Les prémices d’une procédure de destitution envers le Premier ministre de la région de Yangon, U Phyo Min Thein, ont été enclenchées. Des députés ont envoyé le 5 juin dernier au parlement régional une lettre de demande de révocation du dirigeant. Point ennuyeux pour la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), le parti au pouvoir tant fédéral que régional : parmi les élus mécontents de U Phyo Min Thein et récalcitrants à ses méthodes, une majorité provient de son propre parti, la LND donc ! Même si s’y ajoute trois députés du Parti de la Solidarité et du Développement de l’Union (PSDU), le bras politique des hauts dirigeants de l’armée et le principal parti d’opposition, ainsi que leurs collègues de plusieurs plus petits partis, comme le nouveau Parti des Pionniers du Peuple (PPP), issu en décembre dernier d’une scission d’avec la LND.
Officiellement, l’élément déclencheur de cette colère est la participation le 24 mai dernier, en compagnie de plusieurs membres du gouvernement régional, de U Phyo Min Thein à une cérémonie bouddhiste à la pagode de Botataung, à Yangon, qui a réuni au moins plusieurs dizaines de personnes en pleine interdiction de rassemblement de plus de cinq personnes, interdiction mise en place par le gouvernement fédéral le 15 avril dernier et qui est toujours en vigueur. Il y a donc eu violation de la loi, selon ces contestataires. Les images du Premier ministre ont tourné sur Facebook, et si sa foi affichée lui a valu un certain soutien, le non-respect des règles lui a surtout valu des commentaires peu amènes.
Des citoyens aussi ont porté plainte
Ce n’est pas la première fois que la conduite du Premier ministre de la région de Yangon est critiquée. Intrusion dans le vote du budget de Yangon en 2019 ou réaction tardive lors de l’incendie d’une décharge en 2018, les actions contestées de U Phyo Min Thein ne manquent pas. Le député anciennement LND de la circonscription de Dagon, U Kyaw Zeya, qui est un des porteurs de la demande de destitution, en précise les motifs : « La mise en accusation a été lancée non seulement parce qu'il a rassemblé une foule pour la rénovation de la pagode de Botataung, mais aussi pour sa mauvaise gestion, notamment des budgets, et un comportement non éthique pour un Premier ministre ». Pour que la demande de destitution soit évaluée et mise au vote, il faut la signature d’au moins un quart des députés. Selon U Kyaw Zeya, c’est le cas.
Si cela est vérifié, une enquête pourra être lancée, à la suite de laquelle un vote de destitution aura éventuellement lieu. Ce dernier devra réunir deux tiers des voix en faveur de cette mesure afin qu’alors la requête en destitution soit présentée au président fédéral U Win Myint, seul habilité à retirer un Premier ministre régional de ses les fonctions. Avant que cette procédure soit lancée, plusieurs citoyens birmans, dont un résident du quartier de Dagon, avaient aussi déposé une plainte à la suite de la cérémonie à la pagode de Botataung. Huit personnes, incluant le Premier ministre, sont accusées de ne pas avoir suivi les mesures visant à limiter la contagion du pays par la Covid-19.
La destitution n’aura pas lieu
Fin mai, le porte-parole du gouvernement fédéral a fait savoir que des explications avaient été demandées à U Phyo Min Thein et que des mesures seraient prises en fonction de ses réponses. Dans le même temps, son propre parti, la LND, lui a infligé un avertissement pour « une conduite publique inappropriée ». Autant de mesures pour limiter la fronde interne et faire en sorte que la procédure n’aille pas trop loin et ne fasse pas trop de remous à quelques mois des élections. Car le risque est là : perdre des soutiens… Lors de la victoire de la LND en 2015, officiellement 7 millions de Birmans étaient connectés à Facebook ; aujourd’hui ils sont au moins 22 millions… La moindre incartade est amplifiée. Cela pourrait profiter aux nombreux petits partis qui se sont constitués pendant cette législature et qui professent des idées et des discours similaires à ceux du parti d’Aung San Suu Kyi mais sans le fardeau de cinq ans de gouvernement pas réellement encore réussis. Pas de quoi supplanter la LND, mais peut-être assez pour lui nuire et lui faire perdre des circonscriptions.
Dans ce contexte, s’il est évident que cette destitution n’aura pas lieu – un membre de la commission de l’information de la LND a été très clair : « Le Premier ministre U Phyo Min Thein a été élu sous la bannière de la LND, la plupart des députés régionaux sont membres de la LND, et ils ne voteront pas contre lui » -, il est aussi évident que le ras-le-bol des élus locaux, et surtout ceux de la Ligue Nationale pour la Démocratie, est palpable et qu’une affaire trop médiatique pourrait nuire considérablement au parti en place.
Outre la reprise en main de ces troupes au niveau local, la LND va donc aussi devoir se mobiliser pour ne pas faire l’erreur de croire acquises les circonscriptions de Yangon. Aux yeux des habitants de la ville, le bilan des 5 ans de gouvernement de U Phyo Min Thein est au mieux médiocre – les très nombreuses coupures d’électricité et les retards dans la plupart des grands chantiers ne plaident pas pour lui - et même s’il est un proche d’Aung San Suu Kyi, le Premier ministre de la région de Yangon constitue de plus en plus un fardeau électoral pour un parti moins rayonnant que voilà 5 ans, un fardeau que ce parti va devoir traîner jusque novembre 2020 en essayant d’en limiter au maximum les conséquences.