Aung Naing Naing nous accueille sur Zoom depuis son domicile, à Chaungzon, dans l’état de Mon. Candidat au Parlement étatique local avec le Mon Unity Party, il nous explique les idées de son organisation et les défis à relever pour faire campagne au nom d’une ethnie.
Le Petit Journal de Birmanie : Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs qui ne vous connaissent pas ?
Aung Naing Naing : Je m’appelle Aung Naing, je suis candidat au Parlement de l’état de Mon, dans la circonscription de Chaungzon – partie I. Je suis né sur l'île Ogre dans la circonscription de Chaungzon, située sur la rivière Thanlwin. J'ai grandi dans le village de Mudon. Quand j'étais jeune, ma famille a déménagé à Mawlamyine, où je suis allé au lycée. A partir de là, je me suis intéressé à la politique, et quand j'ai terminé le lycée, j'ai été impliqué dans certains mouvements étudiants de 1988. Ensuite, j'ai participé activement au comité « Culture et tradition » de notre communauté Mon. En 2010, lorsque nous avons formé le All Mon Region Democracy Party, mes amis et certains moines m'ont suggéré d’être candidat. J'y ai beaucoup réfléchi, et j'ai accepté. Aux élections de 2015, les partis ethniques ont gagné trois sièges, dont le mien, dans notre état. A partir de ce moment-là, j’ai dédié ma vie à la politique et à mon peuple.
Combien de candidats le Mon Unity Party présente-t-il le 8 novembre ?
Nous présentons 65 candidats en tout. Au Parlement de l’état, il y a dix circonscriptions représentées par 20 sièges. Pour les minorités Bamar, Pa’o et Karen, il y a trois sièges réservés, ce qui fait un total de 23 sièges. Notre parti candidate dans huit circonscriptions [et candidate donc pour 16 sièges]. Nous présentons aussi des candidats dans les états et régions de Yangon, Bago, et Kayin.
Avez-vous formé des alliances avec d’autres partis ?
Nous avons des alliances avec d’autres partis ethniques. Nous n’avons pas d’alliance avec les « super partis » comme la LND [Ligue Nationale pour la Démocratie] ou le PUSD [Parti de l’Union pour la Solidarité et le Développement].
Pourquoi avoir formé des alliances avec ces petits partis ?
Ces alliances sont fondées sur l’histoire de notre parti. Nous sommes la fusion de trois groupes : le All Mon Region Democracy Party, le Mon National Party, et certains groupes universitaires. Nous sommes alors devenus le Mon Unity Party. Aux élections de 2010, nous n’avions qu’un parti dans l’état de Mon, le All Mon Region Democracy Party. Nous avions alors des alliances avec des groupes de l’Arakan, du Shan, du Kayin, du Kayah … Ensuite, un nouveau parti a été formé, le Mon National Party (MNP) en 2012. Nous avons donc eu deux partis dans le Mon. A l’époque, le MNP avait ses propres alliances, et les mêmes régions, avec plusieurs partis dans chaque région. Nos deux partis ont donc participé séparément aux élections de 2015, en conséquence de quoi nous avons perdu beaucoup de sièges au Parlement [Mon]. En 2018, nous avons obtenu un accord de fusion pour devenir un seul parti, intitulé Mon Unity Party. Aujourd’hui, nous coopérons avec d’autres partis politiques ethniques de cinq États ethniques – Kayah, Karen, Shan, Arakan, et Kachin.
Qui sont vos principaux concurrents dans l’état de Mon ?
Nos principaux concurrents sont le PUSD et la NLD.
Pensez-vous pouvoir battre ces partis ?
Nous ne pouvons gagner que dans notre région. Il n’est pas facile de les battre dans d’autres Etats.
Nous avons remarqué que votre drapeau rappelle celui de la LND. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?
Notre drapeau Mon est rouge depuis le début. Et nous utilisons depuis toujours l’étoile blanche, l’oiseau Hintha, et le rouge comme notre symbole. L’ancien drapeau de 2010 a été combiné avec les deux motifs choisis par le Mon National Party en 2012 pour être jaune, rouge et bleu. Et nous n’avons pas imité celui de la LND. Le rouge représente l’unité et le courage, l’oiseau Hintha est notre identité et l’étoile blanche est notre objectif à atteindre.
