutes pour atteindre mon bureau au lieu d’une heure en temps normal. C'était à la fois très agréable, mais aussi très bizarre de voir Bombay aussi vide.

Mais ensuite, mon immeuble (qui jouxte un hôpital privé qui accueille des patients COVID et dans lequel le personnel soignant a été contaminé), est passé en mode confinement strict. Plus personne de l’extérieur n’est autorisé à l’intérieur et les habitants ne sortent plus de l'enceinte de la résidence. 

Heureusement, j’habite dans un immeuble qui est plutôt familial avec peu de résidents. Et donc depuis ce confinement de l’immeuble, avec certains, nous nous retrouvons le soir dans la cour pour marcher un peu et prendre l’air. Au fil de ces promenades vespérales dans la cour, nous avons appris à nous connaître et avons ainsi recréé un microcosme social avec quelques invitations à déjeuner ou à dîner (puisque personne n’est sorti depuis 2 mois). C’est le côté positif de ce confinement. Cela me fait penser au film d’Emir Kusturica, Underground dans lequel une famille vit enfermée pendant la guerre et ne sait pas que celle-ci est finie depuis des années : dans mon immeuble, on est entre nous, on vit entre nous, mais on ne sait pas très bien ce qui se passe dehors. 

 

Travailler à domicile se révèle fatigant car les journées n’ont plus de rythme et peuvent ainsi s'éterniser. On est toute la journée au téléphone, en conférence, en webinar, à envoyer des mails pour coordonner le travail des agents alors qu’au bureau, on passe les voir et on discute. C’est plus compliqué pour la gestion des équipes et pour maintenir la motivation de tous. Cependant, cela nous a permis d'expérimenter le télétravail. Je pense que ce mode de fonctionnement restera après la sortie de la crise, non pas à temps plein comme maintenant, mais on organisera surement plus de vidéoconférences ce qui limitera les déplacements et nous fera gagner du temps.


 

En cette période irréelle et qui peut être angoissante, quel message souhaitez-vous adresser à la communauté française de votre circonscription ?

Il faut rester optimiste et ne pas désespérer même si ce long confinement peut sembler comme un tunnel interminable. Le déconfinement qui commence en Europe et dans certains pays d’Asie aura lieu aussi en Inde. Nous vivons une période qui peut paraître longue actuellement mais qui se terminera, une parenthèse qui ne remet pas en cause la dynamique dans laquelle la France et l’Inde étaient auparavant. Les Indiens ont soif de vivre et de reprendre leurs activités et je n’ai aucun doute que dès qu’ils le pourront ils le feront avec beaucoup de dynamisme.

Il faut continuer à croire en l’Inde et en la France !


 

Enfin, pour conclure, quelles sont les trois choses que vous souhaitez le plus faire lorsque le confinement sera levé ? 

Des choses simples : je serais très heureuse de pouvoir retrouver mes amis après ce confinement strict dans mon immeuble, j’ai très envie de revoir les mumbaikars qui font toujours preuve d’un dynamisme et d’un entrain communicatif et de plonger à nouveau dans l'effervescence de Bombay. Enfin, je rêve d’aller boire un bon cappuccino près de Marine Drive et de flâner pour respirer la liberté !



 

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