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Timide ouverture politique de la LND vers les partis ethniques

LND Partis Ethniques négociations BirmanieLND Partis Ethniques négociations Birmanie
Militant Mon en Birmanie
Écrit par Ludivine Roux
Publié le 11 janvier 2021

Avec le projet « New Peace Architecture » présenté lors de son discours du 1er janvier, Daw Aung San Suu Kyi, cheffe de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) et dirigeante de facto du pays promet d’associer les partis politiques, les organisations de la société civile et le public à la réalisation du processus de paix du pays. A deux ans du 75ème anniversaire de l’accord de Panglong, qui avait pour ambition – ratée – d’établir un cadre politique permettant une évolution de la Birmanie vers le fédéralisme afin de tenir compte des spécificités ethniques locales, la LND a annoncé vouloir faire des problématiques ethniques et de la paix les priorités de son prochain gouvernement, qui prendra ses fonctions en mars. Pour cela, deux processus essentiels : prolonger les efforts afin que de nouveaux mouvements rebelles armés signent l’Accord de Cessez-le-feu National (ACN) et inviter les 48 partis ethniques les plus populaires à une rencontre pour discuter de la nomination des Premiers ministres étatiques et régionaux qui sont officiellement désignés par le seul Président.

Au cours de son premier mandat, le gouvernement de la LND est parvenu à signer trois parties d’un accord avec les 10 signataires actuels de l’ACN, un accord ensuite approuvé par le Parlement de l'Union. En août 2020, un ensemble de principes pour la mise en place d'un système politique fédéral a été annoncé dans le cadre de cet accord. Mais cela n’aura de sens réel pratique que si les principaux mouvements combattants actuels rejoignent ce processus. C’est pourquoi sans l’admettre officiellement, le gouvernement souhaite obtenir que l’Armée de l’Arakan et l’Armée pour l’Indépendance du Kachin signent à leur tour l’ACN.

Des partis ethniques dubitatifs

Sur le plan politique, la LND a remporté une écrasante victoire lors des élections du 8 novembre, avec 238 sièges sur 330 ouverts au scrutin a la Chambre des représentants et 138 sur 168 ouverts au scrutin à la Chambre des nationalités. La constitution birmane donnant aux militaires le pouvoir de nommer 25 % des parlementaires hors scrutin, la LND n’a malgré tout « que » quelque 60 % du total des sièges du Parlement. Sur les 48 partis ethniques en compétition pour les sièges des parlements nationaux, régionaux et étatiques, 17 ont gagné des sièges, avec en tête la Ligue des nationalités Shan pour la démocratie (SNLD).

« Chacun de vous doit participer et coopérer de façon à faire en sorte que la constitution, la fondation de notre future union démocratique fédérale, soit alignée sur les standards et principes démocratiques, la situation actuelle du pays et le système d’union fédérale émergeant », a déclaré le Président U Win Myint dans un discours le 4 janvier. « Si les partis politiques ethniques proposent des personnes convenables pour rejoindre les gouvernements régionaux, étatiques ou central », a déclaré le porte-parole de la LND Dr. Myo Nyunt, « nous les prendront en considération et nous entamerons des négociations ». Une main tendue pour un projet de longue haleine… qui laisse les partis ethniques dubitatifs.

La réforme de la constitution toujours dans le viseur

Le gouvernement « choisi en général son dirigeant ethnique préféré plutôt qu’un dirigeant ethnique critique », explique Dr. Hkalam Tu Hkawng, chercheur indépendant. Maung Maung Soe, analyste politique, va dans le même sens : « La LND a formé un gouvernement après avoir remporté les élections générales de 2015 sans consulter un seul parti politique ethnique. […] Aujourd’hui, nous entendons parler de la formation d'un gouvernement d'unité nationale pour 2020-2025. Nous n'avons vu aucune action concrète, il est donc encore difficile de prédire ce qui va se passer ». Depuis l’indépendance du pays en 1948, les régions et états du pays sont en conflit à différents degrés avec le gouvernement central mais une partie de leurs revendications se rejoignent : ils réclament un gouvernement décentralisé, la possibilité d’administrer leur territoire à leur façon, et plus de contrôle et de bénéfices directs de l’exploitation de leurs ressources naturelles. Pe Than, parlementaire de l’état d’Arakan et membre du comité politique du Parti National de l’Arakan (PNA) juge que la LND « devrait d’abord penser à ce qu’elle pourrait faire pour relâcher les règles envers les minorités ethniques », car « c’est la seule façon d’avancer vers la réconciliation ». « Si vous essayez de vous attaquer à la réforme constitutionnelle, vous tournez en rond », a-t-il ajouté. « C’est sans fin ».