Pouvez-vous nous présenter les trois points essentiels de votre programme politique ?
L’essentiel est de développer et de transmettre les traditions et la culture des groupes ethniques. Ensuite, [nous sommes pour] le droit d’autogestion de l’Etat [Mon], et troisièmement, [nous voulons] la justice et l’égalité dans toutes les facettes de la vie pour tous nos citoyens.
Plus spécifiquement, pour nos lecteurs qui ne connaissent pas exactement la situation des groupes ethniques dans l’état Mon, pouvez-vous détailler votre politique concernant les groupes ethniques ?
Nous travaillons surtout pour l’égalité des droits pour tous nos groupes ethniques, et nous essayons de donner à nos populations locales les droits qu’elles méritent. Il existe de nombreux groupes ethniques en Birmanie [officiellement, 135]. Et les cultures varient également. A mon avis, le gouvernement devrait proposer une nouvelle politique afin de protéger les langues ethniques et la culture des groupes ethniques. J’aimerais que la culture des groupes respectifs soit soutenue comme dans les pays occidentaux. En matière d’éducation, c’est difficile pour les nationalités ethniques car le programme scolaire est rédigé en birman. Je pense que nous, les groupes ethniques, ne sommes pas tous égaux dans ces domaines.
Avez-vous un exemple précis en tête pour illustrer ce manque d’égalité ?
Je pense que dans les pays occidentaux, la langue et la culture des groupes ethniques sont soutenues par leur gouvernement, ce qui n’est pas évident pour le nôtre. Par exemple, si un Mon ne sait pas parler birman, il ne peut pas s’adresser à la plupart des bureaux de son gouvernement, car seul le birman est la langue officielle.
Au sein de votre parti, chaque membre parle à la fois Mon et Birman ?
Oui, nous parlons tous les deux langues.
D’après vous, quel est le bilan du gouvernement local de l'état de Mon, positif comme négatif, ces cinq dernières années ?
Si l’on suit la Constitution, le parlement de l'Etat et le gouvernement de l'Etat n'ont pas d'autorité réelle. Et chaque décision est prise par le gouvernement central à Nay Pyi Taw. Au cours de cinq dernières années, au temps de la NLD, aucun changement visible n’a été apporté au pouvoir du gouvernement étatique, et ils n’ont pas su gérer le secteur économique, ils ont eu certains problèmes d'investissement, ainsi que certains problèmes ethniques.
Quelle est la position officielle du MUP concernant les conférences de Panglong et le processus de paix ?
Le MUP soutiendra toujours le processus de la paix. Les deux anciens partis Mon, avant la création du MUP, ont assisté régulièrement aux discussions sur la paix en abordant des points qui devraient être discutés. Notre parti continuera ses actions pour la paix et la réforme constitutionnelle après les élections. La transition de la Constitution vers le fédéralisme est très importante pour le processus de paix, et nous gardons cette idée en tête lorsque nous participons aux discussions.
Etant donné les nombreux conflits armés dans les États et les régions du pays, nous pensons qu’il est important que nos lecteurs comprennent les liens entre voie politique et voie des armes. Pouvez-vous nous décrire la nature des relations entre le MUP et les groupes armés rebelles Mon ?
En fait, il y a des réformes petit à petit entre les groupes armés et les organisations politiques civiles. Bien que les liens ne soient pas significatifs, la position des groupes armés pour le fédéralisme et la démocratie dans les conférences sur la paix est la même que celle de notre parti dans le cadre juridique. Cependant, il n’y a ni coopération ni communication entre eux et notre parti.
Pensez-vous qu’il est indispensable d’avoir des actions armées en parallèle des efforts politiques, ou est-ce que la politique se suffit à elle-même pour faire avancer les choses ?
L’armée assure la sécurité et restera nécessaire pour le pays. Mais je ne pense pas que les militaires doivent être impliqués au Parlement si l’on suit les normes démocratiques.
