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Le Premier ministre de Yangon règle ses comptes sans transparence

phyo min thein isole en Birmaniephyo min thein isole en Birmanie
Écrit par Juliette Verlin
Publié le 10 novembre 2019, mis à jour le 10 novembre 2019

L’année dernière, la fin de l’été et le début de l’automne avait été plutôt politiquement agitée dans la région de Yangon, avec les discussions budgétaires et ce qu’il faut bien appeler une petite révolte parlementaire contre le Premier ministre de la région, U Phyo Min Thein. Les députés régionaux avaient parcouru les centaines de pages du rapport 2016-17 de l’auditrice générale de la région de Yangon sur les dépenses de l’administration, afin de noter les dépenses inhabituelles et les irrégularités de procédure. Les débats qui s’en sont suivi en Octobre 2018 ont mis en question la perte de 3,5 milliards de kyats (un peu plus de 2 millions d’euros) de fonds publics dans le service de bus de la ville, l’emprunt de 13,5 milliards de kyats (un peu plus de 8 millions d’euros) à deux banques privées pour financer des bus scolaires sans en informer le parlement régional, et ont même abouti à une accusation ouverte d’abus de pouvoir du gouvernement régional pour avoir investi 10 milliards de kyats (environ 6 millions d’euros) dans un nouveau projet urbain controversé – le budget du projet ayant été validé sans demander l’avis du parlement comme l’exige pourtant la Constitution.

Cette année, en revanche, ce début d’automne est beaucoup plus calme : le gouvernement régional a choisi de limiter la diffusion du rapport de l’auditrice générale sur les dépenses de l’administration pour 2017-18 à deux personnes seulement, ce qui bien sûr empêche l’ensemble des députés d’avoir leur propre lecture et de préparer leurs questions sur d’éventuelles interrogations quant aux dépenses publiques de l’année fiscale 2017-2018.  Quelle ne fut en effet pas la surprise de Daw Khin Than Hla, auditrice générale de la région de Yangon, de recevoir début juillet 2019 un courrier plutôt inattendu. Alors qu’elle s’était assurée que les 150 copies traditionnelles de son rapport étaient prêtes à être envoyées aux députés comme l’année précédente, cette missive signée de la main du secrétaire du gouvernement régional, U Myo Aung Htay, lui intimait l’ordre « de n’envoyer que deux copies – une au Premier ministre de la région de Yangon et une autre au président du parlement de Yangon, en accord avec la loi fédérale ».

Le rapport d’audit général sur les dépenses publiques est un document important du contrôle parlementaire sur l’exécutif, que ce soit au niveau fédéral ou régional, car il permet aux députés de suivre la manière dont l’argent public est utilisé… et éventuellement de remettre en cause cette manière. Depuis l’arrivée au pouvoir de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) en 2016, ce rapport était systématiquement distribué aux députés par souci de transparence, mais sans que l’obligation légale soit claire. D’après la Section 25(d) de la loi fédérale sur l’audit, modifiée en 2018, un auditeur régional général doit en effet soumettre son rapport au Premier ministre de la région ou de l’état, et au Parlement de la région ou de l’état, simultanément. Mais pour U Nay Phone Latt, député LND, « soumettre au Parlement » ne veut pas dire simplement soumettre au président. « C’est la responsabilité du président de nous transmettre le rapport après sa réception. Nous devons faire notre travail ».

Or, cette année seul la Commission parlementaire des comptes publics a été autorisé à lire le rapport. Ses membres seront ensuite chargés de rendre compte de leurs analyses en séance parlementaire. Ce qui fait dire à U Kyaw Zey Ya, un autre député LND, que « les élus sauront uniquement ce que la commission leur rapportera », ajoutant que ce compte-rendu pourrait ne pas révéler toutes les irrégularités dans les dépenses publiques sur lesquelles les législateurs auraient pu mettre le doigt. Il se demande si les débats échauffés de 2018 ne seraient pas la cause de cette nouvelle restriction. « Si c’est le cas, cela montre un manque de transparence et que les normes de la démocratie sont en régression », conclut-il. Daw Khin Than Hla, l’auditrice générale, a elle-même déclaré que l’intervention du gouvernement régional contre la distribution de son rapport à tous les députés allait à l’encontre de la transparence que la LND et sa cheffe Daw Aung San Su Kyi ont toujours dit vouloir mettre en place et ont de fait commencé à pratiquer à partir de 2016.

Le président de la Commission des comptes publics du parlement régional, U Tint Lwin, a annoncé que son équipe avait déjà pu lire la moitié du rapport, et espérait pouvoir soumettre ses analyses et recommandations au parlement ce mois-ci. Il a également reconnu que la commission avait à présent plus de responsabilités suite à cette nouvelle procédure : « C’est une tâche énorme pour nous. Mais nous essayons de faire un travail aussi exhaustif que possible ».

Le Premier ministre de la région de Yangon, U Phyo Min Thein, a régulièrement été sous les feux des médias et sur la sellette pour son manque de transparence, son refus de communiquer et souvent ses décisions contraires aux directives nationales de son parti la LND sans que celui-ci prenne jusqu’à ce jour la moindre mesure a son encontre.

Juliette Verlin
Publié le 10 novembre 2019, mis à jour le 10 novembre 2019

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