En effet, au cours du mandat 2015-2020, les parlementaires LND ont tenté à plusieurs reprises d’amender la Constitution afin de mettre fin au privilège des militaires et surtout afin que Aung San Suu Kyi puisse devenir Présidente du pays, ce que l’actuelle loi fondamentale empêche. Sans succès. Dr. Nandar Hla Myint, porte-parole du Parti de l’Union pour la Solidarité et le Développement (PUSD) proche de l’armée, expliquait dans une interview au Petit Journal en octobre le bien-fondé des articles constitutionnels visés par la LND, affirmant que « l’armée ne veut plus reprendre le pouvoir ! Et un jour, l’armée quittera le Parlement quand le pays sera politiquement stable », sans préciser quand un tel changement pourrait avoir lieu.

Plusieurs partis ethniques, dont le PNA et le SNLD, frustrés de voir la LND s’arroger le pouvoir exécutif local dans l’Arakan et le Shan bien qu’étant un parti minoritaire dans ces états, avaient tenté une toute autre modification de la Constitution dans l’espoir de récupérer un peu de pouvoir : l’amendement de l’Article 261, qui donne au Président le pouvoir de nommer les Premiers ministres des 14 régions et états du pays. En mars 2020, les parlementaires LND ont voté contre, déclarant qu’ils amenderaient l’article quand l’armée abandonnera ses 25 % de sièges réservés au Parlement.

Des discussions mais pas de concessions

La démarche actuelle de la LND offre donc l’opportunité aux partis ethniques de contourner la constitution, mais n’oblige pas le parti au pouvoir à tenir compte du fruit des discussions dans sa prise de décision. Le Comité exécutif central (CEC) de la LND, formé pour l’occasion le 12 décembre, est actuellement en train de rencontrer les représentants de 14 partis ethniques ayant répondu à son appel. Mais avec un mois restant pour former un gouvernement, la LND n’arrivera pas à rencontrer les 48 partis invités, d’après U Sai Nyunt Lwin, vice-président de la SNLD.

Le Parti du Peuple de l’Etat de Kachin, le Parti du Développement National Lisu et le Parti Kachin pour une Nouvelle Démocratie, tous des partis avec une bonne assise politique locale, ont été les premiers à rejoindre la table des discussions. La rencontre a été organisée dans les locaux du quartier général de la LND à Myitkyina, capitale de l’état Kachin. Le SNLD et l’ANP, les deux partis ethniques les plus populaires du pays, ont eux rencontré le CEC dans la foulée le 1er janvier. Le compte-rendu des discussions sera dévoilé publiquement dans les semaines à venir.

Mais un premier couac a déjà eu lieu : Le Parti Unitaire Mon, l’un des vainqueurs du scrutin de 2020, a déjà claqué la porte, après avoir proposé une rencontre en terrain neutre car il refusait de se rendre dans les locaux de la LND au pouvoir. Aucun des deux partis ne souhaitant faire un pas en avant, la rencontre n’a pas eu lieu, d’après Aung Moe Nyo, Premier ministre de la région de Magway et représentant de la LND. « Si la LND ne peut pas s’entendre avec d’autres partis sur des problèmes aussi basiques, nous pouvons nous demander comment elle négociera des problématiques plus grandes, comme le fédéralisme, la politique, et la démocratie », conclu l’analyste politique Yan Myo Thein.

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