Vous avez interrompu votre campagne à la fin du mois de Septembre pour des raisons de sécurité par rapport au Covid 19. Quels outils utilisez-vous pour mener campagne ?
La plupart du temps, nous préférons les rencontres en face à face car nous pensons que le contact en ligne n'est pas efficace pour nous. Et certains membres de groupes ethniques ne peuvent pas très bien utiliser le téléphone, et d’autres vivent dans des régions sans accès correct à Internet. Par conséquent, nous organisons des rassemblements publics pour nos campagnes électorales.
Savez-vous si des partis comme le PUSD, ou la LND, font campagne avec les mêmes outils ?
Par exemple, la LND a une page Facebook officielle et un site Web pour diffuser ses messages électoraux et ses déclarations au public. Et autant que je sache, la plupart des partis politiques boostent leur page et leurs posts Facebook sur les réseaux sociaux. Je ne ressens pas d’injustice à ce sujet car cela dépend également du budget. Ils ont eu beaucoup de budget et de sponsors. Mais nous, des groupes minoritaires, et des partis ethniques, nous utilisons notre propre budget et nous ne pouvons pas en utiliser autant qu'eux.
Est-ce facile d’organiser vos rencontres en face à face partout où vous allez ?
Oui. Presque tous les jours, nous nous rendons dans les villages pour nos campagnes électorales et nos discussions avec les villageois en expliquant ce que nous pourrions faire pour eux, nos missions et la politique de notre parti pour le pays, etc. Aujourd’hui c'est mon jour de repos et normalement j’anime environ trois discussions par jour, et des campagnes de porte à porte.
Nous avons remarqué qu’un panneau du Mon Unity Party a été détruit dans la région de Tanintharyi début Octobre. Avez-vous eu affaire à d’autres cas comme celui-ci ?
Oui, j’ai entendu parler de cela. Ce genre d’incidents arrive souvent chez les autres partis politiques aussi. Par contre, ça ne n’est jamais passé dans ma circonscription.
Que pensez-vous des critiques, locales et internationales, qui disent que les élections ne seront pas libres et équitables ? Avez-vous identifié certains obstacles qui ne rendront pas ces élections libres et équitables ?
Je crains que cette élection ne soit pas libre et juste. Dernièrement, certains partis ont été dissous et les candidats de ces partis ont également été disqualifiés. Et dans certaines zones des états de l’Arakan et de Shan, les élections ont été annulées. Pour que l’élection 2020 soit libre et juste, l’indépendance de la Commission Electorale Nationale devrait être renforcée. Cependant, elle est influencée et suit les déclarations du gouvernement actuel.
Savez-vous combien de personnes sont allées vérifier leur bonne inscription sur les listes électorales dans l’état de Mon ?
Je pense que seul un tiers [des habitants] s'y intéresse et va vérifier. La plupart des gens ne le font pas.
D’après vous, pourquoi seul un tiers des habitants s’est déplacé ?
Il y a tellement de raisons. Certaines personnes sont très occupées avec leur travail, et d’autres ne s'intéressent pas à la politique. Puis, certains ne comprennent pas comment cela fonctionne. Et il est très difficile d'éduquer les gens en particulier dans les zones rurales.
Quand vous vous rendez dans ces zones pour faire campagne, faites-vous également de l’éducation au vote (comment voter, pourquoi est-ce important, etc.) ?
Je discute de beaucoup de choses, comme l’importance de voter pour la circonscription, comment un vote pourrait changer l'Etat et la gestion des états et régions, comment éviter les votes rejetés, etc. J'utilise généralement un rétroprojecteur pour leur expliquer.
Ne pensez-vous pas que si seulement un tiers des habitants peut voter, cela signifie que l’élection ne sera pas légitime ?
Si. Lors de l'élection précédente en 2015, dans les alentours, seulement la moitié de la population avait voté. Aujourd’hui, nous essayons de discuter davantage et de partager plus d’informations. Nous espérons donc que pour cette élection de 2020, plus de 50% viendront voter.